La notion de groupe et de passage
Jean-Paul S. alcoolique abstinent
En tant qu’alcoolique abstinent, je ne dispose d’aucune compétence en matière d’alcoologie ou de psychologie. Je ne peux faire part que de mon expérience et de quelques réflexions personnelles relatives à mes difficultés avec l’alcool et au déroulement de mon rétablissement.
J’ai d’abord vécu une expérience qui est pour moi primordiale en accédant à une abstinence heureuse parce que bien acceptée. Ma relation au produit alcool a été inversée quand je suis passé de l’état d’alcoolo dépendant à celui d’individu heureux de ne plus en consommer. Je me rends compte également que ma relation avec le " groupe ", qu’il soit thérapeutique, familial, professionnel ou associatif, a lui aussi évolué d’une façon moins radicale mais néanmoins significative.
Dans le cadre du thème général de notre rencontre d’aujourd’hui, je souhaiterais vous parler du rapport étroit existant entre mon rétablissement et ma relation au groupe.
De tout temps j’ai connu de fortes difficultés de communication, de ce fait le groupe a d’abord été un lieu de refuge, un cercle restreint dans lequel je me sentais à l’abri, protégé par les autres et de ce fait en état de dépendance affective.
J’ai fait un seul séjour en hôpital psychiatrique, j’en conserve un bon souvenir, il m’était agréable d’être pris en charge par l’équipe soignante, mais ces soins ont été sans résultats ; je restais dans l’illusion selon laquelle mon problème d’alcool pourrait être entièrement résolu par d’autres.
L’alcool a été un moyen de m’isoler d’une réalité dans laquelle je n’étais pas à mon aise du fait de mes difficultés à communiquer, à vivre en harmonie avec le groupe. La peur de quitter le nid est, peut-être, normale et compréhensible chez l’enfant mais fort embarrassante avec l’âge ; on a alors recours à l’alcool qui nous permet de sauter de la branche mais qui ne nous permet pas pour autant de voler, il nous en offre l’illusion et ce que nous prenons pour un vol majestueux se termine le plus souvent par une calamiteuse gamelle.
Après avoir vécu des difficultés toujours croissantes, j’ai pu enfin accepter mon état et j’ai participé à une première réunion d’Alcooliques Anonymes, bien d’autre suivirent avec pour résultat une abstinence bien vécue, une attitude différente devant mes peurs et mes émotions et une meilleure aptitude à partager la vie d’un groupe.
Pour cela j’ai dû prendre conscience de deux choses : d’une part qu’au-delà de l’entraide qui m’était offerte, j’étais le seul responsable de mon rétablissement, d’autre part que j’avais ma part de responsabilité dans la bonne marche du groupe qui m’aidait dans ce rétablissement.
Je peux dire que mon lien avec le groupe AA n’est pas un état de dépendance mais correspond à un sentiment d’appartenance dans la mesure où je ne considère plus le groupe comme une protection dont je suis dépendant mais comme un espace de vie que je partage tout en étant autonome.
Ce principe d’autonomie est à mon avis intéressant car il conjugue les notions de liberté et de responsabilité. Je ne vais pas développer ces deux notions mais seulement insister sur l’aspect de chacune en rapport avec notre sujet.
Pour la liberté je retiens l’idée de choix, tout en notant que chaque choix implique le renoncement aux options non choisies. Si je dispose de deux semaines de vacances et décide de les passer en Grèce, je renonce implicitement d’aller en Bretagne à la même époque. Autre exemple : je ne peux pas vivre une abstinence totale et heureuse le matin et m’alcooliser tous les soirs ; au sujet de ce deuxième exemple je dois préciser que pour nombre d’alcooliques dont je suis, cette évidence n’a pas été toujours clairement perçue, l’incapacité d’accepter les conséquences de ses choix est une composante du déni de l’alcoolique.
