Groupe Interalcool Rhône Alpes

réfléchit, échange, publie...

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille

Lafaye - interfaceSDF...

Imprimer PDF

Présentation de l’équipe de liaison d’Interface SDF

Emmanuel LAFAYE – Infirmier Interface SDF

Emmanuel Lafaye, Joëlle Zoubida  et leurs collègues nous présentent oralement leur équipe, sa composition et quelques réflexions. Dans l'échange, nous avons retenu quelques mots ou phrases clé :

créer du lien pour amener du soin,

le baguenaudage avec le SAMU SOCIAL, les équipes...,

savoir passer quelquefois sa matinée sur un lieu sans intervenir, les choses se tricotent alors,

ne pas avoir l'info lorsque les personnes sont hospitalisées,

il tient, cela tient : tenir debout,l'alcool est fréquemment utilisé pour permettre de tenir,

être en position de projet,

comment se ressourcer face à l'échec.

Emmanuel Lafaye nous a communiqué le rapport d'activité 2005 de leur équipe dont voici le début :

PRESENTATION

1. Action de l’unité INTERFACE SDF

Pour les exclus l’accès aux soins est difficile, en effet, pour eux les besoins de soins ne se confondent pas avec les demandes de soins. Il s’agit là d’une des particularités de fonctionnement de ces sujets soumis à la souffrance psychique liée à la situation d’exclusion. Ainsi, globalement, la demande de cette population n'est adaptée ni au lieu de la rencontre, ni à l’interlocuteur, ni à l’institution rencontrée, ni à la spécialisation de la médecine, ni aux nouvelles contraintes que supporte le soin psychiatrique. Ces sujets sont dans une hiérarchie des priorités très différente de l’ordinaire. La satisfaction des besoins vitaux l’emporte largement sur les préoccupations de santé et souvent nous n’abordons ces personnes que lorsqu’elles s’effondrent. Le temps pour une rencontre avec le monde du soin, est le plus souvent celui de l’urgence, un temps où s’élude le sens, où le besoin fait faire l’économie de la demande. Chacun voit donc l’intérêt d’aller à la rencontre de ces gens qui ne pousseront jamais les portes du soin.

C’est pour rendre plus efficientes les structures de soins et rester strictement dans le domaine du droit commun, qu’ont été développés les principes de l’unité Interface SDF.

Il s’agit tout d’abord, vers 1996, d’un projet du Docteur J.P. Vignat, la DDASS du Rhône, lui apporte dès l’origine tout son soutien, le CHS Saint Jean de Dieu, assure la logistique de cette équipe maintenant constituée de 5 salariés : un médecin psychiatre, deux infirmiers, une psychologue, une secrétaire, soit au total 3,3 ETP. Depuis mars 1997, époque de sa création, l’unité qui développe son activité sur la ville de LYON, est entrée en relation avec la quasi totalité des structures intéressées par la problématique de l’exclusion.

Interface SDF ne se substitue pas à l’existant du système soignant, mais vise à développer son action d’accès aux soins dans le système du droit commun, pour les sujets vivants dans le contexte de la grande exclusion. Interface est un dispositif complémentaire au dispositif de soins, son action permet un travail pré thérapeutique pour conduire les sujets exclus vers le soin et en assurant sa continuité. Interface SDF est une équipe mobile de psychiatrie de liaison qui agit dans des espaces qui ne sont pas ceux de la psychiatrie classiquement instituée : habituellement, ce type d’action en espace hors psychiatrique se pratique dans les hôpitaux généraux, ici c’est le terrain du social et de l’exclusion qui est le partenaire indispensable des actions, car la problématique particulièrement complexe de ces sujets "se déroule" à la jonction du social, du médical et du psychiatrique.

