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Chevry - sexualité ...

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Sexualité au regard de l'alcoologie

Apport de la psychanalyse et de la psychodynamique

Intervention du 3 juin 2005

Pascale Chevry

Groupe Interalcool Rhône-Alpes

 

Si j'ai eu tant de difficultés à me mettre à la tâche, et si j'exclus mes résistances naturelles, c'est parce que je n'ai pas pour démarche habituelle de passer de la théorie à la pratique. Je vais tout d'abord vous proposer trois situations pratiques rapidement avant de vous faire part de mes réflexions sur l'approche psychanalytique.

Trois exemples très brefs de personnes rencontrées à l’hôpital psychiatrique :

  • Sylvie C.S., 52 ans , est hospitalisée pour coups et blessures volontaires tant que son ami squatte chez elle ... Elle arrive envoyée par un service d’urgence en Hospitalisation à la Demande d'un Tiers pour un alcoolisme important et une incapacité à se protéger de son compagnon extrêmement violent qui abuse de son hospitalité. Elle n’arrive pas à porter plainte contre cet homme. Elle réfute son alcoolisme. En groupe thérapeutique, elle explique ne pas pourvoir faire confiance à quiconque depuis sa petite enfance, car elle a toujours été maltraitée, puis disqualifiée dans sa parole. Elle pleure. Elle dit souffrir de la solitude. Elle parle de ses alcoolisations. Dès qu’elle se ressent plus forte, capable d’affronter son compagnon, elle va chez elle, elle lui parle. Puis, mettant en avant des dettes s’accumulant (forfait hospitalier…), elle met fin au séjour brutalement. Et elle ne respecte son engagement de revenir en groupe thérapeutique. A priori, pour l’instant, elle reboit et revit avec son compagnon de nouveau.

  • Pierre, 28 ans, est hospitalisé pour tentatives de suicide répétées, mal-être global, perte de relation et travail, attitude de retrait, de passivité. En thérapie, il pose sa problématique identitaire, de vie/mort, son homosexualité destructrice, et une alcoolodépendance : il boit 1 l de whisky/ jour depuis quelque mois. Il relate en entretien la rigidité, la violence et l’alcoolisme du père. On note dans ses comportements sexuels la prise de risques au niveau des Maladies Sexuellement Transmissibles, outre un aspect destructeur ou masochique.

  • Jeannine C., 38 ans, est hospitalisée en Hospitalisation d'Office à la suite de délires avec violences et incapacité à s’occuper correctement de son fils de 13 ans. En état alcoolisé, elle se laisse entraîner dans des relations sexuelles impudiques ou même déviantes, où elle n’exclut pas la présence de son fils. En soin, elle exprime son incapacité à reconnaître sa maladie psychotique, son attrait constant pour l’alcool, sa pudeur, son manque de confiance en elle.

Comment aborder la sexualité au regard de l’alcoologie? L’abord de la sexualité sous tous ses aspects est impossible ce jour. Je n’en reprends que quelques aspects.

Dans un article , intitulé « Freud et l’alcool : quelques citations commentées », Catherine Rioult et Olivier Douville résument :

« À travers ces quelques notations, on peut conclure que Freud pose les jalons d’un abord clinique de l’alcoolisme dont les principaux points sont :

  • l’importance de l’angoisse;

  • le lien avec la pulsion sexuelle réprimée;

  • la régression vers l’oralité;

  • la recherche d’un objet permanent;

  • le rôle défensif de cet acte de boire contre la douleur (-je suppose psychique-);

Ce qui a pu ouvrir le champ à un abord, par ailleurs contesté, privilégiant tout ce qui concerne la relation d’objet et le rapport de l’addiction avec les pathologies du narcissisme. Reste que le fil conducteur chez Freud est constitué par le lien entre alcoolisme et sexualité »

Dans ce texte, immédiatement apparaît la notion de lien avec la pulsion sexuelle réprimée. Avec l’éclairage de la Seconde topique de Freud : Moi, çà, Surmoi où le çà représente les pulsions sexuelles et les pulsions agressives, je vous propose de mettre sur un même plan la « tentation » de l’alcool (-terme si souvent entendu-) ou l’attrait sexuel (-la force du désir-), jusque dans ces excès pathologiques : alcoolodépendance ou addictions sexuelles.

