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Marten - sexualité

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SEXUALITE AU REGARD DE L’ALCOOLOGIE

Approches pratiques : en thérapie individuelle

FEMMES et ADDICTIONS

Docteur Jean Pierre MARTEN

juin 2005

Dans le domaine des addictions, les différences entre hommes et femmes sont manifestes : différence de prévalence, différence dans la fréquence des recours aux soins, différence dans les comorbidités psychiatriques ou les troubles des conduites associés, dans la fréquence des antécédents de maltraitance ou d'abus, dans les retentissements familiaux. Par ailleurs, se posent les problèmes particuliers liés à la maternité, aux métamorphoses physiologiques et psychologiques qu’elle induit.  Les femmes sont statistiquement moins souvent en situation addictive que les hommes, mais elles présentent des troubles globaux plus sévères quand elles le sont, et sont encore plus stigmatisées qu'eux, surtout si elles sont mères.

Ces différences tiennent-elles à une spécificité de genre ? Il existe des arguments morphologiques, embryologiques, neurobiologiques pour le croire, d’autres arguments (psychodynamiques) pour le contester. Peut-être serait-il plus juste de préciser que les femmes, en général, présente une modalité d’accès et d’usage du produit qui en elle-même serait une typologie clinique élémentaire, qui concerne parfois les hommes. En ce qui concerne l’usage d’alcool, cette spécificité clinique se rapporterait à la notion d’alcoolose et/ou somalcoolose décrite par P.Fouquet. Le fait est que cette spécificité n’est pas l’apanage du recours à l’alcool, car elle se retrouve aussi chez les personnes (hommes ou femmes) consommant des produits stupéfiants, derrière le terme familier de « défonce ». Inversement, force est de constater qu'un certain nombre de femmes, certes très minoritaire, use du produit-alcool comme les hommes souvent nommés par ailleurs les « malades alcooliques » : usage socialisé, non caché, lentement évolutif, dans une lente dynamique d’enlisement des relations affectives et des contrats sociaux ... ce qui éloigne à priori ces (rares) femmes de notre argumentaire.

On peut toutefois essayer de préciser quelques-uns de ces arguments différentiant les femmes des hommes dans un parcours addictif, selon des critères physiologiques, biographiques, socioculturels et psychopathologiques.

a / Au niveau physiologique et neurobiochimique :

+ chez l'embryon, le cerveau se sexualise avant la différenciation des organes sexuels.

+ plusieurs expériences ont montré que, toutes choses égales par ailleurs (consommation, âge et poids), les femmes sont plus sensibles aux effets:

- de la cocaïne et des amphétamines (par interaction entre les hormones féminines et la circulation de certains neurotransmetteurs, notamment la dopamine).

- de l'alcool, du fait que l'enzyme impliquée dans le métabolisme de l'alcool a une activité inférieure chez elles.

En ce qui concerne les pathologies liées à l'abus de substances psychoactives, les femmes développent certaines maladies davantage que les hommes. Notamment, les femmes sont touchées plus rapidement et plus sévèrement par certaines complications pathologiques liées à l'alcool, comme la cirrhose

b / Selon la trajectoire de vie :

°  des épisodes de rupture traumatiques (conjugalité, parentalité, perte d’un ascendant..) sont fréquemment à l’origine chronologique du parcours addictif

° il existe presque toujours une brutalité réelle ou  ressentie des événements de vie;  la destructivité inhérente à l’usage délétère du produit (alcool ou stupéfiant) semble métaphorique de cette brutalité

° outre la culpabilité diffuse, le sentiment de HONTE est central, comme fiché  au cœur de la perception de soi , avec son revers social : la stigmatisation de la personne : une « femme alcoolique » est toujours une femme infâme (in/femme, en langage lacanien), et actuellement dans la réalité de la prise en charge des femmes bénéficiant d'un protocole méthadone (c’est-à-dire au passé de toxicomanie par voie iV), celles qui  traversent un épisode dépressif sont classiquement refusées par les cliniques … pourtant spécialisées en psychiatrie

° un grand isolement affectif en est la conséquence  presque incontournable (éloignement du conjoint, retrait de la garde des enfants...).

c / La nature du traumatisme initial :  les femmes toxicomanes ou alcoolo-dépendantes ont fait l'expérience de violences et d'abus sexuels, dans leur enfance et à l'âge adulte, bien plus souvent que les femmes en général,  et que les hommes dépendants.

