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Discontinuité dans les addictions & les passages entre conduites alimentaires et alcoolo-dépendance

Continuité et discontinuité entre les troubles des conduites alimentaires et la dépendance alcoolique

Sophie ORLHAC, Médecin à la Clinique Mon Repos- décembre 2006


1. Définitions des troubles des conduites alimentaires (cf. DSM IV)

2. Données épidémiologiques

2.1) Epidémiologie des TCA

Les TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES sont des affections de la femme jeune.

  • Pour l’anorexie mentale, prédominance féminine dans 9 cas sur 10 ; âge de survenue : 2 pics de fréquence : 13-14 ans et 16-18 ans).

10 % des jeunes filles présentent dans nos sociétés des formes légères d’anorexie spontanément curables en 1 an ("les troubles du comportement alimentaire". Christine Vindreau. Chap. 101 du traité d’addictologie. Médecine-sciences-flammarion).

Aux USA, la prévalence de l’anorexie mentale serait comprise entre 0,1 et 1 % (Dr pierre Lahmek, "Comment gérer les compensations, les transferts de dépendances et les associations d’autres dépendances psychoactives" ; in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 294-310).

  • Pour la boulimie : prévalence autour de 1 à 3 % de la population adolescente et adulte. Taux identique dans les pays industrialisés. Prédominance féminine nette : 90 % ("les troubles du comportement alimentaire". Christine VINDREAU. Chap. 101 du traité d’addictologie. Médecine-sciences-flammarion).

2.2) Epidémiologie de l’association alcoolisme (ou abus d’alcool)-TCA :

Dans l’alcoolisation excessive par excès, il n’est pas rare d’observer des TCA de type accès compulsifs et des troubles addictifs divers (Pr. Jean Louis Schlegel et Coll., "les compensations alimentaires" in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 291-293).

De nombreuses études ont mentionné la coexistence fréquente des TCA  et de l’alcoolodépendance par rapport à une population témoin sans TCA (Susuki K et coll, "Coprevalence of bulimia with alcohol abuse aned smoking among japonese male and femalehigh school student" addiction, 1995 ; 90 : 971-975).

Prévalence vie entière de l’alcoolisme plus élevée chez les patientes boulimiques ou anorexique-boulimique (Holderness et coll : "comorbidity of eating disorder and substance abuse. A review of the literature. In J Eating disorders, 1994 ; 16 :1-34) que chez les anorexiques restrictives.

D. Miocque et M. Flament ("troubles du comportement alimentaire et alcoolisme" in synapse n°167, juin 2000) évoque une prévalence vie entière de 9 à 39 % chez les sujets boulimiques contre 0 à 9 % chez les sujets restrictifs. Ils évoquent chez les patients suivis pour alcoolisme, une prévalence vie entière des TCA autour de 11 % chez les femmes et 0,2 % chez les hommes. Dans 80 à 93 % des cas il s’agit d’une boulimie ou d’une anorexie boulimie.

La boulimie et les anorexiques boulimiques sont les TCA les plus fréquemment associés aux pathologies alcooliques (D Miocque et M. Flament, alcoolisme et troubles du comportement alimentaire in alcoolisme et psychiatrie, Masson, 2003, page 135-151).

2.3) Données épidémiologiques familiales

La prévalence de l’alcoolisme chez les proches de sujets boulimiques est plus élevée que chez les proches de sujets qui ne sont pas boulimiques (D. Mioque et M. Flament in synapse et dans le livre  "alcoolisme et psychiatrie" page 135-151).

R Eiber ("relation entre addiction et troubles du comportement alimentaire". Le courrier des addictions (1), n°2, mars 1999) évoque comme points communs des addictions et des TCA, la présence d’antécédents familiaux d’abus de substances toxiques ou d’alcool.

2.4) Chronologie d’apparition des troubles chez les sujets traités pour un TCA

D. Miocque (alcoolisme et troubles du comportement alimentaire in alcoolisme et psychiatrie, Masson, 2003, page 135-151) constate que l’installation de l’alcoolisme est secondaire à celle des TCA dans la majorité des cas. Il évoque l’étude de Higuchi et coll (alcoholics with eating disorders. Prevalence and clinical course. A study from Japan. Br J psych, 1993 ; 162 : 403-406) portant sur 3 592 sujets admis à l’Institut National d’Alcoolisme au Japon qui retrouve que 90 % des sujets présentant les deux pathologies ont d’abord souffert d’un TCA puis d’un abus d’alcool puis d’une dépendance alcoolique.

Lahmek ("comment gérer les compensations, les transferts de dépendances et les associations d’autres dépendances psychoactives" ; in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 294-310) confirme que généralement le TCA a précédé l’apparition de l’abus ou de la dépendance et rajoute que les personnes ayant le plus souvent cette association, présentent des troubles associés de la personnalité. Il évoque que lorsque l’alcoolodépendance précède l’apparition du trouble du comportement, le taux de comorbidité psychiatrique est plus élevé (Wiseman CV et collsubstance dependance and eating disorders : impact of sequence of comorbidity. Comp psychiat 1999 ; 40 : 332-336.)