Reprenons ensuite l'approche de Gérard Bonnet (Narcissisme et sexualité, suite du premier chapitre rédigé pour la Monographie de la Revue Française de Psychanalyse consacrée aux "troubles de la sexualité", « Lorsqu'il parle de sexualité, Freud désigne en réalité des formes extrêmement différentes, trois surtout :

  • la sexualité génitale, la plus classique, celle qui attire un sexe vers l'autre sexe; (- Génitalité

Forme la plus élaborée de la sexualité à laquelle l'Enfant accède par l'Oedipe et qui va intégrer les formes partielles de la sexualité infantile.-)

  • la sexualité pulsionnelle, dont la conception est assez révolutionnaire, celle qui nous fait trouver notre plaisir dans tant d'objets partiels au fur et à mesure de leur apparition »

  • (-celle-ci peut nous faite penser à cette cybersexualité, où l'excitation virtuelle est tellement importante-)

  • « et puis ce que j'ai appelé la sexualité idéale ou passionnelle. Et c'est cette forme là de la sexualité que je reprends pour l'expliciter avec vous aujourd'hui sous l'angle du narcissisme. »

Déjà Freud abordait la masturbation dans l'étiologie des névroses ;

« Une investigation plus précise démontre en règle générale que ces narcotiques sont destinés à jouer le rôle de substituts – directement ou par voie détournée – de la jouissance sexuelle manquante, et là où ne peut plus s’instaurer une vie sexuelle normale, on peut s’attendre avec certitude à la rechute du désintoxiqué ” . ('La sexualité dans l’étiologie des névroses", 1898,

in Résultats, idées, problèmes, 1, Paris, PUF, 1984, pp. 77-95.). Dans ce cas, il s'agit de narcotiques.

Jérôme TALMUD, dans son document « Copain Clopant », lisible sur l'Internet, fait directement le parallèle avec le tabac :

« On est amené à constater que les fumeurs …

- Entretiennent une liaison entre le sexuel et leur tabagisme, le second n'étant qu'un substitut aux manques afférents au premier. La cigarette et l'acte de fumer ne seraient que des palliatifs à une "vie sexuelle manquante", comme l'a dit Freud : Dans une autre lettre à Fliess datée du 22 décembre 1897, il qualifie l’alcoolisme d’équivalent masturbatoire : in La naissance de la psychanalyse. "J'en suis venu à croire que la masturbation est la seule habitude, et que le besoin d'alcool, de morphine ou de tabac n'en sont que les substituts, les produits de remplacement". »

Après la masturbation, activité auto-érotique, abordons l'homosexualité : C'est la clinique comme la psychodynamique qui nous y amènent naturellement. Rappelons-nous la situation de Pierre, avec sa problématique identitaire, de vie/ de mort, son homosexualité, et alcoolodépendance.

Dans la phase d'Homosexualité, à la période de l’adolescence , l'adolescent va chercher un ami, un confident. Le choix est narcissique. Ce sont des amitiés passionnées. C'est une phase transitoire qui sert à passer des Parents Oedipiens à un choix hétérosexuel.

Déjà Freud aborde la notion d'homosexualité inconsciente, dans sa lettre à Fliess datée du 24 janvier 1895, et comme il le fera plus tard dans "Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa" (1911). Il compare le délire de jalousie de l’alcoolique au délire du paranoïaque y établissant un lien commun d’homosexualité inconsciente avec un mécanisme projectif défensif. “ L’alcoolique ne s’avoue jamais que la boisson l’a rendu impuissant. Quelle que soit la quantité d’alcool qu’il supporte, il rejette cette notion intolérable. C’est la femme qui est responsable, d’où délire de jalousie, etc. ”

Puis Karl Abraham, (Les relations psychologiques entre la sexualité et l’alcoolisme, 1926) écrit : « Chez l'individu normal, la composante homosexuelle de la pulsion sexuelle est sublimée. Les sentiments d'entente et d'amitié entre hommes sont dépouillés de tout caractère sexuel conscient. Un contact tendre avec d'autres hommes éveille la répulsion chez l'homme sain. Je pourrais citer de nombreuses répulsions ou des dégoûts du même genre. L'alcool les supprime. Au cours d'une beuverie, les hommes tombent dans les bras les uns des autres et s'embrassent. Ils se sentent liés par des liens particulièrement intimes, ils en sont touchés jusqu'aux larmes et se tutoient facilement. »

Si en groupe, les hommes qui boivent sont décrits comme pouvant régresser sur le mode de l'adolescent au stade de l'homosexualité, d'autres régressions sont décrites. Schématiquement, Freud parle de l’alcool comme d’une substance levant les inhibitions et annihilant les sublimations, permettant l’émergence des pulsions régressives.

