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L'alcoolisme est-il une maladie ? La question doit-elle rester ouverte ?

Guy-Pierre Romanat, Educateur

Je rappelle que la question est venue plus particulièrement entre Alain Cattin et moi-même, il y a quelques temps, au moment où nous avons réfléchi en petits groupes sur les thèmes que nous aimerions aborder dans nos échanges….

Je voudrais aujourd’hui insister sur l’idée que pour moi, alcool/maladie, même si je n’y adhère pas tout à fait, peut en tout cas être une notion importante pour aider la personne à entrer en soin. Dans mon expérience j’ai entendu souvent des personnes touchées par le "problème alcool", pour qui cette notion avait été importante pour pouvoir se soigner. Mon idée est que cette notion s’oppose d’abord à l’idée plus ancienne et sans doute plus néfaste de "la tare", et qu’il était important de ne pas oublier cet aspect historique.

A cet égard, il me parait important de laisser la question ouverte surtout par rapport aux personnes directement concernées par une difficulté avec la gestion de l’alcool.

Comme illustration j’ai choisi de laisser "la parole" à un intervenant de "Atoute".

Je vais vous lire un extrait d’un ensemble d’interventions sur ce thème de l’alcool comme maladie.

Extrait d’un forum : "Atoute, forum pour arrêter l’alcool".

Voici ce que dit cet intervenant, c’est intéressant, ça vient un peu comme une discussion de comptoir :

"Peut-on reboire après notre sevrage et une longue période d’abstinence ?" la question vient souvent sur le forum. Un malade Alcoolique est-il malade pour la vie ? Les médecins qui nous suivent sur Atoute répondent souvent à cette question. Je n’ai pas la prétention d’affirmer quoi que ce soit, mais je suis quand même, en toute modestie, étonnée de lire que certains abstinents de longue date parlent de la reprise du verre comme d’une vague possibilité…

Moi BB dans l’abstinence, je ne comprends pas ! Je ne veux pas de cet espoir qui n’existe pas. Je voudrais simplement faire part de ma propre expérience ! Reprendre la 1ère gorgée, c’est reprendre le 1er verre, puis la première bouteille, puis la 1ère cuite …. C’est le début d’une longue série "noire". Après le mot "premier", tout s’enchaîne de manière infernale ! En tant qu’alcoolique, nous ne savons pas faire dans la demi-mesure ! Oui sans doute allons-nous rester très sage le lendemain, le surlendemain, nous allons lutter pour ne pas flancher…mais le jour suivant sera terrible, comme si le corps cherchait à rattraper son retard sur " ses doses " …à moins que ce ne soit l’alcool qui reprenne ses droits sur notre corps et notre mental (?) En buvant ces premières gorgées, le plaisir est immense, on se délecte, c’est le bien-être absolu, on ferme les yeux tellement le ressenti dans notre sang est immense ! Mais on ne boit pas, on avale, on nourrit la bête qui sommeille en nous ! Vous connaissez tous la suite de cette histoire, elle n’est pas rose, elle est noir et respire la mort ! Alors, oui, je préfère l’abstinence à vie plutôt que d’avoir cette épée au dessus de ma tête ! Oui je préfère ne plus jamais goûter une seule goutte d’alcool pour ne plus avoir le risque de vivre ce que j’ai vécu ! Oui, je n’ai aucun doute sur notre maladie ! Elle est incurable…mais très franchement…comme maladie qui ne se soigne pas…relativisons : il y a pire ! ! ! !  Nous avons cette chance que d'autres n’ont pas, celle de vivre sans alcool !

Soyons fort !"

........

Je continue avec le début de la FAQ de "alcoo web"

"L'alcoolisme n'est ni une tare, ni un destin."

" C'est une maladie : un comportement pathologique qui présente des signes physiques, psychiques et biologiques permettant le diagnostic, et qui entraîne des complications graves et parfois mortelles. L'alcoolisme relève de causes biologiques, génétiques, psychologiques et sociales. Il est également redevable d'un traitement préventif ou curatif bien souvent efficace. Il relève d'une intervention médicale et à ce titre il s'agit bien d'une "maladie".

Le terme alcoolisme fut employé la première fois par Magnus Huss en 1848 pour désigner l'ensemble des troubles engendrés par l'abus d'alcool. Jellinek a repris avec force le concept d'alcoolisme-maladie vers 1939, qui correspond alors à tout usage de boisson alcoolisée causant un dommage physique ou psychique à l'individu et/ou à la société.

Deux états pathologiques peuvent être directement dus à la consommation excessive d'alcool (pour le sujet considéré) :

1. Les complications médico-psycho-légales de l'alcoolisation (de l'accident de la circulation à la cirrhose du foie). C'est la consommation excessive d'alcool, nocive pour la santé.