3. Relation entre consommation d’alcool et troubles du comportement alimentaire sévères à mineurs et notamment consommation de sucre

Une relation inverse entre consommation de sucre et de confiserie et consommation d’alcool a été mise en évidence dans des populations d’hommes et de femmes, comme si l’appétence pour l’un se substituait à l’autre. Toutefois, les alcooliques ont une préférence plus marquée pour les produits sucrés (Pr. Jean Louis Schlienger et coll, "les compensations alimentaires" in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 291-293).

Une étude (Paille et coll, "la ration alimentaire du malade alcoolique avant et après sevrage". Bull Soc Franç alcool, 1982 ; 3 : 90-94) retrouvait une augmentation de la consommation des sucres d’absorption rapide, des desserts et des boissons non alcoolisées hyperglucidiques. Une étude prospective et rétrospective portant sur 222 alcooliques récemment sevrés retrouvait une augmentation de consommation de café, de chocolat, de confiserie et d’autres produits sucrés chez 78 % des sujets. Le désir de consommer de tels produits étaient corrélés avec le désir de consommer de l’alcool (Junghanns K et coll, "craving shift in chronic alcoholics. Eur Addict Res 2000 ; 6 (2) : 64-70.

Marlène Klein et coll ("compensations alimentaires après sevrage alcoolique. Résultat d’enquêtes" Alcoologie. 1996. tome 18. 2/179) retrouvait dans une étude sur 50 patients questionnés au début et à la fin de leur hospitalisation (4 semaines) pour sevrage, une augmentation de consommation de glucides, de produits doux, onctueux, gras, après sevrage, et évoque le rôle des opiacés endogènes dans le contrôle de la prise alimentaire.

Dean Krahn et all (sweet intake, sweet liking, urges to eat and wheight change : relationship to alcohol dependence and abstinence, addictive behaviors, xx 2005 xxx-xxx), dans une étude randomisée comparant à la fois un groupe de patients dépendants sevrés récemment entre eux en les séparant en 3 groupes (ceux recevant comme conseils diététiques de répondre aux envies d’alcool par des sucreries, ceux recevant des conseils pour une alimentation équilibrée et ceux recevant comme conseils d’éviter les sucreries) à la fois à un groupe de patients qui buvaient de manière modérée et un groupe de patients dépendants sevrés restés abstinents avec un groupe de patients non abstinents, ne retrouvaient pas d’effet significatif de la prise de sucre sur les envies d’alcool. Par contre durant le premier mois, les patients dépendants sevrés avait une préférence supérieure pour les sucreries par rapport au groupe contrôle, mais cette préférence a diminué au fil du temps (suivi sur 6 mois). Il n’y avait pas d’effets des recommandations diététiques sur les envies d’alcool ou sur les consommations d’alcool.

R. Eiber ("relation entre addiction et troubles du comportement alimentaire". Le courrier des addictions (1), n°2, mars 1999) évoque une étude montrant que les femmes qui ont un besoin irrésistible de sucreries et d’hydrates de carbone sont plus sujettes à l’abus ou à la dépendance alcoolique. Ce comportement serait associé à une recherche de nouveauté plus importante et elles auraient davantage de préoccupations corporelles.

Dean Krahn et coll (pathological dieting and alcohol use in college women-a continuum of behavior, Eating Behavior 6 (2005) 43-52) dans une étude sur des jeunes femmes en 1iere année de collège, confirme qu’il existe une relation positive entre la sévérité des troubles alimentaires restrictifs et la prévalence ainsi que l’intensité de l’utilisation d’alcool.

Les jeunes femmes qui sont dans le groupe des régimes restrictifs sévères, non seulement boivent plus mais expérimentent plus les conséquences significatives de leurs alcoolisations comme une perte de connaissance, des rapports sexuels non souhaités. En outre, elles fument plus. Les hauts taux de dépression étaient associés à un plus bas risque d’utilisation ou d’abus d’alcool. Ni l’histoire familiale, ni l’âge précoce de consommation d’alcool ne prédisait  un comportement d’alcoolisation. Il émet l’hypothèse que les sujets qui faisaient un régime sévère et qui se privaient d’un renforcement primaire créaient en eux des conditions de vulnérabilité dans laquelle la valeur de la récompense d’alternatives de renforcements (comme les substances psychoactives) sont augmentées.

Hypothèses d’explication des modifications du comportement alimentaire au cours du sevrage (Pr. Jean Louis Schlienger et coll, "les compensations alimentaires" in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 291-293).

L’augmentation de l’appétence pour les produits sucrés s’expliquerait par une compensation orale hédonique avec recherche par le malade d’un plaisir dont le prive l’interruption de l’alcool.

D’autre part, la consommation de produits sucrés élève le tonus sérotoninergique et peut compenser un  déficit en sérotonine endogène à l’origine de fatigue, de somnolence, d’une tendance dépressive. Le déficit en sérotonine décrit chez l’alcoolique pourrait expliquer les relations croisées entre prise d’alcool et glucides (Moorhouse et coll "Carbohydrate craving by alcohol-dependent men during sobriety : relationshipto nutrition and serotoninergic function". Alc Clin Exp Res 2000 ; 24 : 635-643)

L’alimentation peut être considérée comme un élément de régulation d’un état thymique négatif.