Notre capacité à nous déplacer sur le terrain, dans l’ensemble des institutions constituant l’univers de l’exclusion, permet d’aller au plus près de la souffrance psychique, pour réaménager l’offre de soins, aider les institutions à améliorer leurs réponses et à mieux entendre la demande des exclus. L’action va s’animer sur le terrain des exclus, où nous intervenons à la demande des acteurs de terrain, acteurs sociaux et associatifs, avec qui nous intervenons conjointement.

C’est dans ces conditions que peuvent s’élaborer dans le cadre strict du droit commun, des réponses adaptées à l’hétérogénéité des situations.

Pour optimiser l’action commune de lutte contre l’exclusion, nous développons les conditions d’un partenariat faisant appel à la pluridisciplinarité des intervenants, où les actions s’articulent en synergie, entre soignants et travailleurs sociaux. Les moyens mis en œuvre font appel à divers niveaux d’intervention : au premier degré, avec les exclus et au second degré, auprès des institutions sociales sur le mode de ce qu’il est convenu d’appeler l’aide aux "aidants".

Notre action nous amène autant à pratiquer des actions de psychothérapie dans des lieux "déspécifiés", qu’à développer, outre ces activités de consultations, des actions de transfert de compétences vers les intervenants sociaux. Il s’agit de les amener à modifier leur type d’écoute interpersonnelle en replaçant le sujet dans la globalité de son histoire et de son environnement et également, de les aider à s’approprier des outils psychiques dont ils ne parviennent pas ou dont ils ne s’autorisent pas à se saisir.

A terme, notre démarche est de constituer un réseau fonctionnel entre des univers qui ont naturellement tendance à se fuirent et qui ne partagent trop souvent qu’un système de filières rigidifiées et dénuées de sens. Ainsi se développe une action cohérente entre champs sanitaires et sociaux. L’objectif ultime vise à la désaliénation de ces grands exclus à qui il paraît parfois possible de faire redécouvrir la liberté de la pensée ainsi que celle de l’indépendance dans notre société où ils deviennent dépendants du don social. Nous œuvrons pour que le sujet prenne sa place au centre d’un réseau qu’il puisse ainsi maîtriser sans le subir et découvre l’autonomie loin de l'omnipotence nourricière de l’institution dont il ne sera plus l’objet.

Le soutien de cette structure Interface est clairement identifié ; il est maintenant admis qu’existent d’autres réponses que l’hospitalisation systématique sur le mode de l’internement, que la psychiatrie n’a pas une fonction de maintien de l’ordre et qu’on peut attendre quelques temps que mature un sujet pour que l’idée de se faire soigner apparaisse une possibilité légitime qui prenne place dans son univers.

Problématique

Equipe mobile de psychiatrie spécialisée dans la prise en charge de la souffrance psychique des personnes en situation de précarité ou d’exclusion, Interface SDF Lyon est opérationnelle depuis mars 1997. Il s’agit d’une unité de psychiatrie autonome, intersectorielle, née d'un projet élaboré par le Docteur J.P Vignat, médecin chef du secteur de Vénissieux, et porté par le Centre Hospitalier Saint Jean de Dieu, Lyon. Ce projet a été suscité à la fois par les difficultés rencontrées dans l’accès aux soins et par les interrogations que se posent les travailleurs sociaux confrontés à ces populations en situation d'exclusion et présentant une souffrance psychique.

L'objectif de cette unité est d'ouvrir le dispositif ordinaire de soins de doit commun à une population qui en est exclue, mais aussi qui s'en exclut, éveillant parfois chez les intervenants des réponses qui font dériver de l'accès aux soins vers l'obligation de soins. De même, nous observons souvent que lorsque nous recourons à l'institution psychiatrique, la problématique sociale semble envahir le terrain du soin ou encore que les conduites itératives du sujet empêchent de penser l'individu dans sa dynamique psychique. La crainte d'un échec renouvelé rend difficile toute approche soignante, aussi la réponse sociale est souvent la seule appréhendée parce que les outils du soin ne semblent pas à première vue toujours opérants.