2. "La perte de la liberté de s'abstenir d'alcool", définition de l'alcoolo-dépendance selon Fouquet, s'accompagnant presque toujours de tolérance (augmentation progressive des doses pour obtenir un même effet).

Ces deux états coexistent fréquemment, mais pas obligatoirement, chez un même malade.

De nombreux et très efficaces instruments (ou échelle) de diagnostic et de gravité (DSM IV, ICD 10, MAST, ...) ont été mis au point et validés permettant un diagnostic d'alcoolisme et la mise en oeuvre d'un traitement adapté et efficace…… "

Ce n’est pas exhaustif mais j’en reste là pour notre question d’aujourd’hui.

Ensuite le site de Martine et Jean Morenon.

"Une méprise tenace"

L'affirmation paraîtra surprenante : un alcoolique n'est pas une personne qui serait spécialement ou exagérément attirée par l'alcool et les boissons alcoolisées. Il peut les aimer, parce qu'elles sont bonnes et qu'il y en a pour tous les goûts, mais pas plus que quiconque qui n'a pas ces problèmes.

Pourquoi cette affirmation ? Parce qu'après 40 ans de pratique nous avons presque toujours constaté qu'un alcoolique sevré, et qui sait écarter les plus petites quantités d'alcool de son alimentation, n'éprouve aucune envie irrésistible devant la boisson. Or, si la maladie résidait dans un besoin insurmontable, celui-ci n'aurait pas disparu puisqu'il n'existe aucun traitement applicable. C'est le contraire que l'on constate : pas d'alcool, pas de besoin.

Mais chez ces patients sevrés, qui n'éprouvent plus aucune attirance anormale pour l'alcool, qu'est-il un jour advenu pour qu'ils en soient arrivés à ne plus s'en passer ? À consommer sans limite, à tout sacrifier et tout perdre pour la boisson dans un tableau que chacun connaît ?

La réponse, paradoxale, peut également surprendre : un sujet dépendant ne peut pas se passer d'alcool parce qu'il en boit ! S'il n'en consommait pas, si son corps n'en recevait pas, il ne serait pas attiré. (Il en est ainsi pour l'abstinent, attentif à écarter les plus petites doses.) En somme, il boit parce que, quand il a commencé, ne serait-ce qu'un verre, il ne peut plus arrêter. Tous les patients le savent et tous le disent :

"Quand je commence je ne peux plus m'arrêter"

Cette vérité, si souvent entendue, devrait faire réfléchir les milieux soignants induits en erreur par l'observation des abstinences incomplètes, des états de manque post-thérapeutiques, des delirium tremens, si mal compris et dont nous parlerons ailleurs. "

Etc, etc… Jean Morenon développe ensuite quelques chose sur les "signaux de satiété" et aussi la question de la "double marginalité de l’alcoolique" son site est intéressant et riche et aussi plus complexe que ce que j’en laisse apparaître ici, mais j’en reste là pour mon propos d’ aujourd’hui….

Voici donc de quoi illustrer l’approche "alcool maladie" et j’espère donc que cela va aider pour notre discussion d’aujourd’hui et contribuer comme je le souhaitais au début de cette intervention à laisser la question ouverte….

L'alcoolisme est-il une maladie ? La question doit-elle rester ouverte ?

Michel LEGRAND, Docteur en Psychologie, Enseignant au Département de Sciences Humaines de Namur et

Roland LEFEBVRE : témoignage et analyse personnelle

Synthèse

On soumettra à une discussion critique les diverses composantes de ce qu’on peut appeler le paradigme dominant de l’alcoologie. En bref : ne parlons plus d’ "alcoolisme" ou d’"alcoolique", de "maladie alcoolique", de maladie de la "dépendance". Elargissons les possibles thérapeutiques par delà la contrainte de l’abstinence "totale et définitive".

Une approche alternative dite de psychologie "dramatique", nourrie d’histoires et récits de vie, sera proposée.

Deux récits seront présentés et analysés : le récit d’Hervé Chabalier : Le dernier pour la route - Robert Laffont, 2004, et le récit de Richard, ce dernier posant la question d’une consommation "modérée" – ou mieux "réfléchie" d’alcool – pour qui a été "alcoolique".

Enfin, une pratique d’ateliers de récits de vie pour personnes en souffrance avec l’alcool sera évoquée.

Canevas d’intervention

  1. Historique

-  Avant la "maladie".

-  La "maladie de la volonté" (B. Rush : fin 18ème).

-  Les "maladies alcooliques" (M. Huss : 19ème).

-  La constitution du paradigme de la "maladie alcoolique" (20ème siècle : AA, Jellinek, Fouquet).