Jean-Luc Venisse ("Pertinence du concept d’addiction dans les troubles du comportement alimentaire" chapitre 100 du traité d’addictologie, pages 650-654) évoque aussi les propriétés pharmacogéniques éventuelles de certains aliments permettant de discuter les liens entre toxicomanie et TCA, notamment en ce qui concerne la dépendance au sucre (carbohydrate cravers) susceptible d’auto traiter une dépression saisonnière périodique ou encore les chocolatomanies.

Certains stress peuvent augmenter l’appétit par l’intermédiaire des opiacés endogènes dont la sécrétion est augmentée lorsqu’on mange des aliments savoureux (en général gras et sucrés) (Dr Fricker, "les troubles mineurs du comportement alimentaire" ; in addictions, septembre 2006 N°15).

4. Aspects cliniques et physiopathologiques de l’association de TCA et de la
dépendance alcoolique

  • D’un point de vue comportemental, la boulimie comme l’alcoolisme, est caractérisée par la mise en acte inlassablement répétée qui vise à soulager un état de tension interne et qui survient en cachette.
  • D’un point de vue psychodynamique, l’alcoolisme et les TCA traduiraient un déficit de fonctions du Moi et des ressources internes qui ne peuvent plus réguler de façon satisfaisante les affects et les états de tension interne. Ainsi, la consommation de produit (alcool ou nourriture) devient une préoccupation  quasi obsédante interférant avec le fonctionnement quotidien et limitant les investissement sociaux et affectifs des sujets. Ces conduites se poursuivent malgré leurs conséquences négatives, en partie du fait d’un mécanisme de déni qui rend difficile la demande de prise en charge (D. Miocque et M. Flament ("troubles du comportement alimentaire et alcoolisme" in synapse n°167, juin 2000).

Dans les deux cas, il y a pulsions, perte de contrôle, modification de l’activité quotidienne privilégiant la recherche ou la consommation du produit, des échecs de contrôle ou d’arrêt de ces conduites (Lahmek,"comment gérer les compensations, les transferts de dépendances et les associations d’autres dépendances psychoactives" ; in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 294-310).

R. Eiber et coll ("relation entre addiction et troubles du comportement alimentaire". Le courrier des addictions (1), n°2, mars 1999) évoque certains signes communs entre addictions et trouble alimentaires : préoccupations morbides envahissantes, perte de contrôle, dysfonctions cognitives, conséquences somatiques, socioprofessionnelles et financières.

  • Sur le plan des différences, Jean-Luc Venisse  ("Pertinence du concept d’addiction dans les troubles du comportement alimentaire" chapitre 100 du traité d’addictologie, pages 650-654) l’efficacité du symptôme anorexique dans les formes restrictives pures, pour éviter l’épreuve de la discontinuité à laquelle n’échappe pas le toxicomane qui est sans cesse en proie  à la peur du manque et dans l’anticipation du manque proche).

M. Flament, D. Miocque (alcoolisme et troubles du comportement alimentaire in alcoolisme et psychiatrie, Masson, 2003, page 135-151) évoque chez les sujets présentant des conduites alcooliques ou des conduites boulimiques, des caractéristiques communes, notamment l’impulsivité et la perte de contrôle face à l’objet d’addiction. Lacey et coll ("The impulsivist ; A multi-impulsivie personnality disorder. Br J Add, 1986 ; 81 : 641-649") ont décrit une forme multi impulsive  de boulimie dans laquelle plusieurs comportements pathologiques sont associés : boulimie, alcoolisme et/ou toxicomanie, tentative de suicide, conduites d’auto-mutilation, promiscuité sexuelle, kleptomanie.

Lahmek évoque la coexistence de la boulimie et de l’alcoolodépendance lors de certains des facteurs favorisants comme les troubles anxieux, l’inhibition psychomotrice, les troubles de l’affect (gestion du stress et des émotions), (J. ADES, C. Rondepierre, "troubles des conduites alimentaires et alcoolisme", alcoologie, N°1- 1989).

L’impulsivité, l’immaturité, la quête de sensation, la rigidité de la pensée.

Il existe une hétérogénéité des personnalités chez les patients boulimiques,

Les profils de personnalité les plus comparables ont été retrouvés chez les patientes consommatrices d’alcool ou de drogues et chez les femmes boulimiques consommatrices d’alcool ou de drogues (Shisslak et coll, "eating disorders and substance abuse in women : a comparative studyof MMPI patterns", J Substance Abuse, 1989 ; 1 : 209-212).

Certaines études (M. Flament, D. Miocque "alcoolisme et troubles des conduites alimentaires" Alcoolisme et psychiatrie, Masson, 2003, p 135-151) ont retrouvé chez les patientes boulimiques consommatrices d’alcool, une prise plus importante de diurétiques (contrôle du poids), plus de difficultés financières et professionnelles, plus de vols, plus de tentatives de suicide, plus de traitements hospitaliers, plus de troubles dépressifs, une plus mauvaise estime de soi. D’autre part, chez les patientes traitées pour une dépendance alcoolique, les antécédents de boulimie sont associés de manière significative à un début précoce de l’alcoolisme, à une consommation atteinte plus rapidement et à un poids plus faible.

Sur le plan neurobiologique :

Klein et coll ("problems of boundaries and comorbidity". In : Costello CG, editor. Basis issues in psychopathology. New York : Guilford Press, 1993 : 19-66) évoque le fait que la boulimie et alcoolodépendance seraient l’expression d’une même pathologie sous jacente comme un trouble du système opioïde régulant à la fois les prises d’aliments et d’alcool.

