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Rotheval - rencontre...

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La rencontre clinique après l'ivresse : un entretien possible après…:
Laetitia Rotheval, Psychologue, Centre Hospitalier de Mâcon – Unité d'alcoologie

décembre 2007

Présentation du dispositif général

En tant que psychologue clinicienne, j’interviens dans le cadre de l’activité de liaison de l’unité d’alcoologie et addictologie du Centre Hospitalier de Mâcon et en consultation externe.

Le protocole de rencontres systématiques des intoxications éthyliques aiguës a été mis en place en 1997 dans les services de médecine et chirurgie exceptés la maternité, la réanimation, et la pédiatrie qui nous sollicitent parfois.

L’idée est de proposer un entretien et de permettre un échange et le plus souvent une évaluation de l’usage de l’alcool et de sa place, du rapport à l’alcool au delà de l’ivresse présentée.

C’est tenter de donner un sens à une hospitalisation où une alcoolémie positive apparaît, sachant que cet entretien peut être refusé.

Nos objectifs

 

Auprès du patient : informer, favoriser l’accès aux soins, accompagner, orienter (des plaquettes de coordonnées sont remises), occasion de reprendre contact après une rupture dans les soins.

Auprès de l’entourage : accueillir, informer, accompagner, orienter…

Accompagner les équipes soignantes des différents services de l’Hôpital dans l’approche des patients en difficulté avec l’alcool, aider au repérage de ces patients, à la perception de la souffrance et valoriser les compétences et les ressources de chaque soignant (en complément des offres de formations continues institutionnelles en alcoologie).

Concrètement, nous passons tous les matins au laboratoire pour récupérer les dosages d’alcoolémie positifs.

L’objectif à long terme serait de ne plus utiliser ces données et d’être appelé directement par les services ; ce qui commence à fonctionner  de manière très variable après dix ans de collaboration.

 

Nous passons aussi tous les matins à l’unité d’observation (hospitalisation de 24 heures des urgences), équipe avec laquelle un travail particulier d’aide au repérage a été effectué.

Ce protocole nous permet de rencontrer des personnes en difficulté qui ne se retrouvent pas dans une unité spécifique mais qui peuvent être hospitalisées pour une complication liée à l’alcool (somatique, psychiatrique, …).

Nous sommes donc amenés à rencontrer aussi des sujets autres que des personnes alcoolodépendantes, c’est à dire des consommateurs à risque, en excès à un moment donné ou simple usager (beaucoup plus rare).

Le cadre de l’entretien à l’Hôpital

En ce qui concerne le cadre de l’entretien, nous nous rendons dans les différents services où se trouvent les patients et ce rapidement.  En effet, une notion de rapidité s’impose car les patients ressortent très vite de l’Hôpital : il faut donc  "faire vite".

Nous  prenons toujours le temps de rencontrer un membre de l’équipe soignante avant l’entretien (sachant que la proposition d’un entretien n’est pas toujours possible en fonction des circonstances) ; de plus cela facilite l’organisation matérielle de l’entretien, puisque nous sommes à chaque fois à la recherche d’un lieu pour l’entretien (salle de séjour quand elle existe, un bureau rarement, la chambre du patient mais souvent ce sont des chambres à deux lits et le respect de la confidentialité oblige à des aménagements, un placard ou une pièce qui sert d’entrepôt aux matelas, pied de perfusion etc…).

Aussi, des interférences (entrées intempestives des soignants dans les chambres), même si elles sont de moins en moins fréquentes, font partie des aléas.

 

Les conditions minimales à un entretien clinique ne vont donc pas de soi à l’Hôpital, sans doute du fait de la valorisation d’une technicité de plus en plus développée et précise.  Quelle place a le psychisme à l’Hôpital ?

Dans ce contexte, vous comprenez l’importance d’avoir son propre cadre interne !

Nous essayons, en fonction des disponibilités des soignants, d’effectuer un retour, de restituer à l’équipe certains éléments après l’entretien, en vue d’une cohésion de la prise en charge et d’un lien possible.
De même, nous laissons une trace écrite dans le dossier médical.

Poser le cadre et situer le cadre de l’entretien et de l’intervention au patient permet un espace de parole (qui je suis, pourquoi je viens, la confidentialité…).
Quand tout cela est posé, la question de l’alcool est fréquemment abordée par le patient ; même si ce n’est pas le sujet essentiel.