L'histoire souvent longue de ces sujets dans le monde de l'exclusion, les processus de désaffiliation, très actifs, effraient et inquiètent. Ainsi, l'arsenal psychiatrique est souvent abandonné comme voie thérapeutique. C’est dans ce contexte que le Docteur J.P Vignat évoquait le SDF qui s'échange comme "une patate chaude" entre les CHRS, les divers lieux d’accueils, le monde de la psychiatrie et de l'hôpital général.

La constitution de l’unité fonctionnelle s’est faite très progressivement en réponse aux nécessités du terrain et aux diverses missions qui ont été ainsi justifiées, le Directeur de la DDASS du Rhône suivant de manière particulièrement bienveillante notre démarche d’élaboration.

Interface SDF est une des premières équipes mobiles prenant en charge les SDF qui se soient crées en France. Nous avons, dès l’origine de notre action, entretenu des liens avec le dispositif Diogène de Lille ainsi qu’avec l’unité mobile du réseau Souffrance psychique et précarité du Docteur Xavier Emmanuelli de l’hôpital Esquirol de Charenton.

Au fil du temps notre action s’est modelée sur les demandes de nos interlocuteurs, la seule limite que nous ayons imposée et qui reste aujourd’hui une base théorique essentielle est de conduire vers le soin, dans le cadre exclusif du droit commun, les patients dont nous avons la charge.

2. La population prise en charge

La population rencontrée s’avère très diversifiée et schématiquement on observe :

a)     Des malades mentaux repérés en tant que tels, parfois en mal de soins et qui posent le problème de leur hébergement hors de l’hôpital qui a perdu ses fonctions d’asile. Remarquons que le fait de présenter une pathologie psychiatrique n’exclura pas que le sujet pourra présenter une souffrance psychique en lien avec l’exclusion.

Selon nos observations, si 77 % des sujets ont été hospitalisés en milieu psychiatrique, seuls 12 % continuent de garder contact avec l'équipe de soins. Pour eux, dans les faits, il y a eu accès aux soins mais il n'y aurait pas eu de soins inscrits dans la durée. En réalité, ils se sont échappés de la filière du soin, accumulant les ruptures et les rejets (répétant leurs symptômes ?) mais aussi générant l’impuissance et l’épuisement des professionnels.

Hors de l'hôpital psychiatrique, cette population semble "victimisée", affaiblie, inadaptée au contexte social ; elle a souvent recours à des pratiques toxicomaniaques (alcool, cannabis, médicaments) pour "traiter" les symptômes de la psychose ou combler le vide des personnalités limites. De façon claire, nous pouvons dire que la clinique psychiatrique s’est exportée dans la rue. Bien que transplantée, cette clinique reste très traditionnelle, c'est celle essentiellement des psychoses non traitées, des délires, avec leur cortège hallucinatoire ou interprétatif et tout le panorama des délires divers, aigus ou chroniques.

Les SDF fuient les cadres institués, notamment ceux trop médicalisés comme celui de la psychiatrie qui devient une médecine de technicité avec ses impératifs de "rendements" : la durée des séjours s'amenuise, les sorties s'anticipent et, ainsi, les exclus sont parfois, eux aussi, "externés" arbitrairement de l’hôpital qui n’est plus en charge des fonctions d’asile inconditionnel que seuls assurent les hébergements d’urgences, les CHRS étant quant à eux souvent plus "frileux".

En conséquence, cette population fragile s’adapte à la vie de la rue sans soutien et sans médicament. Avec la souffrance de la psychose se développe une insupportable relation à un monde remodelé par le délire, à laquelle s’ajoute la violence quotidienne. Pour ces "grands psychotiques", l’alcool et les autres substances psychoactives terminent l’accommodation à cet univers de la rue et, dans un premier temps, les rendent indifférents à l'épreuve du réel.