Pour la responsabilité il me semble important de discerner les actes qui m’incombent et de ne pas attendre des autres ce qu’il ne peuvent me donner. La solution à mon alcoolisme n’est possible que dans la mesure où je suis pleinement responsable de mon rétablissement, le groupe m’y aide par le témoignage de ceux qui m’on précédé dans cette démarche, mais l’essentiel de la tâche m’appartiens.
J’ai trouvé dans le groupe une écoute attentive, des encouragements, les marques d’une sincère amitié proche de l’amour mais aucune complaisance. Je me rend compte maintenant combien il a été important que le groupe me laissa libre et responsable.
On entend parfois dire que la fréquentation d’une association d’anciens buveurs revient à passer d’une dépendance à une autre. Si c’est malheureusement parfois le cas, cela ne correspond ni au souhait ni au but de l’association.
Certains d’entre nous ont plus de difficultés que d’autres à passer de l’état passif de consommateur de soins à celui de responsable actif de son rétablissement. On retrouve ici la notion de relation au groupe : si j’attend du groupe ce qu’il ne peut me donner je serai forcément déçu et je vais en souffrir ; je vais alors m’éloigner du groupe et m’accrocher à un groupe beaucoup plus restreint de membres choisis que je vais solliciter de mes exigences jusqu’à la limite du supportable. Au lieu de m’enrichir d’un partage dans un large espace je vais me renfermer dans ma coquille et refuser ainsi toute possibilité de progrès.
La particularité de l’association à laquelle j’appartiens est de ne consacrer qu’au rétablissement individuel de l’alcoolique qui le souhaite, notre secteur d’activité est de ce fait limité au regard des nombreux autres problèmes liés à l’alcool. A.A. peut être une solution pour l’alcoolique qui souffre mais ne prétend pas apporter une solution au problème de l’alcoolisme. C’est un choix et nous en acceptons les conséquences en nous abstenant de débat pouvant susciter des controverses, d’autre part notre fonctionnement a été conçu de façon à permettre à chacun une participation active et salutaire.
Nous constatons que ce que nous appelons le service, c'est-à-dire la participation au fonctionnement de l’association, constitue un élément essentiel du rétablissement. Ceux qui apportent leur participation active se rétablissent mieux que ceux qui se contentent d’assister aux réunions, au risque d’être plus dépendant que participant.
Plus qu’un groupe de parole un groupe AA est aussi une structure de formatrice pour l’accès à l’autonomie, le service m’a appris à agir dans l’intérêt commun sans rien attendre en retour, responsable et libre de mes choix dans la tâche pour laquelle on m’avait fait confiance.
Je ne peux parler que de l’association à laquelle je participe mais je tiens à saluer l’action des autres associations d’anciens buveurs. Nous sommes complémentaires et il est important que toute personne en difficulté avec l’alcool puisse trouver un endroit où il se sentira en confiance pour commencer son rétablissement.
Nous avons un but commun : aider l’alcoolique à accepter son abstinence afin que l’absence d’alcool ne soit plus vécue comme une privation.
Nous savons tous aussi qu’aucun résultat n’est possible sans l’adhésion effective de l’intéressé. Quelle que soit la couleur du vélo que nous proposons c’est celui qui l’enfourche qui doit pédaler pour pouvoir avancer, mais il est plus facile de le faire accompagné d’amis qui avancent vers le même but.
M’arrêter de boire était une chose que j’étais seul à pouvoir faire mais que je n’ai pas pu faire seul.
Toute association d’entraide à l’alcoolique est aussi un espace offrant à chacun la possibilité de participer à des projets communs, lui permettant ainsi de recouvrer une aptitude à vivre en société qui avait été fortement endommagée par l’alcool. Un ami alcoolique disait plaisamment qu’il disposait de sa vie mais qu’il n’en avait pas le mode d’emploi.
Ma dépendance à l’alcool m’a passablement infantilisé.