Selon Jean Luc Venisse ("Pertinence du concept d’addiction dans les troubles du comportement alimentaire" chapitre 100 du traité d’addictologie, pages 650-654), le jeûne comme les excès de suralimentation stimulent la production d’endorphine, ce qui permet de considérer l’anorexie mentale à certains égards comme une toxicomanie endogène. Il évoque la notion "d’orgasme de la faim". De nombreuses incertitudes persistent sur les points renvoyant à la place des opiacés endogènes dans le contrôle de la prise alimentaire, même si l’on sait plus globalement que des mécanismes neurobiologiques communs aux addictions avec ou sans drogue sont repérables, notamment au niveau d’une activation des circuits dopaminergiques mésolimbiques de récompense.

Etude française sur la boulimie (Réseau de Recherche Clinique INSERM n° 489014) M. Flament, D. Miocque "alcoolisme et troubles des conduites alimentaires" Alcoolisme et psychiatrie, Masson, 2003, p 135-151).

Etude multicentrique sur la boulimie qui a associé 20 services spécialisés dans le traitement des TCA en France, Bruxelles et Genève (368 femmes et 10 hommes répondant au diagnostic de boulimie du DSM IV). Une partie du protocole portait sur la consommation occasionnelle de substances psychoactives.

La prévalence vie entière de la consommation d’alcool chez les sujets boulimiques est de 13 % et prévalence actuelle de 8 %. Age moyen de 28,7 ans pour les patientes associant boulimie et consommation d’alcool, de 24,4 pour les autres

Sur le plan de la sévérité, les boulimiques consommatrices d’alcool semblent plus sévèrement atteintes, elles utilisent plus de laxatifs et de diurétiques.

Les troubles des conduites psychopathologiques associées (dépression, anxiété, TS, conduites à risque, accidents graves, symptômes anorexiques, tabagisme, fonctionnement mental de type "état limite" et multi-impulsivité) sont beaucoup plus fréquents dans le groupe boulimiques + alcool et les hospitalisations en psychiatrie sont plus fréquentes. On note plus de difficultés socio-professionnelles chez celles consommant de l’alcool.

Une augmentation de l’appétit faisant suite aux prises d’alcool était retrouvée.

5. Modalités évolutives

Lahmek ("comment gérer les compensations, les transferts de dépendances et les associations d’autres dépendances psychoactives" ; in alcoologie et addictologie 2001 ; 23 (2) : 294-310) évoque le fait que l’existence d’une alcoolodépendance fait partie des facteurs prédictifs d’une évolution péjorative, que la présence d’une dépendance alcoolique ou d’un abus aggrave le trouble alimentaire, soit par l’ajout de complications propres au problème alcool soit par la plus grande sévérité du TCA. Le pronostic vital de l’association alcoolodépendance-TCA semble plus péjoratif compte tenu des effets synergiques négatifs de la consommation d’alcool et de la dénutrition sur l’état somatique.

Pour ce qui est d’un transfert de dépendance, de compensation, il n’y a pas d’étude significative, la relation temporelle entre les deux affections reste mal connue.

L’association TCA-dépendance alcoolique ou abus d’alcool, si elle peut influencer l’évolution du TCA, ne semble pas modifier le pronostic de l’alcoolodépendance.

Dans l’étude française sur la boulimie, la présence d’une consommation d’alcool chez les patients boulimiques semble représenter un facteur de gravité (D. Miocque, M. Flament "troubles du comportement alimentaire et alcoolisme", Synapse, N°167, juin 200). Dans l’évolution, la conduite d’alcoolisation peut remplacer la conduite boulimique mais le plus souvent, les deux pathologies restent très liées au cours de l’évolution, l’amélioration de l’un entraînant l’aggravation de l’autre, ou les deux évoluant dans le même sens.

M. Flament, D. Miocque (alcoolisme et troubles du comportement alimentaire in alcoolisme et psychiatrie, Masson, 2003, page 135-151) évoque à travers une revue d’études, davantage de conduites alcooliques chez les sujets non guéris de leur boulimie que chez les sujets guéris. Ils parlent aussi de l’effet déshinibiteur de l’alcool sur la prise alimentaire, pouvant faire penser que l’alcool peut interférer sur la capacité des sujets à contrôler les crises de boulimie et les comportements de purge, favorisant ainsi les rechutes boulimiques.

6. Conséquences thérapeutiques

Il n’existe pas de thérapeutique validée, reconnue lors de la coexistence d’une alcoolodépendance et d’un TCA, mais la plupart des auteurs s’accordent pour une prise en charge mixte : addictive et nutritionnelle, par des équipes habituées à ces deux pathologies (Lahmek, M. Flamente et D. Mioque)