Ils sont ainsi réfractaires à toute approche médicale ou sociale et nous ne les rencontrons que lorsqu’ils s’effondrent, quand le corps ne peut plus se survivre ou quand il est à bout de force et ne peut plus se soumettre au délire (un de nos patient nous avait expliqué son errance en disant : "la tête esclave le corps").

 

b)     D’autres exclus sont apparus dans notre champ de pratique. Nous ne les différencions pas tout d’abord des "malades" puisqu’ils partageaient les même types de symptômes : délire, dépersonnalisation et déréalisation. Soumis à la tradition médicale, nous avons tenté de les affubler d’une maladie répertoriée pour rendre moins énigmatique leur souffrance. Les neuroleptiques et l’hospitalisation sous contrainte, que nous envisagions comme bases du "traitement", ont rapidement fait imaginer une inadaptation du soin traditionnel et, de notre part, une méconnaissance parfaite de leurs problématiques.

S'ils utilisent les mêmes "médicaments" : alcool et drogues, que les sujets psychotiques précités, c'était dans des buts différents et encore à plus fortes doses car, s’ils se remplissent, c’est pour tenter de combler vraiment un vide indicible, anesthésiant ainsi leur corps et leur psychisme face à l’épreuve du temps. Ne vivant pas, ils deviennent enfin immortels. Dépouillés de tout, sans cesse frustrés et humiliés, ils demandent avec persévérance et apparemment au plus mauvais endroit : l’impossible.

Pour eux, le réel est une épreuve effroyable qu’ils ne peuvent qu’endurer et qu’il faut effacer, gommer ou transmuter, et les traumatismes objectivables, ceux de leur historicité, bien que remaniés, sont exprimés avec une précision et une actualité totale, comme à l’instant du choc.

Parmi ces exclus, nous identifions :

  • Des personnes en état manifeste de souffrance psychique, éventuellement en relation avec des états de dépendance. C'est surtout pour ces sujets qu'il faut éviter de surajouter l'étiquette psychiatrique, qui est vécue comme une nouvelle déchéance. "Ils n'ont pas de demande", et de plus "ils ne souhaitent pas avoir de contact avec le monde psychiatrique", la difficulté de la prise en charge impose le travail de partenariat avec les intervenants sociaux.
  • Des personnes dont la dérive sociale et les échecs répétitifs des essais d'insertion font s'interroger sur leur souffrance et font imaginer un fonctionnement psychique particulier. Il n'y a pas de troubles justifiant l'hospitalisation mais une impossibilité de s'inclure dans la réalité sociale. Ils racontent des vies pleines de ruptures, de rejets, d’abandons, de violences, de traumatismes bruts, sensorialisés, comme autistiques.

Ce sont des sujets souvent installés de manière chronique dans le système d’assistance puisque, lorsqu'on arrache le dernier masque de la réalité en offrant la possibilité d’un travail ou d’un logement, le sujet perd toutes défenses et s'effondre pour se réinstaller passivement dans le chaos de la survie de la rue où il devient totalement dépendant de l’entourage et du don social. Cependant, parfois lorsqu'un lien s'établi, ils acceptent de déprimer, partageant en notre compagnie un temps de dépression, d’humanité, véritable annonce d’un accès à l’émergence d’une symbolisation acceptée.

c)     Difficultés rencontrées chez les professionnels dans la prise en charge des exclus

La population prise en charge soumet les soignants et les travailleurs sociaux à des phénomènes complexes.

Certains sujets véhiculent des représentations "sympathiques". C'est l'image du traditionnel clochard qui se "débrouille" pour vivre dans son réseau et qu'on n'aborde souvent que lorsqu'il s'effondre sous le poids de l'alcool dans un tableau dramatique de détresse somatique.

D'autres sont en pleine phase de désinsertion, la rupture brutale avec le monde social est récente, ils se battent pour rester dans la réalité et il semble que la résolution des problèmes matériels leur serait suffisante pour les remettrent dans la norme. Ces personnes attisent les processus identificatoires des "aidants".