(NB : Sublimation : canisme de défense. Forme de déplacement orienté vers un but supérieur utile, de nature culturelle ou sociale. EX: la création artistique ou l'invention scientifique.)

Ces pulsions régressives portent quelques fois sur des interdits plus fondamentaux comme l'interdit de l'inceste : ainsi, il semble que les cartes de France de l'inceste et de l'alcoolisme soient juxtaposables !(citation d'un membre groupe de " Survivants de l'Inceste Anonymes " dans une Revue lisible sur Internet : « les Pénélopes »). Karl Abraham écrit : Les filles de Loth, déjà, savaient que l'alcool détruit l'interdit de l'inceste : elles atteignirent leur but en faisant boire leur père. (Les relations psychologiques entre la sexualité et l’alcoolisme )

Après avoir survolé les notions de sexualité narcissique et pulsionnelle, je vous propose de regarder quelques éclairages de la sexualité génitale, toujours sous l'angle de l'alcoologie.

Je cite Sandor Ferenczi (l'alcool et les névroses)(1873-1933) quand il aborde la lutte anti-alcoolique : « L'observation et l'analyse des anti-alcooliques nous ouvre d'autres perspectives sur les rapports entre l'alcool et la névrose. Dans plusieurs cas, le zèle anti-alcoolique a pu être ramené à des écarts sexuels, ressentis comme coupables, et dont l'ascétisme portant sur un autre domaine (la privation d'alcool) devait être le châtiment. Nous constatons souvent que les partisans les plus résolus de l'abstinence se montrent très libéraux dans le domaine sexuel. Cette remarque ne met pas en cause la valeur du mouvement antialcoolique. Assurément, toute vocation (par exemple celle de psychanalyste) possède un déterminant dans la sexualité. Je ne prétends pas non plus que l'anti-alcoolisme se réduit toujours à des facteurs de cet ordre. Je veux simplement faire remarquer que le refus d'alcool est souvent d'origine névrotique (déterminé par un contenu psychique inconscient), un déplacement de la résistance. L'anti-alcoolique est un névrosé qui s'autorise à vivre sa libido, mais seulement au prix d'un sacrifice de même nature (renonciation à l'alcool). »

Dans son approche, nous ressentons tout le poids de la culture judéo-chrétienne, dont nous sommes toujours les héritiers ou témoins.

L'approche de Jean Maisondieu nous permet de sortir des notions de psychoses ou névroses et de revenir sur l'hétérosexualité. Jean Maisondieu, dans « Les hommes, les femmes, l'alcool, une histoire d'amour » Ed. Payot, 2004, explique : « Grâce à lui (l'alcool), ils (les hommes et les femmes) peuvent s'aimer, pas trop trop, juste un peu, l'alcool les protégeant des risques de la dépendance amoureuse qu'ils trouvent excessifs et dont la crainte les a précipités dans cette guerre de conquêtes mutuelles» (p. 50)

Il prône l'abandon amoureux : « La libération instinctuelle qui résulte de l'ivresse qu'est qu'une sorte de débraillé dans lequel l'élan parfois vacillant du buveur vers la femme est aux antipodes de l'abandon amoureux » (p. 51)

« Dans de nombreux couples, l'homme et la femme mettent de façon répétée l'ivresse entre eux pour éviter les dangers de l'amour, ou, plus prosaïquement, ceux d'une dépendance affective reconnue comme telle. Ils agissent ainsi, sans trop s'en rendre compte, dans la volonté de vivre l'un avec l'autre mais sans s'abandonner l'un à l'autre faute de se faire assez confiance.  (p.52 ) Avec l'appoint de l'alcool, ils arrivent généralement à rester liés durablement à la surprise d'un entourage qui ne comprend pas leur compagnonnage douloureux dans la violence et avec les ennuis de l'alcoolisme. »

Après cette brève revue de la littérature, je donne la parole à Jean Pierre Marten pour donner son éclairage dans une approche pratique en clinique individuelle d'alcoologie.


Mise à jour le Samedi, 26 Novembre 2011 16:25