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collectif - baclofène...

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Un point sur le baclofène 
selon le Centre de Pharmacovigilance


Introduction par Brigitte Bouvier-Poulat,
psychiatre addictologue - ELSA du CH Le Vinatier

Le thème de cette matinée nous ramène au sujet du baclofène, sujet dont nous souhaitions débattre avec tous les participants réunis ce matin représentant différentes composantes du soin et de l’accompagnement dans le champ des addictions.

Nous sommes de plus en plus en plus sollicités  dans notre pratique clinique quotidienne par les demandes insistantes de prescription de cette molécule.

L’engouement suscité par la publication du livre d’Olivier Ameizen il y a quelques années, et sa large médiatisation, relayée régulièrement par des personnalités, a renforcé positivement la reconnaissance de la maladie en même temps que l’affirmation d’un nouveau traitement de cette maladie. Sa force de conviction a créé un courant auprès de patients et de certains praticiens acquis à la cause et diffusant le baclofène.

Pendant un temps, le nom de ces prescripteurs est resté assez confidentiel se délivrant uniquement de bouche à oreille.

Loin de prendre une position manichéenne, tentons d’éclairer de quelques commentaires les controverses actuelles.

Quelques constats :

A l’ère de la "médiatorisation", la prudence pharmaceutique s’impose sans preuve d’études cliniques correctement conduites permettant de définir intérêts et résultats de cette molécule, notamment le principe de non mal efficience concernant tout médicament avec la garantie d’un bénéfice supérieur au risque du traitement.

L'expérimentation personnelle, serait elle même celle d’un médecin n’a pas valeur de preuve scientifique.

Certes ce traitement est ancien et bien connu en neurologie mais les doses suggérées pour le traitement de l’alcoolodépendance sont très largement supérieures aux doses préconisées dans les séquelles de maladies neurologiques.

L’augmentation du dosage se fait par paliers de 10 ou 15mg jusqu’à des doses de plus de 120 mg en général avec apparition d’effets secondaires qui peuvent être très marqués. Un certain nombre de patients interrompt précocement à cause de ces effets secondaires : sédation ou  l’hypotonie  handicapante  ne permettant pas par exemple de conduire un véhicule. Le baclofène étant une molécule ancienne, le  laboratoire n’a que peu d’intérêt à financer des études poussées.

Il faut bien reconnaître que nous sommes démunis dans la pharmacopée actuelle disponible, les molécules spécifiques du traitement du craving sont bien tolérées mais leur efficacité est très limitée dans le temps, voire peu active sur ce symptôme. Il nous manque des molécules adaptées au profil des patients.

L’espoir suscité auprès des patients ou familles est tel qu’ils sont prêts à s’en procurer sur un marché  parallèle sans aucune surveillance

Mon expérience de suivi, car je ne suis pas encore prescriptrice, montre que la détermination des patients mène à des prescriptions sauvages avec certains médecins peu alertés, ou des démarches par Internet avec dosages inappropriés.

Je connaissais cette molécule prescrite pour des patients porteurs de séquelles neurologiques que j’avais croisés, cela ne les avais point empêchés de présenter une addiction à l’alcool. Jusqu’alors je n’ai pas pu observer de résultats tangibles, mon observation est probablement biaisée par le recrutement de patients souffrant de troubles psychiatriques.

Je me suis intéressée au protocole d’une équipe du CHRU de Lille regroupée autour du  Pr Cottencin. Leur équipe pluridisciplinaire examine les demandes de prescriptions, il s’agit d’une collaboration entre psychiatres, pharmacologues, afin d’inclure et d’observer le suivi d’une prescription toujours conditionnée par l’échec de tentatives de traitements antérieurs et par l’absence de comorbidités psychiatriques.

Plusieurs problèmes se posent ; il existe une proximité des symptômes du syndrome de sevrage et du surdosage. Le baclofène est contre indiqué en cas de risque épileptique et de problèmes psychiatriques. Le traitement ne doit pas comprendre de benzodiazépines qui accroissent la diminution de vigilance. Il existe des risques de coma et le sevrage de baclofène peut être sévère.

Les centres de pharmacovigilance recueillent régulièrement les  incidents liés à cette molécule

La présentation de ce médicament a laissé place pour certains patients à l’espoir de retrouver une consommation contrôlée d’alcool tout en supprimant les effets du craving, composante essentielle de la dépendance neurobiologique.

Les soins des personnes souffrant d’une addiction sévère à l’alcool ne sauraient se résumer à la seule part pharmacologique, au détriment des autres dimensions de la prise en charge, approche  psycho dynamique, thérapies cognitivo-comportementales et tout l’aspect de l’accompagnement social et environnemental.

 

Alexandra Boucher
Pharmacienne - Centre de Pharmacovigilance


Le baclofène : données de toxicologie

Le baclofène (ou Liorésal®) est commercialisé en France depuis les années 70. Il est indiqué dans le traitement symptomatique de la spasticité (contractures musculaires) sévère d'origine médullaire (moelle épinière) ou d'origine cérébrale.