Ces sujets qui tentent de s'adapter pour survivre dans un nouvel univers sont souvent dépressifs. Ils usent de l'alcool comme produit contactogène améliorant transitoirement dépression, anxiété, angoisse et inhibition. Contrairement à ce que nous imaginions, ils semblent peu touchés par les problématiques suicidaires même si leurs propos y font souvent allusions.

D'autres enfin, totalement désespérés et désespérants, nous plongent dans l'effroi et la sidération car ils paraissent vivre l’insupportable. On évoque à leur propos la pathologie de la rue qui rend fou en plaçant ces personnes en "situations extrêmes", mais aussi les concepts développés par Racamier autour de la perversion et du "décervelage". C’est ces sujets que nous percevons dans les lieux squats, où nous rencontrons un être humain souffrant le plus souvent d'un état d'incurie dramatique ainsi que de problèmes psychiatriques et somatiques inquiétants.

Lors des rencontres avec eux, nous observons aussi les symptômes de la souffrance psychique générés par l'exclusion. Nous constatons que le risque est grand de confondre souffrance psychique et maladie. (Le rapport du Professeur Antoine Lazarus "Une souffrance que l'on ne peut plus cacher" objectivait dans cette population une sous-évaluation de la souffrance psychique et une surévaluation de la maladie mentale).

d)     Les symptômes de la souffrance psychique en lien avec l'exclusion

Les symptômes exprimant la souffrance psychique conditionnent le type de relation que nous entretenons avec ces patients. Nous observons que leur plainte est mise en avant au détriment de leur demande. Leur crainte d’être encartés, de ne plus avoir l’opportunité de protéger leur espace de vie intime alors qu’ils n’ont déjà plus d’espace privé les amène à rendre confuses et inextricables les relations avec les institutions. Cette peur des institutions se traduit dans une atomisation des liens et un manque d'adhésion aux valeurs sociales, tout contact prend l’allure d’un processus revendicatif d’apparence sinistrosique qu’il faut réellement entendre puisque ce vécu de persécution est un appel au secours. Ce tableau s’enrichit d’une indifférence face aux évènements matériels, d’une perte des repères temporels, de l'identité et du sentiment d'individuation.

La communication se trouve compliquée par des états adaptatifs de retrait et de désafférentation, de sidération et d’émoussements de l'émotivité ainsi que par des syndromes anxio-dépressifs. Chez ces sujets les défenses se sont effondrées, le Moi est sidéré et des symptômes s’expriment : obsession, phobie, conversion, acting, processus addictif, vécu de persécution.

Ce décor est rendu encore plus inextricable par les conduites addictives, souvent sur le mode d'une poly-toxicomanie, avec prévalence de l'alcoolisme et pathologie de la dépendance. Par ailleurs, chez les sujets les plus jeunes, on observe une démarche aboutissant à la recherche d'une vie dans la rue et les squats pour trouver où construire une culture qui vient suppléer aux carences éducatives de la famille.

Pour conclure, les manifestations de la souffrance psychique sont impressionnantes alors que, paradoxalement, les sujets ne semblent guère préoccupés par leurs problèmes de santé. Les seuils de tolérance à la douleur sont, par exemple, repoussés à des niveaux inimaginables. Au fil des jours, le sujet ayant dépassé certaines limites, il semble que ses priorités évoluent. Toute la vie se limite alors à la notion de survie immédiate.

