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Relave - colloque

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Thierry RELAVE (membre du CA d’ARIA et bénévole au CAARUD RuptureS)

Colloque du 18 septembre 2015

De la santé communautaire à la santé publique : itinéraire de la réduction des risques

Historique de la RDR

Préambule

Engagement bénévole à RuptureS il y a plus de 10 ans, la découverte d'un CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues) et de la RDR, (Réduction des Risques) les rencontres formidables, mon enrichissement personnel, l'engagement au sein du Conseil d'Administration, coup de chapeau aux travailleurs sociaux...

Introduction

Il n'existe pas de stratégie unique qui puisse répondre de manière vertueuse ou systématique aux problèmes liés aux addictions (quelles qu'elles soient. Le champ addictif s'élargissant de plus en plus : drogues, alcool, tabac, sexe, argent, jeux, consommation frénétique de médicaments etc) et dont l'attrait pour beaucoup d'entre-elles, est directement sollicité par nos modèles de société et par des biais que nous connaissons très bien ; l'appât du gain, le mercantilisme, le libéralisme économique, le marketing etc, dont les intérêts sont très rarement en adéquation avec les problématiques de santé. Ces sociétés donc, celles-là même qui sont sensées nous protéger favorisent dans bien des cas l'attrait pour l'addiction. Bref, pas de stratégie unique donc mais une convergence d'actions complémentaires (j'aime ce mot !) qui doit s'articuler afin de les rendre le moins dommageable possible. Et ce "moins dommageable possible" EST le cheval de bataille, LA priorité essentielle de la RDR.

Les origines

L'approche de la RDR dans sa version la plus ancienne remonte à 1926 en Grande-Bretagne. Suite à un rapport démontrant que les personnes héroïnomanes avaient tendance à arrêter leur consommation au bout de 10 à 20 ans si tant est qu'elles aient pu rester en vie jusque là. Réduire les risques liés à la consommation apparaît donc comme une alternative au sevrage et à l'abstinence immédiate jusqu'alors préconisés et pratiqués avec des méthodes qui font froid dans le dos aujourd'hui. La politique de santé publique du Royaume-Uni va être influencée tout au long du XXème siècle par cette approche, notamment par des prescriptions légales d'héroïne et de morphine par certains médecins,jusqu'à la distribution de seringues et l'accès au traitements de substitution au milieu des années 80. Le principe étant de garder l'usager en bonne santé le plus longtemps possible, jusqu'au moment ou il s'engagera dans un changement de son comportement d'usager. En France, depuis 1916, seul l'usage de drogue en société était pénalisé. Au début des années 70, suite aux révoltes de 68 et à l'émergence du mouvement hippie, les politiques craignent un développement massif de la consommation de drogues (cannabis et héroïne principalement). Le gentil législateur va donc tracer une frontière entre le mal "relatif" ; l'alcool et le tabac, et le mal "absolu" : la drogue. Cette loi dont on pourrait discuter durant des heures de son absurdité (ou pas) à être maintenue, est connue de tous comme la loi du 31 décembre 1970, dite "Loi 70". Sont alors regroupés sous le nouveau terme de "stupéfiants", les substances pharmacologiques les plus diverses pour en pénaliser l'usage, y compris l'usage privé, sans distinction d'âge, d'intensité ou de circonstances. A cette loi, se rajoutera un décret de 1972 restreignant l'accès aux seringues. Le principe dominant est donc de contrarier au maximum l'usage et l'usager pour l'inciter à se soigner ; parce que c'est forcément un "malade".