Mon rétablissement s’est accompagné d’une accession à l’autonomie, d’un passage à l’age adulte.
J’estime heureux que l’importance du rôle des associations d’entraide à l’alcoolique soit maintenant reconnue dans la plupart des structures de consultation, d’accompagnement ou de soins.
L’association n’est pas la cinquième roue d’une charrette thérapeutique ni le service après vente des institutions de soins.
Le rétablissement me demande un indispensable travail personnel sur ma relation à l’autre. Je suis seul à pouvoir le faire mais je dois pour ça évaluer en permanence mon attitude par rapport à l’entourage, et le partage d’expérience avec des personnes poursuivant le même but parce qu’elles ont souffert du même problème, m’est une aide indispensable.
En conclusion je voudrais dire que le sentiment d’appartenance qui m’anime ne doit pas être limité au microcosme des alcooliques en voie de rétablissement. Le but du rétablissement est de pouvoir être à son aise en toute circonstance et avec tout le monde. Je progresse, si je peux passer sans plus de crainte, d’un cercle de relations à un cercle plus large.
Quand un alcoolique en difficulté recherche de l’aide et qu’un autre alcoolique lui répond, ils ont tous les deux franchi la limite de leur cercle en ouvrant leur conscience vers l’autre, cela commence souvent ainsi avant de se perpétuer par ouvertures successives de l’esprit vers l’universel.
Pratiques de groupes thérapeutiques
Géraldine PONSEELE, Annaig LOUS, psychomotriciennes au Centre du Mont Blanc :
Pratique psychomotrice de groupes thérapeutiques
1. PRESENTATION DE LA PSYCHOMOTRICITE
Définition de la psychomotricité
" La rééducation psychomotrice est une thérapie originale, neuro-physiologique et neuro-psychologique dans sa technique, psychologique dans son but, destinée à agir par l’intermédiaire du corps sur les fonctions mentales et comportementales perturbées. Partant du versant moteur et corporel, elle se propose d’agir sur le psychisme afin de permettre au sujet une meilleure faculté d’adaptation : la personnalité de celui-ci s’affirme et s’adapte d’autant plus facilement qu’il connaît mieux son corps, l’accepte plus volontiers et peut ainsi mieux saisir le milieu qui l’entoure et y répondre de façon plus adéquate. " Suzanne MASSON, psychomotricienne.
La thérapie psychomotrice en Alcoologie au Centre Médical Le Mont Blanc se propose, par une disponibilité d’écoute tant corporelle que psychique, d’aider la personne à :
Faire le point sur sa conscience/connaissance corporelle.
Investir son vécu corporel et émotionnel.
Enrichir ses sensations et perceptions corporelles.
Organiser ces différentes expériences corporelles en un système symbolique et aider à la transformation des éprouvés en représentation.
Améliorer sa relation aux autres mais aussi et surtout à lui-même.
Favoriser ses facultés expressives, sa capacité à être au monde.
Devant les problématiques narcissiques des patients malades alcooliques et devant leurs difficultés d’individuation et de perception de leurs limites psychocorporelles (notion d’enveloppe, d’intérieur/extérieur, de contenant/contenu), la thérapie psychomotrice propose au patient de construire ou reconstruire les étapes défaillantes voire manquantes de son développement psychomoteur (tonus et dialogue tonique, schéma corporel, organisation spatio-temporelle, praxies, réactions tonico-émotionnelles etc. )
- Sur prescription médicale, proposition suite à un bilan psychomoteur a séances individuelles et/ou Ateliers
Ateliers de psychomotricité
Nous proposons deux axes de travail : les Ateliers corporels et les Ateliers d’Expression. A partir de nos appuis théoriques (à savoir le développement moteur et psychoaffectif de l’enfant) et de notre expérience clinique, nous avons orienté notre prise en charge psychomotrice auprès des patients malades alcooliques vers un travail corporel dans un premier temps puis vers un travail d’expression.