e)     Les incidences thérapeutiques

  • La psychiatrie doit s'adapter face à l'expression de ces pathologies. "L'esprit du secteur impose de concevoir et de réaménager l'offre de soins en fonction des circonstances rencontrées".
  • La problématique de ces sujets se trouve à la jonction du social, du somatique et du psychiatrique. Se trouvant à ce carrefour, ils nous interpellent sur l'orientation thérapeutique à prendre. Nous savons maintenant que tout choix univoque est voué à l'échec, d'où l'importance d'un partenariat actif et adapté associant tous les acteurs de terrain.
  • On ne peut pas parler d'absence complète de demande de soin chez ces sujets. Par contre, il y a nécessité d'aller à leur rencontre, car ils ne peuvent pas encore pousser la porte d'un lieu de soins, tel que le CMP.
  • L’élaboration d'une phase "pré thérapeutique" semble essentielle, pour leur permettre d'appréhender l'idée du soin : un soin par et dans le lien. C’est au cours de cette phase qu’on entendra l’histoire du sujet, mais il faut avoir conscience que l'évènement proclamé comme origine de ce destin singulier, n'est qu'un indicateur, qui souvent fait obstacle dans l'abord de la problématique. Ce même indicateur doit être compris comme une production du sujet pour empêcher toute mise en question et toute élaboration psychique de quelque chose pour lui à proprement parler, "insensé". On entendra également les ruptures, les deuils, les pertes, les séparations. Nous remarquons également que ce sont là des éléments inhérents à toute existence humaine et que toutes les ruptures ne conduisent pas chacun d'entre nous dans le monde de l'exclusion.

3.  Composition de l'équipe Interface

Il s'agit d'une équipe intersectorielle, pluridisciplinaire :

Projet du Dr J.P Vignat, médecin chef, Hôpital Saint Jean de Dieu.

Financement : DDASS, deux CHS de la ville (Hôpital du Vinatier et l'Hôpital Saint Jean de Dieu), Ville de Lyon.

Soutien logistique : ARHM, Hôpital Saint Jean de Dieu, 290 route de Vienne, 69373 Lyon Cedex 08, Directeur Monsieur Paul Monot en 2005.

Composition de l’équipe : un médecin psychiatre, deux infirmiers, une psychologue, une secrétaire, soit au total 3,3 ETP.

MISSIONS DE L’EQUIPE INTERFACE SDF

  • Orienter et accompagner vers le soin dans le cadre exclusif du droit commun des sujets en situation d'exclusion .
  • Apporter un soutien aux diverses structures d'accueil et d'hébergement pour des sujets en mal de soins et parfois facteurs de troubles dans la vie collective.
  • Tisser et retisser les liens entre les instances concernées, sociales et sanitaires. En effet, c'est en créant ces liens que l'on passe de l'errance à "l'itinérance".

Tout cela n'est possible que s’il existe une pluridisciplinarité et un décloisonnement des disciplines classiques pour aboutir à une articulation du monde sanitaire et du monde social.

1. Le mode d'intervention

L'intervention de l'Interface SDF repose sur 3 grands principes :

  • Interface ne se substitue pas à l'existant (dispensaires, services d'urgence ou hypothétique Samu psychiatrique)

Nous intervenons à la demande des acteurs du terrain, dans les lieux que fréquentent les SDF, nous n'avons pas de lieu où recevoir les sujets. Ceci est fondamental car nous ne souhaitons pas être une nouvelle structure s'ajoutant à l'existant : ni nouvelle structure d'accueil, ni nouvelle structure recevant ou intervenant dans l'urgence.

Pour cela nous intervenons donc à l'hôpital général, dans les CHRS, dans la rue, dans les lieux d'accueil divers, auprès des équipes de psychiatrie dans l’hôpital ou dans les structures extra hospitalières et dans tous les lieux de l'exclusion.

  • Interface intervient dans un deuxième temps, à la demande des acteurs de terrain.

En effet, lorsque nous intervenons, c'est toujours en lien avec l'histoire que le SDF a instauré avec une institution. L'institution-mère, originaire, est parfois la seule filiation que l'on puisse appréhender dans l'histoire du sujet. Elle prend en compte la souffrance et le sujet s'y fait reconnaître, elle le fait ainsi émerger à la vie et échapper au verdict d'inutilité sociale qui mène à la mort dans la communauté.