Les années 80-90

Début 80, face à la diffusion de l'héroïne, des premières scènes ouvertes de deal et de consommation, de la hausse de la délinquance liée au trafic, l'Etat durcit encore la répression : hausse des interpellations qui touchent sans distinction trafiquants, consommateurs, revendeurs. Mr Chalandon, ministre de la justice de l'époque, tente d'alourdir l'arsenal répressif pour "désintoxiquer" de force les "drogués", avec la création de places de prison et un soutien à l'association "Le Patriarche" et ses pratiques fondées sur la coercition et la glorification du maître fondateur (là aussi, on pourrait s'arrêter quelques minutes pour discuter de ce système mais, pressé par le temps...). Face au tollé des professionnels et d'une partie des politiques, les mesures sont retirées. Le choc le plus important vient de l'épidémie de sida dont la peur ouvre une brèche dans la RDR. D'abord minorée par les pouvoirs publics, l'épidémie fait des ravages chez les usagers, les injecteurs principalement du fait de la politique de répression et d'usage. Le mouvement de lutte est lancé par "Médecins du Monde", qui, au nom des exclus rencontrés lors de sa mission France, va ouvrir les premiers centres de dépistage du VIH anonymes et gratuits, mettre en place l'échange des seringues et un kit d'injection, créer un bus "Méthadone" bas seuil etc. Les usagers militants via Aides, Act-Up, ASUD... développent de nouvelles façons d'intervenir comme l'auto-support, l'action communautaire etc. Plus discrètement, du côté de l'alcool, se développe une politique de repérage précoce et d'intervention brève. En 87, Michèle Barzach (ministre de la Santé) libéralise, à titre expérimental, le commerce des seringues. La mesure est renouvelée et pérennisée en 89 : l'évaluation des premiers programmes d'échanges de seringues montre leur forte appropriation et qu'ils n'entraînent pas une augmentation de l'usage de drogues par intraveineuses, mieux, ils favorisent une prise de conscience par les usagers de la gravité de leur situation. Une nouvelle note apparaît : l'usager devenant acteur de sa propre santé. Une autre cruelle vérité sera dévoilée ; près d'un quart des usagers ne fréquentait ni le système de soin spécialisé, ni celui du droit commun. L'approche binaire délinquance/abstinence n'a pas mieux contenu les usages, mais elle a largement contribué à la dégradation de la santé des usagers.

Années 1990-2000

Les priorités s'inversent et la protection des usagers prend le pas sur la stigmatisation et la répression. Cette décennie est marquée par des avancées impulsées par les acteurs et suivies de près par les pouvoirs publics.

-     Développement de l'outreach ou travail de rue à la rencontre des usagers.

-     La distribution dès 89 des premiers kits d'injection par MDM et Aides.

-     L'extension des plans d'échange de seringues (PES).

-     Ouverture des "boutiques", ancêtres des CAARUD, consistant en une aide à la vie quotidienne de toxicomanes actifs et l'échange de matériel.

-     La création du premier « Sleep-in » à Paris en mars 95.

L'arrivée des traitements de substitution aux opiacées (TSO) va être l'occasion d'un vrai changement de paradigme dans le soin des toxicomanes entre une communauté de professionnels, d'abord peu enclins à des traitements médicamenteux, et un pouvoir politique très divisé sur la question. La Méthadone sera généralisée en 95, et l'engagement des médecins en 96. La Buprémorphine hautement dosée, est mise sur le marché et largement prescrite par les généralistes. La nouveauté, c'est bien d'aller au-delà de la seule réduction du risque infectieux, et d'accepter que la réduction soit une approche globale, permettant à l'usager de prendre la responsabilité de ses usages, d'en réduire les risques et les dommages, et d'accéder à des offres de soins diversifiées.

Les années 2000

On aura compris que la loi mortifère de 70, en privilégiant l'utopie d'une éradication totale de la drogue à l'objectif d'en civiliser les usages, en aura accentué considérablement les dommages, laissant dans la marginalité violente de "l'illicite", les uns, abandonnant les autres aux excès du marché, bien évidemment non régulé. Ces 15 dernières années ont mis, et mettent encore à l'épreuve les différents acteurs de l'éducation et de la promotion de la santé. On peut en déterminer les causes.

  • Nous vivons dans un environnement sociétal de plus en plus addictogène et sous des formes multiples : jeux d'argent en ligne, abus d'écran, progression des défonces à l'alcool, développement des "designers drugs" (drogues de synthèse) sur Internet, le maintien à un haut niveau de l'usage de cannabis chez les ados, etc…
  • Les mutations des contenants sociaux, culturels et familiaux.
  • L'augmentation des facteurs de vulnérabilité (désociabilisation, chômage, précarité...)
  • Le renforcement des stimulations sensorielles (via le marketing et les nouvelles technologies) complique la construction des moyens d'autocontrôle, il contribue à l'augmentation des expérimentations des usages problématiques, il associe des comorbidités somatiques et/ou psychiatriques, des polyconsommations multiples et complexes, et précarise encore un grand nombre d'usagers.

Conclusion

Ce sont donc bien nos modes de vie qui sont ainsi questionnés aujourd'hui encore, on pourrait même dire "surtout" ! Et les réponses à apporter ne peuvent se suffire de généralités ou de complaisance. Après l'introduction de la RDR en réponse au Sida, la politique de santé va évoluer vers l'addictologie et inviter les professionnels du licite et de l'illicite à travailler ensemble, à décloisonner. Les lois évoluent sans cesse mais ne modifient toujours pas l'essentiel : la frontière entre le licite et l'illicite qui va être un sujet qui va s'installer dans la société, et auquel il faut être préparé. C'est ce que très modestement, au travers de mon engagement d'administrateur, j'essaye de faire.

Mise à jour le Mardi, 20 Octobre 2015 14:32