Les ateliers se déroulent sur des cycles de 4 séances à raison d’une séance par semaine pour chaque atelier. Nous proposons aux patients de participer à la première séance puis de s’engager, si le groupe et le médiateur lui conviennent, sur la totalité des 4 séances.
2. ATELIERS CORPORELS
Nous proposons 3 ateliers :
- L’atelier corporel : cycle de 4 séances de 1 h 30, deux temps dans une séance : un temps de relaxation puis un temps d’écoute corporelle à travers des stimulations psychomotrices.
- L’atelier de sensorimotricité : une séance/semaine d’1h pour les patients présentant une désorientation spatio-temporelle et des troubles mnésiques importants (syndrome de Korsakoff, de Gayet Wernicke, encéphalopathie alcoolique)
- L’atelier corps-peau : cycle de 3 séances d’1h30 axées sur la prise de conscience de l’enveloppe corporelle par l’intermédiaire du toucher.
Objectifs
En nous appuyant sur le développement psychomoteur de l’enfant, nous amenons les patients à prendre conscience de leur corps par le biais des principaux concepts psychomoteurs à savoir le tonus, les notions d’enveloppe/de contenance, de schéma corporel, d’organisation spatio-temporelle…
Ceci afin d’aider le patient à s’individuer sur le plan corporel, à mieux percevoir ses limites psychocorporelles.
Moyens
Par exemple, pour aborder la notion de tonus :
- Les différents types de relaxation (Schultz, Jacobson).
- Des exercices de respiration.
Pour les notions d’enveloppe et de contenance :
- Des automassages.
- Des massages avec médiateur (balles hérisson, balles de différentes textures, ballon de différents diamètres, bâtons…).
- Enroulements/déroulements dans des couvertures.
- Travail autour du toucher avec médiateur ou non.
Pour la connaissance de leur schéma corporel :
- Mise en situation d’évaluation de leur taille, volume, épaisseur.
- Stimulations sensorielles, sensorimotrices.
- Exercices sur la distance physique / le langage corporel qui nous amène en fin de cycle à aborder le registre émotionnel et relationnel du corps que nous développons dans les ateliers d’expression.
3. ATELIERS D’EXPRESSION
Cycles de 4 séances, en groupes ouverts ou fermés de 6 à 8 personnes
5 groupes d’expression :
Atelier expression et couleurs
Nous demandons aux patients de traduire graphiquement leurs éprouvés grâce à différentes expériences, notamment de la relaxation, une écoute musicale, des mots thèmes…
Atelier mimes
Nous proposons aux patients de mimer des scènes de la vie quotidienne d’abord imposées puis élaborées par eux même. Ensuite nous abordons l’expression des émotions.
Atelier Théâtre et Atelier roman photo
La progression de ces deux ateliers s’effectue sur le même principe : à partir d’exercices d’expression, nous proposons au patient de construire un personnage, de réunir les différents personnages dans une même histoire élaborée ensemble. L’atelier théâtre fait appel à l’expression dans le mouvement et l’espace ; l’atelier roman photo insiste davantage sur l’expression statique, posturale et faciale.
Atelier voix et communication
Nous proposons aux patients d’utiliser et d’allier leur voix et leur corps pour exprimer et gérer leurs émotions.
Objectifs
Le patient malade alcoolique présentant souvent des troubles de la perception de l’image corporelle, de l’estime de soi et de la confiance en soi, nous partons de son expérience et de son vécu corporel pour stimuler et potentialiser ses capacités expressives dans leur dynamique relationnelle. Ce type de thérapie groupale permet de confronter le patient à la notion du lien et à une prise de conscience de ses troubles du comportement (inhibition, impulsivité, agressivité, etc.).
Moyens
Grâce à des médiateurs :
- trace graphique en expression et couleurs,
- photo en roman photo,
- MAIS surtout et à l’intérieur de chaque atelier, le corps propre du patient qui est au centre de la prise en charge psychomotrice et notre outil de travail.