Les doses usuelles dans cette indication sont de l'ordre de 30 à 80 mg par jour, pouvant être portées à 100 voire 120 mg par jour lors d’un traitement hospitalier.

Son utilisation récente dans le sevrage alcoolique n’est pas validée et repose sur la médiatisation d’un livre "Le Dernier Verre" relatant l’expérience individuelle du Dr Ameisen et sur des études cliniques à la méthodologie discutable. Les posologies proposées par voie orale sont alors nettement plus élevées : au-delà de 100-120 mg par jour voire jusqu'à 270 mg par jour.

A ce jour, les données sur la sécurité d’emploi du baclofène à des doses aussi élevées, en association avec l’alcool ou en association avec d’autres médicaments chez les patients alcoolo-dépendants, sont encore limitées.

Ce médicament n’est pas anodin ni dépourvu de toxicité. Le seuil et l’expression de cette toxicité sont très probablement fonction du caractère naïf (c'est-à-dire n’ayant jamais pris de baclofène) ou non des patients. Chez l’adulte non traité, des doses élevées (200 à 300 mg) peuvent entraîner une phase d’agitation suivie d’un coma parfois émaillé de convulsions, pouvant s’accompagner de troubles des fonctions vitales (ralentissement de la fréquence cardiaque et respiratoire, hypotension artérielle...), imposant une prise en charge médicale rapide et adaptée. Chez le patient traité, les signes d’intoxication aiguë peuvent être plus limités. En revanche, en cas de traitement prolongé, un syndrome de sevrage peut survenir à l’arrêt brutal avec apparition d'une agitation, d'un état confus, d'hallucinations voire de convulsions.

Selon les données de pharmacovigilance, les effets indésirables les plus fréquemment rapportés aux doses recommandées dans le traitement de la spasticité sont la somnolence, l’état confusionnel et les nausées. Ils surviennent le plus souvent en début de traitement et disparaissent après diminution de la posologie ou peuvent être prévenus par une augmentation très progressive des doses. Signalons ici qu’un suivi national renforcé de pharmacovigilance est en place depuis mars 2011, incitant les professionnels de santé et les patients à déclarer, au centre régional de pharmacovigilance dont ils dépendent, les effets indésirables constatés, particulièrement dans le cadre d’une alcoolodépendance.

Pour autant, il est nécessaire de prendre en compte également les données des Centres Antipoison (CAP). Ces derniers ont colligé les cas d'exposition au baclofène répertoriés dans la base nationale des CAP entre 2003 et 2007. Ils ont ainsi analysé 291 cas, dont 95 où le baclofène était le seul produit impliqué. Certains points méritent d'être soulignés :

  • parmi les circonstances d'exposition, la proportion inhabituellement élevée d'erreurs thérapeutiques (plus de 46 % des cas) dont 20 % se sont avérées symptomatiques ;
  • les tentatives de suicides (22% des cas) étaient quasiment toutes symptomatiques, y compris quand le baclofène était seul en cause ;
  • 38 % des cas où le baclofène était le seul produit impliqué furent symptomatiques : parmi eux des cas parfois graves avec survenue de coma, de convulsions ou de complications cardiorespiratoires.

Les principaux risques à craindre en cas d'utilisation du baclofène à une large échelle dans la prise en charge de l'alcoolodépendance sont de nature variée, par exemple :

  • surdosage (après escalade trop rapide des doses ou en cas d’intoxication volontaire) ; apparition de convulsions (d'autant que la consommation d'alcool est parallèlement interrompue) ;
  • interactions médicamenteuses (en particulier avec les autres médicaments qui altèrent la vigilance ou certains antidépresseurs) ou encore :
  • survenue d'un syndrome de sevrage.

Beaucoup de questions restent donc encore en suspens : que faire en cas de pathologie psychiatrique associée ou de mauvais suivi (ou observance) du traitement ? Que faire en cas d'insuffisance rénale voire hépatique (qui peuvent perturber l'élimination du baclofène de l'organisme) ? Quelle surveillance instaurer ? Etc…

Les données disponibles concernant le baclofène incitent donc à la prudence. Si l’installation d’une tolérance au cours d’un traitement chronique permet d’envisager une élévation du seuil exposant à un risque toxique sévère, elle augmente en revanche d’autant le risque de sevrage. Ces éléments se doivent d’être considérés en cas de prescription chez le patient alcoolo-dépendant souvent enclin à une mauvaise observance thérapeutique et/ou souffrant de troubles anxio-dépressifs majorant le risque d’intoxication médicamenteuse volontaire.

Le débat est toujours de mise et seule la réalisation d’essais cliniques contrôlés pertinents pourra permettre de valider l’efficacité du baclofène dans l’aide au maintien du sevrage alcoolique, comme de préciser le profil de sécurité d’emploi du baclofène chez les patients alcoolo-dépendants et le rapport bénéfice/risque des doses élevées préconisées dans ce contexte particulier.

Mise à jour le Lundi, 24 Mars 2014 15:40