L’activité en transversal à l’Hôpital est de plus en plus habituelle mais ne va pas de soi :

Le fonctionnement des services avec des médecins chef de service et toute une hiérarchie est bien installée. Le médecin a ses patients et est à l’origine des demandes de spécialistes en fonction de ses besoins et de son diagnostic.  Le passage systématique va à l’encontre et bouscule ce fonctionnement mais il y a de plus en plus d’ouverture et d’unités qui fonctionnent en transversal.

Parmi les obstacles que l’on peut repérer, les tabous, les représentations des soignants, les attitudes contre-transférentielles ou contre-attitudes sont bien présents. Nous rencontrons souvent l’ironie, la notion de plaisir, la complaisance, l’attitude permissive ou le rejet.

Les équipes soignantes ont souvent beaucoup de mal à percevoir le sujet en souffrance, porteur d’une existence souvent compliquée derrière cette image qu’il renvoie.

Le contexte de l’hospitalisation

Etre à l’Hôpital, ce n’est pas anodin. On ne s’alcoolise pas par hasard, et on n’arrive encore moins à l’Hôpital sans raison. L’ivresse peut être entendue comme ivresse d’appel tout comme l’alcoolémie basse peut être une reprise d’alcool, un sevrage tenté, l’occasion de reprendre contact avec les soins. Parfois, les personnes n’arrivent pas pour un motif d’ivresse aiguë mais pour malaise, accident de la voie publique, fractures, chutes, baisse de l’état général, crise comitiale…

L’arrivée à l’Hôpital se fait dans une situation de crise, et est une situation traumatique entraînant une position régressive. Ce moment d’hospitalisation est un moment important, qui laisse une trace dans la vie d’un sujet.

C’est un moment privilégié, propice à l’offre de soins, qui parfois ne peut être entendue qu’à ce moment là.  Certains éléments ne pourront être abordés qu’à cette occasion de l’hospitalisation du fait de la contenance et de l’étayage proposé.

Parmi les différents examens, il y a donc cet entretien proposé, après l’ivresse.

L’ivresse ne passe pas inaperçue à l’Hôpital : on la prend en compte, on sait, on a vu, et on n’est pas indifférent. Et même si elle est banalisée par le sujet, l’idée est de reprendre ce qui se passe dans un contexte de vie, dans un parcours dont l’ivresse fait partie et ne survient pas à n’importe quel moment.

Nommer ce qui se passe, ce qui se trame est indispensable à une reconstruction possible.

L’hospitalisation en elle même fait effraction et rupture dans le parcours de vie, dans l’histoire.  L’entretien proposé c’est essayer de mettre du sens, des mots, du lien (lien aussi entre l’événement qui motive l’hospitalisation et l’alcool), c’est l’occasion de "recoller les morceaux", de tenter d’organiser et d’instaurer une confiance, restaurer le sujet.

Nier la souffrance présentée, l’ignorer et donc ne pas en parler, apparaîtrait d’une grande violence dans un lieu de soins comme l’Hôpital.

Le déni

Le déni du patient est souvent considéré comme un obstacle et mis en avant. En ce qui me concerne le déni ne me gêne pas et ne fait pas barrage à la rencontre.

Les patients sont loin d’être tous dans un déni total (où ils nieraient tout en bloc) et le déni de l’alcool est assez peu rencontré. Nous le rencontrons peut être davantage si nous cherchons des aveux, ou une réalité car là nous serions intrusifs (les médecins le rencontrent davantage dans les services car ils sont dans une autre logique, une nécessité d’éléments de réalité et le cadre de l’entretien est différent).

On peut parler d’autre chose que de l’alcool, surtout lors d’un premier contact, et ne pas être dans l’attente d’une réponse.

Nous  rencontrons davantage le déni des difficultés et des conséquences de l’alcoolisation. Mais le déni est une défense à respecter, qui fait partie du fonctionnement psychique, et on peut échanger autour.

La parole circule en périphérie et chaque entretien est variable dans son contenu en fonction du patient.

Nous accueillons le patient là où il en est et avec ce qu’il peut dire de ce qui l’empêche de vivre sereinement et ce qui lui gâche la vie.

Chacun est à un stade différent dans son parcours, évolue à son rythme, en fonction de son souhait, de ses capacités, et de sa problématique.

"L’activisme thérapeutique"

Nous nous sommes interrogés sur le fait de ne pas entrer dans un activisme thérapeutique dans le "soucis de bien faire".  Et nous nous sommes préoccupés de proposer nos services sans abuser d’une situation dans laquelle le patient ne pourrait guère refuser.