On aborde ainsi différentes notions comme les réactions tonico-émotionnelles, la communication non verbale, l’expression corporelle et les différentes notions émanant de la dynamique de groupe (contenance, valorisation, affirmation de soi, confiance et estime de soi…)
Comment
Nous proposons d’abord aux patients de faire l’état des lieux de leur expressivité corporelle souvent en début de cycle. Par exemple par un temps de présentation (uniquement par des la gestuelle dans l’atelier " mimes ", ou alliant la voix et la gestuelle dans l’atelier " voix et communication ").
De nombreuses réactions tonico-émotionnelles sont alors mises en jeu. Ces ateliers d’expressions laissent alors la possibilité d’une prise de conscience. Par exemple, l’appréhension peut impliquer un raidissement du corps mettant en difficulté le patient.
Ensuite, abord de l’expression corporelle par des mises en scène, mises en jeu corporelles. Par exemple, les mises en scène de l’atelier Théâtre sont d’abord imposées puis libres afin de stimuler leur imagination (référence au développement de l’enfant, besoin d’être porté, accompagné puis ensuite possibilité de faire seul…).
Nous abordons enfin le corps symbolique, communiquant. Prise de conscience de l’implication du langage corporel dans la relation à l’autre.
La verbalisation est une phase très importante de l’ensemble de ces ateliers. Les liens entre le vécu corporel de la séance et le vécu émotionnel peuvent y être abordés et conscientisés.
Le Photolangage®
Florent Gay, Psychologue Unité d’Addictologie Hospitalière de Liaison, CH Le Vinatier :
PRESENTATION ET REFLEXIONS CONCERNANT LE GROUPE THERAPEUTIQUE "LES PHOTOS DU JEUDI"
PRESENTATION DES PHOTOS DU JEUDI
Mis en place depuis février 2003, il s’agit d'un groupe de parole sur les difficultés de vie en lien avec l'alcool. Il a lieu le jeudi de 14h30 à 16h.
PARTICIPANTS :
Sont concernés les patients ayant une consommation d'alcool problématique, associée ou non à d'autres substances psycho-actives, et qui acceptent de participer à un échange en groupe. L'indication est d'autant plus pertinente lorsque le soignant constate une difficulté pour le patient à s'exprimer dans le cadre des entretiens individuels.
Il n'y a pas d'obligation quant au nombre de séances mais il est préférable que l'adhésion au groupe se fasse au plus tôt dans l'hospitalisation et dès que la personne est prête à faire une démarche par rapport à l'alcool.
Le nombre moyen de patients dans le groupe est de 5.
OBJECTIFS
Nous visons pour les patients participant au groupe les objectifs suivants :
- Faire le lien entre des difficultés psychologiques et les prises de produit (alcool, drogue, mésusage de médicaments psychotropes).
- Mieux connaître le produit "alcool" afin de repérer ce qu'ils peuvent y trouver : automédication (effet antidépresseur, anesthésiant, anxiolytique).
- Accéder à une parole plus facile en ce qui concerne la souffrance psychique par le biais du groupe et de l'utilisation de la médiation.
- Permettre une réappropriation de ses difficultés dans le cadre des soins individuels avec le référent infirmier ou médecin.
- Se représenter le sens de l'hospitalisation et du soin.
- Amorcer une démarche de soins ou la consolider.
ANIMATION
Les séances sont animées par Florent GAY, psychologue, et Jean-François HAUTEVILLE, infirmier. Brigitte BOUVIER-POULAT, médecin alcoologue, co-anime le groupe en cas d’absence de Mr HAUTEVILLE.
L'implication personnelle de l'animateur est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du groupe.
La médiation thérapeutique utilisée est celle du Photolangage® afin de faciliter l'accès à la parole, à la vie psychique et la mise en place d'une dynamique de groupe.