Boire ou se shooter, c’est-à-dire s’enfoncer un goulot dans la bouche, ou une aiguille dans le corps, en perforant son enveloppe protectrice –la peau, contenant autant physiologique que psychologique - : voilà qui ne relève pas d’un simple  "modèle d'inconduite" témoignant d’un mal-être (comme le recours aux médicaments, l'anorexie ou la boulimie), mais voilà qui met en scène la violence à soi-même, la quête grisante autant que cuisante de l’autodestruction ! Du coup, lorsque les femmes utilisent ce moyen pour exprimer leur souffrance, cela signifie généralement qu'elles sont dans une détresse extrême.

d / Le stigmate de la mère indigne, incapable d'élever ses enfants, et le risque de s'en voir retirer la garde, sont des réalités vécues par de nombreuses femmes dépendantes.

Quand une femme s'alcoolise, ce n'est pas seulement son corps à elle qu'elle attaque, c'est le corps universel de la Mère, le réceptacle nécessaire à la reproduction de l'espèce. Ainsi, la souffrance ressentie par une femme dépendante n'est pas seulement la souffrance originelle ou encore celle liée aux difficultés relationnelles avec son entourage, mais il s’y ajoute une souffrance transgénérationnelle, à savoir l’indisponibilité réelle à assumer le rôle de mère, et sentiment permanent de devoir le payer par une possible et menaçante spoliation de cette identité (risque de «  placement » des enfants)

Selon une récente enquête CEID/Inserm menée auprès d'un échantillon représentatif de mères toxicomanes fréquentant les CSST de métropole :

  • Pendant leur grossesse, la moitié des femmes n'ont pas parlé de leur toxicomanie aux professionnels rencontrés, par peur des conséquences ou par honte.
  • 40% se sont vues retirer la garde d'au moins un enfant
  • 40% ont subi des maltraitances psychologiques et 40% des maltraitances physiques à l'intérieur de leur famille. 20% ont subi des abus sexuels.

e / Toutes ces particularités précisées dans paragraphes précédents, sont valides autant pour les femmes en difficulté avec l'alcool, que pour les patientes  ayant un trouble de la relation aux produit stupéfiants.

Il est d’ailleurs classique de constater, dans l'histoire des patientes, des transferts d'addiction d'un produit à l'autre : alcool à l'adolescence, héroïne par voie intraveineuse au début de l'âge adulte, puis à l'occasion d'événements de vie (grossesses, soins par substitutions aux opiacés, ..), retour à l'alcool, sans oublier le tabagisme intensif, et/ou l'usage tout autant problématique de cannabis.

f / La comorbidité de nature psychiatrique est bien plus fréquemment retrouvée chez les patientes dépendantes de l’alcool, que les patients buveurs. Troubles du comportement alimentaire, affections psychotiques masquées par l'usage du produit, troubles bipolaires (entre autres), ces affections exigent là aussi une attention clinique et une adéquation de la prise en charge en terme de compétences professionnelles.

En regard de ces considérations, on peut avancer que le soin auprès des femmes en situation d’addiction, pour être pertinent, devra sûrement

° dégager un espace et un moment de respiration psychique et corporelle, hors la vie au quotidien habituel, et dans un temps de mise à distance des produits.

° aider à une réappropriation du territoire identitaire maternel

° travailler sur l'enveloppe psychique et corporelle, sur la temporalité féminine (cycles naturels des organes, du désir sexuel, cycle des saisons, des repas)

° enfin, ne devra jamais négliger l’opportunité d’un questionnement et accompagnement psychothérapeutique, pour une mise en éclairage des turbulences biographiques enfouies dans la nuit des songes …

Mise à jour le Jeudi, 08 Décembre 2011 11:51