Colloque du 18 septembre 2015
Elles, addictes : souffrances cachées
Sandra DEVISE (éducatrice spécialisée, CHRS Le Grand St Jean)
La maladie peut atteindre chacun d’entre-nous quelle que soit sa situation socio-économique. Ses femmes sont de tous les âges et exercent tous les métiers. Elles sont de toutes origines culturelles et religieuses.
Nous ne sommes pas égaux devant l’alcool. Pourquoi un homme qui tient bien l’alcool se voit-il gratifié d’un qualificatif superlatif, alors qu’une femme qui "boit trop" se voit dégradée dans son statut de femme ?
- La Bible, L’ange de l’Eternel répondit à Manoah : "La femme s’abstiendra de tout ce que je lui ai dit. Elle ne mangera rien du produit de la vigne, et elle boira ni vin ni boisson enivrante et elle mangera rien d’impur."
- Dans l’antiquité il arrivait que l’on exécute les femmes qui buvaient.
- Sous le règne d’Hammourabi les prêtresses de Babylone étaient enterrées vivantes lorsqu’elles s’aventuraient à boire de l’alcool. (1792-1750 av JC)
- Il y a plus de mille ans "Toute femme devrait être accablée de honte de la pensée qu’elle est femme".
- William Cobbett (XVIIIème siècle) "Celle qui vide son verre de liqueur avec plaisir et exprime sa satisfaction d’un claquement de la langue n’est bonne que pour le bordel."
Ce tabou historique reposerait sur trois grandes croyances :
- l’incompatibilité du vin et de la fonction reproductrice de la femme.
- La femme et son sang menstruel impur risquent de souiller le vin.
- Boire du vin est l’apanage de femmes sans moralité : prostituées, femmes légères, concubines, femmes adultères.
- Les femmes alcooliques sont jugées plus sévèrement que les hommes. L’alcoolisation des hommes a longtemps été associée à l’idée de convivialité, de robustesse et autres valeurs viriles voire martiales. A l’opposé l’alcoolisation des femmes a longtemps été vécue comme une débauche inacceptable, et ce d’autant plus qu’elle sortait de la sphère privée et devenait visible. Les femmes alcooliques incarnent la déchéance et le mauvais exemple mais aussi les failles du "sexe faible".
- La femme est culturellement la femme épouse, mère nourricière et gardienne du foyer, responsable de la préparation des repas du compagnon et surtout des enfants, cela exclut toute représentation neutre de la femme ivre.
- L’alcool chez la femme est assimilé à un vice, c’est carrément dégoûtant… Ces femmes sont qualifiées de pochtronnes, de soûlardes, de mauvaise mères.
Comment échapper à ces jugements de valeurs qui rendent l’alcoolisation de la femme intolérable ?
Pour échapper au regard d’autrui, les femmes passeront plus rapidement d’une consommation publique à une consommation privée, d’abord dissimulée, puis clandestine.
Les raisons qui conduisent à l’alcoolisation sont diverses et multiples :
- Honte de ce que je suis devenue, fautive.
- Honte de ce que je fais, culpabilité, tristesse.
- Honte de me montrer devant mes enfants, ma famille, puis les autres. Volonté de ne plus voir personne, rupture du lien social.
- Honte d’exister et de causer autant de peine aux gens que j’aime et qui m’aiment.
- Se sentir seule.
- Vivre l’ennui, le vide, se replier pour éviter les situations liées à la peur d’être jugé.
- Sentiment de ne pas être à la hauteur, enfermement sur soi.
- La femme ne parle pas de tout ce mal-être, c’est ainsi que l’alcool restera là. Il deviendra son anxiolytique. Elle boit pour s’assommer, dormir pour oublier, car la vie est dure à assumer, pour échapper au stress de la vie et pour oublier qu’elles boivent. Prendre du produit pour soigner son mal-être, une anesthésie pour "se sentir moins mal" .
- L’alcool permet de laisser croire que cela est plus supportable et d’échapper à la sensation de "vide intérieur".
- Dans l’entourage, on ne parle pas de l’alcoolisme, on reste dans de multiples non-dits. L’entourage est aussi dans le tabou, la honte.
- Les femmes alcooliques consultent moins souvent et plus tard du fait de la stigmatisation de leurs conduites d’intoxications.
- Les personnes soignantes et les travailleurs sociaux abordent moins cette addiction auprès des femmes car elles savent particulièrement bien dissimuler leur trouble.
Leurs histoires sont différentes à chacune, pour des raisons diverses elles sont malades.
- Maltraitance.
- Abus physiques et/ou sexuels.
- Violence conjugale.