En effet, dans quelle mesure, même si nous précisons que le refus est possible, l’acceptation de l’entretien n’est-elle pas parfois liée à la faiblesse somatique et psychique dans laquelle se trouve le patient, plus qu’à un réel désir d’être écouté (1).  [1]

Quand il  ne dit pas grand chose, c’est peut être le seul moyen pour exprimer un refus qu’il n’a pas pu rendre explicite.

Cela ne remet absolument pas en cause cette première prise de contact et la présentation de ce que l’on peut offrir (qui on est et ce que l’on fait), et c’est l’occasion de demander au patient s’il souhaite ce type de travail (sachant que nous avons la possibilité de repasser dans le cadre de la liaison) et qu’il n’est pas engagé pour autant dans une démarche.

Quand les échanges sont très limités, voire impossibles, il y a au moins ce contact et cette proposition d’un temps de parole et d’écoute, et ce n’est pas rien.

Par ailleurs, et parmi tous ces aléas, de nombreux patients s’emparent de cette possibilité d’un espace de parole et trouvent là l’occasion de parler librement de leur rapport à l’alcool.

Ils nous font part souvent de leur soulagement, d’un apaisement après l’entretien et nous remercient, même après une simple information, d’avoir pris du temps et permis une parole : j’entends souvent : "c’est la première fois que je peux en parler", "pourquoi on ne m’en a jamais parlé".

De plus, ce premier contact permet une ouverture sur l’après, après ce temps d’hospitalisation.

Certaines personnes reprendront contact six mois, un an plus tard et nous sommes souvent surpris, étonnés du souvenir qu’ils ont de notre première rencontre, avec précision.

L’impression que nous laisse ce premier entretien n’est pas un critère d’une éventuelle "réussite" de l’entretien ou d’un entretien "satisfaisant". Les effets se font dans l’après-coup et le fait qu’il y ait peu d’échanges, peu d’expression verbale de la part du patient n’est en rien un signe ou une indication d’un investissement ou d’un travail ultérieur souhaité et possible.

Le patient entend l’offre qui lui est faite et peut s’en saisir par la suite.

D’autres patients continueront leur cheminement ailleurs et nous n’aurons pas toujours de nouvelles, soit avec d’autres interlocuteurs, soit seuls. Et il y a ceux que l’on revoit régulièrement en suivi (dans le cadre des consultations ambulatoires), ou lors d’hospitalisations répétées.

La place du psychologue

Quant à la place du psychologue, l’activité en transversale et aller au devant de la demande du patient ne va pas de soi.

Nous ne sommes plus dans la référence classique du psychologue dans son bureau qui attend qu’on vienne à lui et qu’une demande soit formulée mais dans une démarche active d’aller à la rencontre de l’autre. On est dans "l’avance de la parole" dont parlent les Dr Alain Rigaud et Gérard Ostermann, dans la proposition d’une rencontre, d’une offre de parole et d’écoute où la personne est entendue comme sujet [2].

Le psychologue peut accueillir la souffrance, écouter la détresse du patient hospitalisé et la contenir. Il peut entendre les conflits psychiques internes qui animent le sujet  et percevoir le recours à l’alcool autrement que comme une "tare", un "vice" dont il faudrait le débarrasser.

L’espace proposé permet un discours en tant que sujet, porteur d’une histoire et tente de "rassembler les morceaux", de restaurer et reconstruire le puzzle souvent éparpillé.

Une des fonctions du psychologue consiste à  contenir les éprouvés pénibles, douloureux, innommables parfois, que ressent le patient. La fonction contenante (en référence à la théorie de Bion sur la fonction alpha) [3] va permettre au sujet de passer de la perception, des éprouvés "bruts" à celui de la représentation et de la symbolisation de cette souffrance.

Et les différents contacts lors d’une hospitalisation avec l’équipe soignante dans son ensemble peuvent être une première pierre dans la construction future d’une démarche de soins.

[1] POUSSIN (G.), La pratique de l’entretien clinique, Toulouse, Ed.Privat, 1992.

[2] OSTERMANN (G.) et RIGAUD (A.), "Comment faire l’avance de la parole auprès du patient alcoolodépendant ?, Le Journal - psychiatrie privée. octobre 2001-N° 15.

[3] BION (W.R.), Aux sources de l’expérience, tr. fr. Paris, P.U.F., 1979.I

Mise à jour le Jeudi, 11 Août 2011 10:58