Nous demandons à un membre de l'institution référente d'être présent lors des premiers contacts que nous avons avec la personne concernée ; le concept d'Interface recouvre alors autre chose qu'un numéro de téléphone à qui adresser des sujets difficiles.

  • L'équipe se déplace sur le terrain fréquenté par les sujets en exclusion

Nous observons que c'est lors de ces interactions que nous développons un travail porteur de sens et constituons une filière ambulatoire sous forme d’un véritable réseau entre institutions alors qu'actuellement, il n'y a souvent que passage de clients que l'on connaît en commun sans qu'il existe de véritables échanges. Dans le cadre de ce protocole, il y a donc intervention, au premier degré, avec le sujet mais aussi, au second degré, auprès de l'institution qui nous interpelle. Ceci permet de montrer nos limites, de préciser nos actions et d'élaborer une compréhension des cas pour permettre à chacun d'y trouver un sens et de réfléchir à ses propres représentations sur la maladie et l'exclusion.

INTERFACE SDF est une unité de Psychiatrie de Liaison aux actions multiples.

Le mode d’intervention de l’équipe Interface SDF, dans le contexte de rencontre avec l’univers du travail social où nous évoluons, éveille des remarques :

  • Le cadre minimum requis pour l’intervention consiste dans la reconnaissance professionnelle entre les personnes qui assurent les prises en charges.
  • Le lieu de l’intervention, c’est celui où on est au plus près de la souffrance psychique. Cela permet une action sur le sujet, mais aussi sur son environnement, c’est toujours une action en réseau.
  • Cette action, dans le principe sans préalable, fait courir le risque d’être interpellée à tort  pour remettre de l’ordre ; ce sont les représentations de la psychiatrie qui s’expriment alors : la psychiatrie est interpellée dans une fonction policière ou une fonction d’urgence et c’est l’impossible psychiatrie d’urgence mobile qui est sollicitée avec les interpellations du psychiatre en qualité de "sociatre" ou de "fliciatre".

Cependant, notre expérience montre que toute demande doit être entendue, il n’y a ni bonne ni mauvaise demande dans l’absolu. La demande traduit parfois l’embarras de l’institutionnel, souvent son impuissance à gérer, qui nous fait appeler dans l’urgence pour ce qui nous apparaît « le sale boulot » ou nous laisse supposer que nous sommes interpellés pour ce qui ne nous concerne pas.

Dans la pratique, nous constatons que c’est à l’occasion de ces "mauvais" appels que se développent les espaces de réflexion les plus mobilisateurs puisqu’il est souvent question des défenses institutionnelles sur lesquelles chacun peut alors se pencher.

  • Interface SDF prodigue des consultations et donne des avis. De ce fait, c’est une activité où il est fréquent d’être placé en position d’expert, mais ce n’est pas uniquement une action de soins immédiats qui s’impose, c’est une démarche de suivi dans un temps, limité, pour amorcer les prises en charges qui seront poursuivies dans le cadre du soin de droit commun.
  • C’est aussi une démarche qui peut induire des mouvements inconscients chez les intervenants de terrain et les amener à modifier leur mode d’écoute interpersonnelle en replaçant le sujet dans la globalité de son histoire et de celle de son environnement.
  • Dans ce contexte, il est indispensable de faire admettre la différence entre consultations dans le service d'urgences et consultations en urgence pour résoudre une situation de crise qui n’est pas née d’aujourd’hui, dans le milieu de vie habituel des sujets.
  • Il faut mettre à la disposition du milieu des travailleurs sociaux les compétences d'une structure de soins psychiatriques. Il y a alors une exportation des compétences, mais aussi création d’un lieu ressource où les différents acteurs de terrain peuvent être entendus.