-  Evolutions récentes du paradigme biomédical ; recherches d’alternatives

.2. Arguments critiques

"Alcoolisme", "Maladie", "Dépendance", "Abstinence".

3. Une approche alternative

Drame, sens et non sens, liberté paradoxale.

D’une "guérison" de l’alcoolique ?

Voir M. Legrand, Le sujet alcoolique, Desclée de Brouwer, 1997.

4 Récits de vie

-     Hervé Chabalier : Le dernier pour la route, Robert Laffont, 2004

-     Richard : R. Lefebvre et M. Legrand, Boire après l’alcoolisme, Psychotropes, 2004

5. Ateliers de récits de vie


L'alcoolisme est-il une maladie ? La question doit-elle rester ouverte ?

Notes prises et restituées par

Dr Catherine Delachenal sur l'Intervention de Michel LEGRAND et Roland LEFEBVRE

 

1 - HISTORIQUE

  • Avant la maladie

L'histoire commence fin 18ème siècle avant Magnus Huss. Le mot maladie apparaît dans l'alcoolisme avec deux significations différentes : maladie de la volonté et les maladies alcooliques.

  • La "maladie de la volonté"

Benjamin Rush (fin 18ème) père de la psychiatrie américaine, fut le premier à parler de maladie à propos de ces gens qui consomment l'alcool en excès (drunkards) comme les ivrognes. Il parle de maladie de la volonté. Où la liberté face à l'alcool est en suspens. Il y a perte de contrôle.

  • Les "maladies alcooliques"

Magnus Huss (19ème) invente le mot alcoolisme : il écrit un livre au milieu du 19ème siècle sur l'alcoolisme chronique. N'utilise pas le mot maladie comme Rush. La consommation chronique prolongée provoque des maladies du corps, organiques comme la cirrhose ou le Korsakoff.

  • La constitution du paradigme de la maladie alcoolique dans les années 30 et 60 avec les AA, Jellinek et Fouquet.

Jellinek sera une référence scientifique. Personnage obscur vivant aux USA, il entreprend des recherches avec les AA.

Il a  périodisé le développement de la maladie alcoolique.

Fouquet inventeur du mot alcoologie : est alcoolique celui qui a perdu la liberté de s'abstenir de boire.

Cette définition n'est pas évidente.

  • Plus récemment : évolutions récentes du paradigme biomédical ; recherches d'alternatives.

Les recherches biomédicales qui datent du 19ème siècle se sont orientées sur la physiopathologie de la dépendance. Comme si la maladie de la dépendance est devenue une maladie de la volonté.

2 – ARGUMENTS CRITIQUES

En rapport à ces différents mots :

  • Alcoolisme

est classificatoire et étiquetant : ils seraient schizophrènes, pervers, hystériques, alcooliques. Or, ces gens expriment des problèmes humains qui nous concernent tous. Il faut restituer les personnes, ce sont des êtres humains.

Le mot alcoolique est un mot facile.

Cette étiquette a fait la force des AA.

Si on ne dit pas alcoolique, comment les nommer ?

Parfois, on parle de gens en difficulté avec l'alcool.

  • Maladie

Le mot maladie est utilisé pour les dysfonctionnements objectivables du corps et pour le mental, c'est métaphorique. Alors quel mot utiliser ? on parle de souffrance, c'est à la mode.

Personnes en souffrance avec l'alcool.

  • Dépendance

Analyse spécifique. La maladie alcoolique c'est la dépendance, ça paraît évident. Trop évident.

Dépendance : ne pas pouvoir se passer de ….

Annihilation totale, entière de la liberté, impuissance devant l'alcool ?

On ne doit pas oublier que dans la dépendance il y a aussi l'adhésion.

L'alcoolique n'est pas entièrement dissout comme sujet dans son rapport à l'alcool.

Un alcoologue espagnol souligne la notion d'alcoolomanie et parle de l'alcoolique physique.

L'alcoolique se jette dans la crise, il est acteur.

Faut-il maintenir distinction dépendance physique/dépendance psychologique.

La dépendance physique est objectivable. Elle vient tardivement.

La dépendance psychologique elle vient avant. Ce mot est un mot obstacle: l'alcoolisme vrai drame mais fausse maladie pour Maisondieu qui a écrit "les femmes, les hommes, l'alcool".

De dire qu'une personne est dépendante n'explique rien du tout.

  • Abstinence

On peut se poser la question si l'abstinence est obligatoire dans la "guérison de la maladie alcoolique".

Michel Legrand voudrait que l'on  révise le modèle de la maladie alcoolique.

Bernard Hillemand, alcoologue français : il faut distinguer les alcooliques malades qui ont un fonctionnement biologique (abstinence nécessaire) et les symptomatiques qui s'expliquent par des facteurs sociaux où le retour à la consommation est possible.