M. Flament et D. Miocque insistent sur une prise en charge précoce, par une équipe pluridisciplinaire :

  • Une approche nutritionnelle comprenant une composante comportementale (modification des comportements pathogènes), une approche cognitive (correction des dysfonctions cognitives majeures touchant le corps et l’aliment), une approche somatique objective ("les troubles du comportement alimentaire". Christine Vindreau. Chap. 101 du traité d’addictologie. Médecine-sciences-flammarion).
  • Une approche corporelle proposant un travail sur l’image corporelle (C. Vindreau).
  • Les TCC axées sur les deux pathologies (Lahmek, C Vindreau).
  • Un traitement antidépresseur par les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine qui ont montré une diminution de la fréquence et de l’intensité des accès boulimiques. Un traitement antidépresseur est évidemment indiqué chez le sujet déprimé. (D. Miocque ; C. Vindreau).
  • Psychothérapie individuelle (longue et complexe) et/ou de groupe pouvant aider les patients à repérer leurs troubles à travers un mécanisme d’identification et les aider à lutter contre des mécanismes de déni (D. Mioque).
  • Pour les gens jeunes, une thérapie familiale peut être proposée (D. Mioque)

S. Dawe et all montrent dans une étude (Case report : treatment of a woman with alcohol and binge eating problems, Behav Ther Exp Psychiatry 1998 sep ; 29) comment un traitement basé sur une approche cognitive et comportementale, avec une approche basée sur l’exposition, a pu permettre de traiter avec succès une femme avec une histoire de boulimie et de dépendance à l’alcool. A 12 mois de suivi, il existait une diminution de la prise d’alcool et des épisodes de boulimie avec vomissements.

Elayne S. Daniels et coll (Boulimia nervosa and alcohol dependance in Journal of substance abuse treatment, V 17, Nos 1-2, pp 163-166, 1999) à travers le cas d’une patiente de 34 ans, avec une histoire de boulimie depuis 20 ans associée à une dépendance alcoolique, incluse dans un essai visant à tester une stratégie pharmacologique chez les patientes ne répondant pas à un traitement par fluoxétine, montre que la patiente, alors qu’elle avait bénéficié de plusieurs traitements pour sa boulimie, alors qu’elle a reçu dans cette étude une placébothérapie, a bien répondu au travail psycho éducatif réalisé autour des conséquences  néfastes de son addiction à l’alcool et de l’impact négatif de ce comportement sur sa boulimie. La patiente a attribué ses progrès sur sa boulimie à son abstinence par rapport à l’alcool. Ce cas suggère que le traitement de l’addiction à l’alcool doit être associé au traitement des TCA et que l’abstinence à l’alcool peut faciliter la diminution de la symptomatologie de la boulimie.

Les passages entre conduites alimentaires et alcoolo-dépendance

Josy BONJOUR-PARDINI, Travailleur Social au CHRS LE CAP/AJD - décembre 2006

Parmi les substances utilisées pour supprimer l'appétit, accélérer le métabolisme, évacuer les calories non voulues et atténuer les émotions négatives, les rapports mentionnent la caféine, le tabac, l'alcool, les laxatifs, les émétiques, les amphétamines, la cocaïne et l'héroïne.

Les professionnels de la santé négligent souvent le lien entre l'abus de substances toxiques et les troubles alimentaires.

Les chercheurs ont trouvé qu'il n'existait pratiquement aucune option thérapeutique pour combattre ces maladies coexistantes.

Les femmes atteintes de boulimie qui sont alcooliques, présentent un plus haut taux de tentatives suicidaires, d'anxiété, de troubles de la personnalité et du comportement et de toxicomanie que les femmes boulimiques non alcooliques.

Voici une présentation de la bibliographie écrite et des articles sur le web sur ce sujet :

Bibliographie

Toxicodépendance problèmes psychiatriques

Sous la direction d'Isabelle GOTHUEY – 2003  éd. Médecine et Hygiène.

Livre qui regroupe les addictions et les différents troubles psychiques.

 

Drogues : substitution et polytoxicomanie

Jacques BUDENAERTS  – éd. L'Harmattan - 2002

Résumé : la drogue au XXIème siècle, est, selon l'auteur, avant tout l'accès massif aux produits de substitution et le développement de la polytoxicomanie (consommation de différentes drogues licites et/ou illicites par un même usager).

 

L'économie addictive

Jean-Paul DESCOMBEY– éd. Dunod – 2005

L'auteur met l'accent sur deux apports théoriques majeurs : Joyce Mac DOUGALL et Michael BALINT. Il propose une clinique indirecte fondée sur la double addiction (alcool et tabac).

 

L'alcoolique, les proches, le soignant

Henri GOMEZ - éd. Dunod

Pour le docteur Henri GOMEZ, il y a un profil des personnes alcooliques qui ressemble beaucoup à ce que nous connaissons du profil psychologique des personnes boulimiques.

 

Ecrits psychanalytiques classiques sur les toxicomanies

J.L. CHASSAING, B. BALBURE, A. DUFOUR, F. FARGES, P. PETIT. – Ed. Association Freudienne Internationale.

Ce livre de 668 pages regroupe de nombreux textes sur les addictions (alcool ou autres) dans lesquels les premiers psychanalystes font état de leur expérience et de leur réflexion concernant leur pratique avec ces patients.

Un ouvrage incontournable pour tous ceux qui sont confrontés à la question des toxicomanies.

 

Les conduites de dépendance

Maurice CORCOS – Ed. Masson – 2003.

Cet ouvrage constitue la première publication exhaustive des résultats d'une étude du Réseau Dépendance Conduite, de 1994 à 2000, sous l'égide de l'INSERM et de la Fondation de France et coordonnée par le Professeur Philippe JEAMMET. Il s'agit d'une étude multicentrique touchant 13 centres, 600 patients et 600 témoins.