DEROULEMENT DES SEANCES
Après présentation des différents participants et du Photolangage®, la consigne du jour est donnée (par exemple : choisissez une à trois photos qui représentent ce qu’est pour vous la vie sans alcool).
Il s’ensuit un temps où chacun fait son choix à travers les trente photos en noir et blanc proposées (différentes d’une fois à l’autre), puis vient le temps de présentation pendant lequel les patients et les animateurs parlent de leur choix de photos.
C’est pendant ce temps que les échanges ont lieu et que le travail psychique individuel et groupal se fait.
A la toute fin, a lieu une synthèse des éléments échangés puis un dernier temps où les patients proposent un thème pour la prochaine séance.
REFLEXIONS ET CONCEPTION THEORIQUE
Interrogations :
Comment pouvons-nous comprendre, à l’aide d’une lecture psycho-dynamique, la fonction des "Photos du Jeudi" dans l’élaboration pour le patient de sa relation au produit alcool ?
Quelles sont les attentes, manifestes et latentes, des trois parties impliquées dans ces séances : l’unité d’hospitalisation, les patients et l’unité d'addictologie de liaison ? Vont-elles dans le même sens ?
Quelles sont les dynamiques psychiques d’un groupe ouvert comme celui-ci ? Comment peuvent-elles évoluer au cours des séances avec le changement égrainé et continuel des participants ? Comment influencent-elles le fonctionnement psychique des individus constituant ce groupe ? Comment influencent-elles leur lien à l’alcool ?
Tentatives de réponses :
Les Photos du Jeudi ont une fonction de tiers qui permet une triangulation, créant ainsi un espace de pensée entre le sujet et l’alcool. Ainsi ce décollage d’avec le produit créé, l’espace entrouvert est étayé et soutenu par les intervenants afin d’éviter l’angoisse du vide engendré par les défauts de symbolisation des patients.
La séance permet que l’angoisse, pour les patients, d’une destruction interne, soit posée à l’extérieur et contenue.
Le fonctionnement psychique de ces sujets se traduit par de nombreuses alcoolisations. L’acte de boire remplace la pensée, montrant ainsi une pauvreté des capacités de verbalisation, une défaillance dans les processus de symbolisation et plus généralement une problématique nous ramenant à l’élaboration du narcissisme primaire et secondaire.
L’objectif des séances de Photolangage® est donc de donner la possibilité au groupe de créer un espace transitionnel, permettant l’émergence d’une parole et d’un début d’élaboration sur sa relation au produit, et au-delà de ça, du traitement des objets internes et externes (gestion des affects). C’est dans cette transitionnalité que le lien entre des difficultés psychiques et la consommation d’alcool pourra s’effectuer.
Les animateurs des Photos du Jeudi ont aussi pour rôle d’aider à l’intériorisation d’une amorce d’une relation à l’Autre différente, à travers une expérience d’écoute et d’empathie.
Leur présence vient brasser les différents rôles et les différents liens intersubjectifs dans le groupe (patients se connaissant, ou connaissant l’un des thérapeutes dans un autre cadre) : le psychologue n’est plus dans son cadre individuel classique et est amené par le Photolangage® à une implication personnelle, et il en va de même pour l’infirmier ou le médecin.
Cela incite les patients à fonctionner eux aussi autrement à l’aide de repères identificatoires nouveaux.
Photolangage et alcoolisme
Le Photolangage® constitue un accès à l’imaginaire, à la symbolisation, ce qui fait souvent défaut chez le patient alcoolique.
La pensée en image est une pensée essentiellement sensorielle au plus près des traces mnésiques, ce qui entraîne une mobilisation de la logique associative, et de là un travail du préconscient aboutissant à une mise en lien. Nous sommes là au cœur de la problématique alcoolique ; l’alcool masquant et atténuant l’absence de lien entre deux états, deux situations, deux affects.
