Groupe Santé Justice :
Dr Catherine Delachenal, Psychiatre Alcoologue et Gabrièle Korn, Psychologue Clinicienne
Gabrièle Korn (Psychologue Clinicienne) a dû s'excuser le jour de la présentation.
HISTORIQUE
C'est début 2005 que nous avons décidé d'élaborer autour d'un groupe santé justice pour plusieurs raisons :
la première est que j'arrivais des prisons de Lyon où j'avais travaillé comme médecin alcoologue, la seconde parce que nous avions la chance de travailler à C2A avec Gabrièle Korn, Psychologue Clinicienne qui anime à la Préfecture des stages sur conduite et alcool, et enfin parce que C2A, de par son histoire, compte une très importante population post-carcérale en obligation de soins.
Le groupe a donc lieu dans les locaux de C2A.
DEFINITION DE L'OBLIGATION DE SOINS
L'obligation de soins est définie par l'art L 132-45 du code pénal.
“L'obligation de se soumettre à des mesures de contrôle, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation".
Elle intervient en post sentenciel.
C'est une démarche imposée, c'est une sanction pénale.
BUT
Faire prendre conscience du délit et éviter les récidives pour la justice, en somme on recherche la paix sociale. Dans notre époque de victimisation, l'obligation de soins est de plus en plus demandée par la justice.
Dans les lois, règlements, décrets, il n'y a pas de définition des conditions précises de la mise en œuvre de l'obligation de soins.
L'indication de cette mesure se fait à partir de la justice, en dehors de toute compétence médicale.
C'est le juge qui décide de la durée et qui définit l'indication.
Cependant, le justiciable est libre de choisir la structure ou le médecin qui mettra en œuvre cette obligation de soins.
ORGANISATION
Le rythme est mensuel.
Il y a gratuité du suivi.
La durée est d'une heure.
PARTENAIRES
Comme partenaires, nous avons la Préfecture et la Justice par l'intermédiaire du SPIP (service pénitentiaire d'insertion et de probation).
Nous nous rencontrons une fois par an.
PUBLIC
Toute personne sous main de justice adressée par le JAP (juge d'application des peines) et le SPIP.
CADRE
Un entretien préalable a lieu en vue de l'orientation dans le groupe. Cet entretien est très important car il permet de proposer des entretiens individuels à des personnes qui seraient trop en difficulté dans un groupe.
Le règlement est redit en début de groupe.
Une attestation de présence est remise à chaque participant.
COMPOSITION DES GROUPES
Le groupe étant ouvert, on a eu parfois un nombre important de participants pouvant aller jusqu'à 20 personnes avec une majorité d'hommes.
Quatre personnes ont demandé un accompagnement individuel.
Les groupes sont composés en majorité de participants qui sont là pour des problèmes de récidive de conduite sous alcool. Une personne est là pour des violences conjugales.
CONTENU DES SEANCES
Cette année a vu la continuité du travail à partir du groupe. Les plus anciens apportant des réponses aux questions des nouveaux chaque fois que cela a été possible. Les réponses aux questions médicales ou concernant la sécurité ont été mises en débat.
On a pu remarquer une participation importante de chacun. Parfois les nouveaux inscrits semblent un peu intimidés mais ils finissent par s'exprimer après un temps d'adaptation.
Actuellement, en cette fin d'année, on peut dire que le groupe est constitué d'une douzaine de personnes venant régulièrement à chaque séance ce qui a permis d'instaurer des relations de groupe inter-individuelles au-delà de simples échanges banalisant la consommation du produit sur un mode défensif (on boit comme tout le monde). Cela a favorisé un travail sur les représentations et le vécu de chacun par rapport au produit alcool, voire pour certains, un travail sur leur histoire personnelle. Ainsi ils arrivaient à s'interroger sur leur façon de consommer, sur ce qui avait pu les amener à consommer et où ils en étaient par rapport à leur consommation. Dépendants ou pas, " alcooliques" ou pas. Le type d'aide que certains participants avaient pu trouver servait de guide pour certains d'entre eux.
Le groupe s'est constitué autour d'un noyau de participants et cela est moteur. Des résistances subsistent mais la parole circule et les plus anciens peuvent aborder leur vécu.
QUELQUES REFLEXIONS
S'occuper d'un groupe de personnes en obligation de soins était pour nous un défi car peut-on consentir librement à un soin lorsque le refus est synonyme d'exécution de peine d'emprisonnement. Mais ces personnes dites obligées de se soigner sont peut-être plus libres que les patients que nous voyons dans nos consultations, obligés, eux, de se soigner, soit par leurs familles soit par leurs conjoints. Nous avons dans le groupe un patient de 50 ans qui vient avec sa soeur dont il ne se sépare jamais. Elle a demandé à participer au groupe et pour une fois, elle attend dans la salle d'attente, ce qui a permis au frère d'avoir son propre espace et de s'exprimer.
Comment s'articuler avec la justice ? Comment relier une mesure d'obligation avec notre travail de thérapeute ? Ils font l'objet d'une mesure d'obligation de soins et nous les conduisons à redevenir sujets de leur soin.
Comment aider les patients à s'approprier le soin ?
Comment les aider à se responsabiliser ?
Il est vrai que les objectifs de la santé et de la justice ne sont pas les mêmes.
Nos objectifs ne sont pas forcément les mêmes.
Les objectifs judiciaires sont la prévention, la paix publique, la lutte contre la récidive.
Les objectifs des thérapeutes sont de préserver la santé, de soigner, avec l'accord du patient.
Il y a aussi le problème du secret médical. D'où une simple attestation est délivrée.
Chacun doit garder sa place.
Nous sommes garants du secret, de ce qui est apporté. Ce qui est mis en forme dans nos règles établies dans notre groupe.
Quel est le travail du thérapeute dans un groupe santé/justice : prévention ou soin ? Et prévention de quoi ? Et quel soin ? Quand on sait que parfois le symptôme est salutaire ou du moins significatif d'une souffrance à élaborer. Quand on sait que le déni, au sens psychanalytique du terme est une défense pour réduire l'angoisse ou la dépression. Peut-être ne sommes nous ni dans la prévention, ni dans le soin mais plutôt dans un espace transitionnel, une aire de jeu au sens winnicotien où les patients peuvent à nouveau faire place à l'imaginaire, au partage des représentations, à l'expression des émotions avec un groupe qui soutient, qui porte, qui contient, qui métabolise comme la mère et sa fonction alpha au sens Bionnien du terme.
Au début, nous étions dans l'information et la sensibilisation. Nous voulions amener les participants à une démarche de soins par une meilleure connaissance des risques. Nous étions dans le didactique. Mais très vite, nous avons été mises en difficulté.
Un jour, un patient, a bu pendant toute la séance du whisky caché dans une bouteille de coca. Il a embolisé le groupe, a posé de nombreux problèmes de par la déshinibition dont il a fait preuve à la fin du groupe.
Cet événement nous a remises en question et a permis de complètement quitter le didactique pour une vraie dynamique de groupe. C'est ce qui se passe actuellement.
Le groupe est maintenant constitué autour d'un noyau de participants et cela est moteur. Des résistances subsistent mais la parole circule et les plus anciens peuvent aborder leur vécu.
Nous pourrions terminer par cette phrase du juge Xavier Lameyre par rapport à ce que devrait représenter l'obligation de soins pour les patients.
Une liberté offerte : "avec les privations et les restrictions des libertés imposées par une pénalisation croissante des conduites addictives ou transgressives, doit coexister l'inviolable liberté offerte par l'espace et le temps thérapeutique qu'une société d'hommes libres, de sujets de droit a toujours défendue".