L'objectif était de rechercher les dimensions psychopathologiques communes aux conduites de dépendance, quel que puisse être l'objet ou le comportement d'addiction (anorexie mentale, boulimie, alcoolisme et toxicomanie).

Ces facteurs psychopathologiques ont été appréhendés à deux niveaux différents et complémentaires : la personnalité dans son ensemble, en d'autres termes, existe-t-il des dimensions communes sous-jacentes aux conduites addictives, et la place occupée par la conduite de dépendance dans l'équilibre et le fonctionnement psychique du sujet.

 

Articles sur internet

Alcoolisme et troubles des conduites alimentaires

J. ADES, C. RONDEPIERRE – 1989 – Revue Psychologie Médicale.

Les relations entre alcoolisme, syndrome boulimique et anorexie mentale sont envisagées à partir des données de la littérature. L'association la plus fréquente est celle de conduites alcooliques à la boulimie, présentes chez 20 à 30 % des patients selon les études.

 

Website on eating disorders

Certaines personnes souffrant de troubles alimentaires peuvent aussi montrer d'autres comportements de dépendance ou d'autodestruction : alcoolisme, drogues licites et/ou illicites, blessures auto-infligées, coupures et les auto-mutilations.

Les troubles alimentaires ne coexistent pas toujours avec un autre trouble psychologique ou une dépendance, mais il n'est pas rare que ce soit le cas.

 

The new women's college hopital

Rapport publié par le National Center ou Addiction anda Substances Abuse (CASA).

Columbia University.

Joseph A. CALIFANO, Président du CASA

Susan FOSTER, Vice Présidente di CASA.

Ce rapport de 73 pages indique que l'anorexie mentale et la boulimie sont les troubles alimentaires les plus couramment associés à la toxicomanie et à l'alcoolisme.

Pour plusieurs jeunes femmes, les troubles alimentaires comme l'anorexie et la boulimie sont étroitement liés au tabagisme, à la consommation excessive d'alcool et à l'usage de drogues illicites.

 

Abus de substances toxiques et troubles alimentaires : caractéristiques communes :

  • Préoccupation obsessionnelle, fringales, comportements compulsifs, repli sur soi, rituels,
  • Altération de l'humeur, isolement social,
  • Lien avec d'autres troubles psychiatriques, suicide,
  • Difficile à traiter, potentiellement mortel,
  • Maladies chroniques avec des taux de rechutes élevés,
  • Demandent un traitement intensif.

Nous reprenons ci-dessous :

➢       une présentation du centre du CAP

http://www.fondation-ajd.com/text/afa5220-26.html

➢       Le résumé du rapport d'activité 2006 du CAP.

LES AMIS DE JEUDI DIMANCHE

AJD Le CAP

45 montée de Choulans 69005 LYON

Tél. 04 78 42 24 67

Responsable : M. Jean-Pierre NICOLAS

Public : Femmes de 18 à 55 ans sans domicile – relevant du judiciaire – victimes de violences – ayant des troubles du comportement – sortant de prostitution – en danger.

Historique

L’origine du CAP remonte au début des années 50 lorsque l’œuvre de la Visite des Détenus dans les Prisons, par l’intermédiaire d’une personne particulièrement dynamique, décide d’étendre son activité d’aide générale aux personnes après incarcération en créant un « centre social » pour l’accueil de 3 femmes dans un local modeste adossé à l’église St Bonaventure à Lyon.

Ce centre sera agréé en 1953 par le Ministère de la Population et prendra ensuite le nom de Centre d’Accueil et de Placement.

Ultérieurement l’œuvre de la Visite des Prisons ne souhaitera pas s’engager davantage dans cette activité d’hébergement. Quelques administrateurs vont alors créer une association indépendante en 1961 : le CAP-Centre d’Accueil et de Placement - qui deviendra en 1963 le Centre d’Accueil et de Promotion. Cette association achètera en 1967 et 1972 les locaux actuels du CAP au 45 et 51 montée de Choulans Lyon 5ème .

2004 : fusion AJD

Mission

Le CAP est un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) qui a pour mission d’accueillir et d’héberger 40 femmes seules âgées de 18 à 60 ans, en situation d’exclusion pour des raisons psychologiques, familiales, sociales ou financières.

L’accompagnement proposé par une équipe éducative pluridisciplinaire doit permettre à ces personnes de trouver un équilibre de vie, de faire des choix et de se prendre en charge de façon plus autonome.

Un service de suite agréé pour 20 femmes prend le relais pour celles qui ont encore besoin d’un soutien après leur sortie. Il accompagne également des femmes en difficultés adressées directement par les services sociaux de proximité.

L’hébergement sur deux maisons de chacune 20 places ( les « 45 » et « 51 ») articulé autour d’une vie quotidienne partagée et organisée par un règlement de fonctionnement interne.

Outre la reconstruction que peut offrir ce mode d’hébergement, chaque personne bénéficie d’un suivi personnalisé pour élaborer et mettre en place un projet d’insertion qui lui soit propre (restauration de son image, soins médicaux, formation, emploi, accès au logement)

Dès leur arrivée, un travailleur social référent est désigné pour assurer le suivi tout au long de ce parcours, aidé en cela par le travail en réunion d’équipe et l’analyse de la pratique professionnelle effectuée par le psychologue de l’établissement.