Le Photolangage®, par l’intermédiaire de la mise en mots, soulève la question du corps, qui somatise mais ne parle pas. Pourtant ce langage en images, c’est un langage du corporel, une langue des signes. Nous sommes aux limites entre préconscient et inconscient mais surtout aux confins entre corps et inconscient. En somme, la nécessité de parler d’images s’impose à l’interface entre perception et représentation. L’alcoolique refait l’expérience de ce travail de liaison, dans un cadre contenant.
La photo médiatise et transforme (objet médiateur) dans un rôle de liaison intrapsychique et intersubjective.
Le Photolangage® permet de se forger une représentation. Il ne s’agit plus de se voir dans le regard de l’autre, mais aussi de se voir en train d’être regardé et investi par l’autre, et en train d’interagir positivement avec l’objet. Le visuel serait alors un des constituants de la fonction d’autoreprésentation.
Transitionnalité
La notion de tiers est inhérente aux interventions. Elle s’inscrit dans cette fonction dès la demande de l’unité d’hospitalisation, qui tente par l’intervention d’un tiers (ni complètement à l’intérieur, ni considéré comme extérieur) d’offrir un "plus". Cette triangulation trouve un sens dans la possibilité qu’elle offre de créer un champ, dans lequel les intervenants et les participants peuvent penser et se penser.
Cette articulation triangulaire permet de faire circuler une traduction du sens intersubjectif. Il y a élaboration du sens lorsque la parole d’un individu est reprise par le groupe.
Offre d’un espace transitionnel :
Les animateurs donnent la possibilité au groupe de créer un espace transitionnel. Ils ne le créent pas eux-mêmes. L’espace entre les différents membres du groupe est construit à partir des individus et de ce qui est offert par le groupe. L’espace transitionnel donne à un élément qui a du sens pour un individu la possibilité de lui donner un sens partagé. Il permet l’émergence d’un lieu entre état de rupture (dans lequel se trouve les patients) et un autre temps (la suture). Nous nous situons donc dans l’anti-chambre d’un véritable soin psychothérapique. C’est cet espace entre rupture et suture qui permet l’émergence du lien, dans ce lieu où s’opèrent des changements, des passages.
L’action des Photos du Jeudi ouvre un espace où les douleurs, les souffrances psychiques peuvent être dites, contenues et transformées. Le lien se crée, se rompt, se recrée. Il correspond à l’ensemble des éléments régulateurs qui va constituer un passage, une médiation entre des éléments séparés. Les séances offrent par là une possibilité de mentalisation et de symbolisation.
Offre de repères identificatoires :
Les Photos du Jeudi tentent de pallier à des défaillances dans les repères identificatoires, en proposant de nouveaux modèles. Ces nouveaux modèles sont incarnés d’abord par les animateurs donnant l’expérience pendant les séances d’un mode d’être différent de ce qu’ils sont en entretien individuel, ou de ce que les patients peuvent en imaginer par rapport à leurs expériences passées (la plupart d’entre eux ayant déjà une expérience avec un alcoologue ou un psychologue). Il y a donc une offre de repères identificatoires différents de ce que leur environnement leur a proposé jusqu’à présent.
L’élaboration de l’identité permet de retisser des liens entre soi et autrui, dans sa valeur ontologique et intersubjective.
Ce lien permet de réduire le clivage du Moi suscité suivant les cas, par la violence du groupe et/ou la violence des histoires individuelles.
La question du soin :
Comme nous l’avons vu précédemment, ce dispositif permet l’émergence d’un lieu entre état de rupture et de suture. L’hospitalisation s’inscrit souvent dans une gestion de crise, opérant une rupture interne et externe. La gestion de crise ne peut être considérée comme un travail psychothérapique. La participation, généralement en fin d’hospitalisation, aux Photos du jeudi, introduit donc la question d’un véritable soin psychique hors crise et au long terme, laissant entrevoir la notion de suture.