- Grossesse souvent déroulée dans un contexte de relations familiales décrites comme mauvaises ou inexistantes.
- Traumatismes survenus dans l’enfance.
- Alcoolisme préexistant dans la famille ou troubles dépressifs et anxieux.
- La perte d’un amant, fécondité, parents, relations. Parvenir à avoir des relations sexuelles, persuadée qu’il lui faut consommer pour faire certaines choses qu’elle ne ferait pas sans produit.
- Souvent, ces femmes feront passer le plaisir de leurs relations affectives avant le leur.
Les hommes présentent des troubles caractériels et des comportements violents alors que les femmes sont plus souvent dépressives et anxieuses
- Hypersensibilité.
- Sous estime de soi.
- Dépendance affective importante.
- Difficulté à s’affirmer, à dire non.
- Timidité.
- Manque de confiance en soi.
- Pas de prise de risque pour éviter les situations angoissantes.
- Troubles dépressifs et anxieux.
- Douleurs musculaires et articulaires.
- Troubles alimentaires.
- Répercussions sur la famille, la grossesse, la maternité.
- La prise de produit leur a volé leur mémoire, leur capacité de concentration, leur corps, leur spontanéité.
Les idées reçues, les considérations morales, les jugements, les sanctions ne trouvent pas leur place dans notre métier d’accompagnateur.
- Nous ne devons avoir aucun jugement moral. Nous devons être vigilant à ne pas renforcer ce sentiment de honte, de culpabilité et/ou d’incompétence d’être femme, mère…
- Elles cherchent de la confiance, de la franchise, de la tolérance, de l’écoute, de la compréhension, du soutien, des encouragements et surtout du respect.
- Il ne faut pas imaginer qu’on ne peut pas leur faire confiance, il ne faut pas les considérer avec beaucoup de vigilance et de méfiance.
- Quand elles décident de faire des soins, elles se mettent à nu. Elles souhaitent pouvoir parler de leur histoire avec beaucoup de souffrance, de désespoir, mais toujours avec beaucoup de courage.
- Nous, accompagnant, nous ne sommes que des béquilles, un pilier sur lequel elles s’appuient.
- L’équipe pluridisciplinaire permet la prise en compte globale (médicale, psychologique et sociale) du sujet dans son environnement et l’élaboration d’un projet personnalisé.
- Un projet individuel assorti d’un travail sur le plaisir, le lien, la rencontre avec un programme multidisciplinaire, qui permet de restaurer l’image de soi, développer les compétences sociales et professionnelles.
- Le lien mère-enfant est aussi important pour l’avenir de la mère que pour l’évolution psychologique et sociale de l’enfant.
- Améliorer l’opinion que les femmes ont d’elles-mêmes en tant que mères.
- Prendre en compte l’enfant, la place occupée par celui-ci et les interactions.
- Au cours du soin il faudra trouver, expérimenter, proposer des alternatives à la prise de produit pour supporter les difficultés rencontrées.
- Nous essayons d'identifier les moments qui déclenchent l’envie de consommer. Trouver comment remplacer l’élément déclencheur. Cela veut dire tolérer les angoisses et se rendre compte que l’on est capable de les surmonter.
- Les aider à apprendre à redevenir elle, en optant pour un autre fonctionnement de comportement et une autre philosophie de la vie.
- Il ne faut pas hésiter à répéter encore et encore avec ténacité, une dimension récurrente du travail social effectué auprès de ces femmes.
- La question d’espace de soins réservés aux femmes permet de parler plus librement des problématiques ayant trait à la sexualité, la féminité ou la maternité.
- Les discussions permettent de mettre des mots sur des maux, ne pas se sentir seules.
- Au cours des re-consommations, elles sont terriblement exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes et il faudra de la confiance pour pouvoir en parler.
Elles doivent apprendre la patience, la tolérance, et la générosité vis-à-vis d’elles-mêmes.
- Elles doivent apprendre à se connaître, à s’aimer, à s’aimer telles qu’elles sont.
Quelques chiffres
bibliographies
- chrslegrandsaintjean.overblog.com (site Internet)
- Pour l’amour d’une femme, 1994, de Luis Mandoki avec Meg Ryan et Andy Garcia. (Film)
- Les femmes face à l’alcool, 2013, de Fatma BOUVET de la Maisonneuve. (Livre)
- Désirs d’ivresse, 2000, dirigé par Carmen Bernand. (Livre)
- A sa santé ! 2005, de Dr Maurice Titran et Laure Gratias. (Livre)
- Addictions au Féminin, 2004, Sous la direction de Francoise Facy, Marie Villez, Jea-Michel Delile, Sylvain Dally. (Livre)