Une équipe de 23 personnes assure le fonctionnement général de l’établissement, dont 12 travailleurs sociaux, 1 psychologue, 6 veilleuses de nuit ainsi que 6 salariés pour l’intendance, les cuisines, l’administration et la direction.

(tableaux de statistiques à inclure)

 

Investissement et désinvestissement du suivi thérapeutique par les sujets alcoolo-dépendants.

Estelle THIBAUDEAU, Psychologue Alcoologue à C2A. - décembre 2006

Je tiens à préciser dans un premier temps le cadre dans lequel je travaille en tant que psychologue auprès de sujets alcoolo-dépendants. Dans le centre de soin C2A (centre d'accompagnement en alcoologie et tabacologie), j'effectue des entretiens individuels d'une demi-heure à raison, dans la majorité des cas, d'un entretien tous les 15 jours.

Ces patients peuvent être abstinents, sortant de cures mais ils peuvent aussi faire une première démarche de soin en étant dans une dépendance alcoolique plus ou moins nocive.

J’ai été confrontée à une interrogation qui m'avait déjà interpellée lors d'un stage dans un centre de soin auprès de toxicomanes. A savoir, que des patients, à priori dans une grande motivation pour se soigner, rompaient le lien sans explication et me laissaient dans un certain nombre de vécus désagréables dont je vais vous énumérer une liste exhaustive:

  • L'incompréhension et un engourdissement psychique : c'est le cas où l'entretien s'étant bien passé, j'attends patiemment mon patient avec une certaine assurance de sa venue.

Le temps passe, il ne vient pas. Je ne comprends pas. Je reprends les quelques notes du dernier entretien en espérant y trouver une réponse ! Je n'arrive pas à penser.

  • L'épuisement : mon patient vient pendant une certaine période très régulièrement puis arrête, repousse les entretiens, arrive en retard, etc…
  • L'étonnement quand d'une dépendance alcoolique, des patientes passent à l'anorexie, la boulimie, pour revenir à l'alcool.
  • Le ressenti de vide : quand le patient ne vient pas.
  • Le ressenti de plein : quand le patient est logorrhéique.

  • L'agressivité quand face au risque vital qu'il encoure il ne "fait" rien et me le montre. Envie de le secouer, de le forcer.

  • La blessure narcissique quand l'arrêt inexpliqué d'un suivi est vécu comme un échec de mes capacités  professionnelles.

Je souhaite vous proposer un apport théorique succinct pour tenter de comprendre les modalités de liens de certains patients alcoolo-dépendants. Mon hypothèse étant la suivante : ce mouvement d'investissement et de désinvestissement  dans la relation serait une défense face au risque d'une dépendance à l'autre et en résonance avec un lien primaire défaillant.

Autrement dit, que nous disent ces patients par ces séparations répétées et incompréhensibles de leurs propres vécus ? Quelle place tient l'alcool (ou une autre drogue dans certains cas) dans ce fonctionnement psychique ?

Si je reprends l'incompréhension dans laquelle je me suis souvent retrouvée face à leur absence, on peut émettre l'hypothèse que j'ai vécu ce qu'eux-mêmes ont pu déjà vivre face à une situation énigmatique. L'environnement n'aurait pas donné des repères suffisamment sécurisants, réguliers, précis pour que l'enfant qu'ils ont été soit rassuré et puisse intégrer l'absence de l'autre.

Le sujet peut se retrouver dépendant d'une mère toute puissante, source de vie et de mort. Elle peut se comporter de façon arbitraire, l'enfant étant dépendant de sa seule volonté, sans appuis sur des règles constantes. Il recherche des repères constamment déplacés par la mère. Enfin, c'est une mère impossible à satisfaire car elle positionne son enfant dans le rôle d'un Moi-idole (terme de Gébérovich). C'est-à-dire qu'au lieu de se regarder dans ce que lui renvoie le visage de la mère le regardant, il est contraint pour exister, de "se mouler" au regard narcissique de la mère sur elle-même. Il n'est pas un sujet singulier, à part entière, mais un support pour le narcissisme défaillant maternel.

La mère "suffisamment bonne" de Winnicott retrouve au bout d'un moment d'autres centres d'intérêt que son bébé. Mais pour certaines mères, cette différenciation ne s'effectue pas et elles se retrouvent  dans une relation addictive au bébé. Il ne peut pas développer ses propres ressources internes car il lui manque le manque.  La mère manipule l'enfant pour s'en servir pour ses propres besoins. Il ne peut pas se défendre de cette soumission étant dans une dépendance à cette mère nécessaire à sa survie. Cette ambivalence va se retrouver dans un besoin anaclitique à l'objet, c'est-à-dire un besoin d'être collé et en même temps de ne pas être dépendant de lui.

Lors de nombreux entretiens, je n'ai pas échappé au sentiment de manipulation qui peut être compris par cette utilisation de l'autre comme objet vécu précocement. Le sujet répète cette relation pour avoir un contact tolérable avec autrui. Il pense éviter l'emprise d'un objet extérieur en le maîtrisant tout en restant dans cette ambivalence d'être dépendant à un toxique.