3 – UNE APPROCHE ALTERNATIVE

Drame, sens et non-sens, liberté paradoxale.

Michel Legrand recueille des récits de vie pour restituer les problèmes  d'alcool à leur existence.

Question de la genèse de l'alcoolisme en termes de sens et pas de cause. On a les raisons que la personne donne pour elle.

Les buveurs ont bu pour d'abord pour donner un sens à une impasse existentielle, un vide, la honte.

A un moment, cette quête de sens déraille et on observe dans ces histoires de vie, que l'alcool finit par reproduire lui-même (il y a échec) le problème. Cela reproduit l'impasse qui à son tour par exemple comme dans l'alcool, reproduira le vide, la honte. Ainsi, l'alcool de remède devient poison. C'est le cycle de l'alcoolisme.

Voir M. Legrand : le sujet alcoolique, Desclée de Brower, 1997.

  • Guérison de l'alcoolique

Une alcoologue québécoise se posait la question : faut-il mentir pour guérir ? (en disant par exemple que c'est une maladie).

Michel Legrand :

On peut se soigner de l'alcoolisme, mais est-on guéri ?

Serait guérie toute personne qui aurait été alcoolique et qui un jour pourrait reboire.

  • Hypothèse : l'alcoolique guéri serait-il celui qui a pu se détacher de ses problèmes existentiels après une phase nécessaire et longue d'abstinence.

Qu'est ce qu'une consommation normale, modérée ?

4 – RECITS DE VIE

  • Hervé Chabalier : le dernier pour la route, Robert Laffont, 2004.

Il raconte sa cure dans un établissement suisse qui fonctionne comme les AA. Ce livre est porteur d'une contradiction forte : Hervé Chabalier raconte comment il a adhéré sur le mode d'un acte de foi à l'idée d'une maladie qui l'a libéré du poids de la culpabilité. Il dit : "mon alcoolisme n'a rien à voir avec mon existence, c'est une maladie génétique et ça me libère".

Il y a contradiction : il raconte son histoire, c'est une histoire de sens. Il y a un drame fondateur de sa vie où à 15 ans en Côte d'Ivoire on lui offre une chienne qui meurt de la rage. On vaccine tous ses proches : deux personnes meurent de cette vaccination dont sa petite sœur. Il raconte que ce sentiment de culpabilité ne le quittera jamais. Il sera réactivé par la suite.

Boit pour chasser ce sentiment de culpabilité.

Plus tard, il aura le décès de sa petite fille en bas âge, et un fils qui souffre du syndrome de Gilles de la Tourette. Il va se reculpabiliser

Dans son livre, il évoque le cycle de l'alcoolisme, en buvant je me suis senti coupable de boire et ça se reproduit.

M Legrand nous explique comment Chabalier donne tous les éléments pour montrer sa culpabilité alors que le terme maladie l'aide.

- Richard : R. Lefebvre et M. Legrand, Boire après l'alcoolisme, Psychotropes, 2004.

Richard explique que le mot maladie va l'aider, le soulager et enlever sa culpabilité. Lorsqu'il rencontre les AA, il sera interpellé par  un grand nombre de gens qui fuient au mot abstinence absolue qui leur fait peur. L'étiquette : je m'appelle X, je suis alcoolique.

Dans sa troisième année d'abstinence, Richard fait une tentative de suicide car la vie lui est insupportable sans alcool. Parallèlement, il fait une psychothérapie.

Parti de Belgique pour la France, il abandonne les AA.

Se pose pour lui la question de la maladie et du récit de vie.

A la base, pour Jellinek, c'était aider les malades à déculpabiliser.

Au moment de la prohibition, les alcooliques fondent les AA.

L'abstinence absolue ne convient plus à Richard. Un jour il prend un verre de vin, il ne se passe rien. Il arrive à une reconsommation-plaisir, mesurée, réfléchie parfois jusqu'à l'ivresse sans revenir à l'enfer de l'alcoolo-dépendance.

5 – ATELIERS DE RECITS DE VIE

Roland Lefebvre anime des ateliers de récits de vie avec supports graphiques, génogrammes. Ils concernent la vie familiale, la vie socioprofessionnelle, la vie avec le produit.

Ces ateliers sont ouverts avec maximum 6 personnes.

Sont exigés : la confidentialité, le respect de la parole de l'autre, et pas d'ébriété.

Quand la personne peut donner un sens à son histoire, 15 jours avant, elle prendra la parole devant le groupe et pourra partir. Il y a un début et une fin.

Implications thérapeutiques :

Choix de l'abstinence d'accord pour ceux qui s'y trouvent bien.

Il faut tenir compte des sujets, de leurs choix. Plus ce choix est approprié plus il est libérateur.

Mise à jour le Jeudi, 13 Octobre 2011 16:25