Certains patients décrivent plutôt une mère ou un environnement dépressif.  Il serait alors carentiel dans le sens où le bébé ne rencontrerait pas son objet d'attachement, celui-ci étant inadéquat. On peut faire l'hypothèse qu'une mère dépressive ne renvoie à l'enfant qu'un regard vide ou triste. Sa capacité à investir le corps de son enfant est trop faible pour lui permettre de former ce moi-peau si important par la suite. Cette mère absente ne peut pas répondre aux cris de son bébé et ne peut pas s'identifier à ses besoins. Il est important de souligner qu'il sera plus ou moins sensible à ce qui lui arrive.

L'enfant n'ayant pas une expérience de plaisir avec la mère par le partage, sera en difficulté à pouvoir exprimer ses propres expériences de plaisir. Cette mère n'accompagne pas ses soins avec de l'affect. L'enfant subit une mère qui ne répond pas, il est passif face à celle-ci.

André Green a décrit le syndrome de la mère morte. C'est une dépression survenant après un deuil, une déception amoureuse ou professionnelle et qui entraîne la mère dans un brusque arrêt des investissements envers son enfant. Celui-ci ne comprend pas ce qui lui arrive, il est devant une perte d'amour  auparavant existante, une perte de sens. On retrouve ici la difficulté à penser, à se représenter l'absence que certains patients nous font vivre dans les entretiens. Les suivis interrompus, sans explications, brutalement, peuvent renvoyer à ce vécu possible d'une mère dépressive.

Comment l'enfant va-t-il survivre psychiquement à cet environnement défaillant ?

Il va se retourner sur son corps, sur sa motricité. Il va utiliser l'autostimulation, une quête de sensation par son propre corps. Philippe Jeammet approfondit cette idée ainsi :

"Dans le cas de carence relationnelle précoce l'enfant développe une activité de quête de sensations. A la place de la mère il recherche des sensations douloureuses qui ont toujours une dimension autodestructrice. L'absence de l'objet investi n'est plus remplacée par le plaisir du recours à une activité mentale ou corporelle mais par l'autostimulation mécanique du corps. Sans l'objet, l'appétence de l'enfant, sa pulsionnalité, ne sont que violence en quête d'un contenant et d'une limite".

Le bébé tente de se sentir exister, c'est-à-dire de pouvoir avoir un sentiment de continuité et celui d'être différencié. Les sensations vont lui permettre de sauvegarder les contacts mais pas les liens.

L'enfant, sans sa mère, panique et se désorganise, il ne peut se représenter cette absence et tente alors de "s'accrocher" au percept pour contrôler ses angoisses. Le paradoxe dans lequel l'enfant carencé est confronté est alors : plus il se trouve dans une insécurité interne plus il a besoin de l'entourage pour se rassurer et moins il peut recevoir.

A l'adolescence, l'angoisse de perte et de séparation dont il est confronté ne peut pas être maîtrisée car elle dépend des autres. Par contre le sujet peut être maître de son échec et des comportements d'autodestruction. Les suivis interrompus mettent en échec une thérapie possible. La relation de dépendance à l'enfance le renvoie au risque d'une dépendance au thérapeute et à une possible déception qui serait blessante pour ses assises narcissiques fragilisées. Ce qui nous permet de nous questionner sur les patients devenus dépendants au thérapeute…

Il existe également des patients ayant eu un environnement violent dans leur enfance. L'autre, par exemple le soignant, peut être investi d'un pouvoir destructeur et ceci par projection des pulsions destructrices. Il y a une lutte engagée par le patient entre la menace de ses liens à autrui et sa sauvegarde narcissique par la disparition de cet objet.

Quels rôles pourraient avoir l'alcool ou un autre produit dans cette problématique du lien ?

L'état de détresse du nouveau-né, son état de dépendance, bloque ses possibilités d'intériorisation. Les personnes addictées transforment donc les liens humains en un surinvestissement du corps. Mais également ils substituent aux émotions la quête de sensation. En buvant une certaine quantité d'alcool, les sujets dépendants neutralisent des excitations trop fortes que leur pare-excitation ne peut assumer. Les demandes du corps vont être d'apaiser les tensions internes par un objet extérieur, elles vont être de calmer l'état de manque.

On peut émettre l'hypothèse selon Michèle Monjauze que "l'alcoolique en répétant l'alcoolisation de manière incoercible, cherche la reviviscence d'un traumatisme spécifique que l'alcool, par ses propriétés spécifiques, réactive."

En même temps que l'alcool est anxiolytique, ses divers usages compulsifs entretiennent les angoisses archaïques, angoisses de chute, de vidage, d'écoulement, de disparition.

L'alcool est un liquide. Cette absorption est le premier réflexe auto conservateur. Certains patients boivent énormément d'eau mais l'alcool apporte une certaine excitation gustative et apporte donc une sensation, là où les autres produits avaient échoué.

Les patients formulent également que l'alcool leur permet de créer des liens avec les autres, l'effet desinhibiteur aidant. Pour d'autre, l'alcool sera un liant social.

En tant que soignant, il est important de créer des liens alors même que nous sommes confrontés à cette discontinuité. Les liens que l'on peut créer en premier lieux sont des liens entre professionnels, entre collègues, entre structures de soin.

Mise à jour le Mardi, 18 Juin 2013 08:54