En effet la consultation n'est pas suffisante, il faut aussi transmettre un éclairage, transférer des avis, des connaissances, des compétences vers l'équipe demandeuse. C’est dans le cadre du travail avec Interface SDF que peut se faire une transmission des observations dans un contexte préservant l’éthique.

Il y a donc juxtaposition de missions à deux niveaux :

  • En direction du patient, s’élabore un travail de psychothérapie en milieu non psychiatrique, une recherche de la dimension psychoaffective de l’exclusion et une mise en évidence que l’état psychique du sujet vient interférer dans le devenir du processus d’exclusion.
  • En direction des équipes, il s'agit ici de l'aide aux aidants, avec tous les cas de figure, les difficultés liées à l'identification, l'effroi et la sidération liés aux confrontations avec le vécu traumatique des exclus.

Il convient d’améliorer les compétences des professionnels et des bénévoles de première ligne, surtout celles concernant le décryptage de la demande qui se masque derrière la plainte pour passer du latent au patent et ainsi permettre aux institutions d’éviter le plus possible les crises.

Ce travail ne peut se faire que sur le long terme, du coté de l’institutionnel, du coté des équipes, pour favoriser les actions de prévention, pour éviter la survenue des situations de crise et de rupture. Cependant l’intervention de l’équipe se fait, pour certaines institutions, très souvent en contexte de crise ; cette situation, si elle se répète, montre les limites de l’intervention et expose clairement que l'intervention psy précédente a été inutile et parfois, qu'elle n'a pas été reconnue ( elle n’est là que comme une bonne conscience institutionnelle),  parfois elle vient révéler des dysfonctionnements dont elle sera volontiers tenue pour responsable. Quelques fois nous soutenons de façon plus "contenante" certains intervenants lorsque nous constatons que le travailleur social a été choisi comme psychothérapeute et se trouve noyé par la densité du transfert. En effet, il convient de ne pas détruire ce lien thérapeutique qui doit perdurer suffisamment longtemps pour qu'une transmission efficace puisse se faire vers un soin psychothérapique, mais il convient aussi de protéger le travailleur social des méfaits du Burn out.

Fonction de réassurance

C’est une fonction qui se développe lorsque nous traversons des lieux en crise. Il existe dans les institutions des outils psychiques dont les individus ne parviennent pas à se saisir, qu'ils ne parviennent pas à s'approprier.

Interface SDF vient en aide en sensibilisant et en formant les travailleurs sociaux, en offrant la légitimité de temps de réflexion pour parler des situations les plus difficiles.

Fonction d’alerte

C’est à notre équipe de rappeler et de réinterroger le cadre institutionnel, en tenant compte de la souffrance du sujet, pour le faire exister dans des lieux où parfois, le sujet n’existe qu’en tant que Autre aux membres de l’institution.

Pour être dans un minimum d’efficacité, il est important de s’assurer que l’institution présente des garanties minimums de fonctionnement : existence d’une hiérarchie, d’un projet commun, d’une instance d’évaluation du fonctionnement. Ils est également fondamentale que l’institution ne demande pas aux intervenants d’assurer des taches que la structure n’est pas à même de supporter.

C’est pour répondre entre autre à ces points que nous pratiquons au départ les consultations à plusieurs, en associant les membres de l’institution demandeuse.

Fonction de formation

Au départ de notre action nous avons largement privilégié cette fonction, elle est maintenant moins présente car nos disponibilités se sont réduites.

Cette action est précieuse pour certaines équipes socio-éducatives qui évoquent fréquemment l’idée que l’accueil des patients psychotiques ne relève pas de leurs aptitudes et qu’elles sont envahies par une population pour laquelle elles ne sont ni mandatées ni compétentes.

Les fonctions et les capacités de la psychiatrie ont énormément évoluées. La population des patients psychotiques est inadaptée à la filière de l’exclusion et génère dans les institutions des dysfonctionnements multiples qui interdisent tout espoir d’intégration et font endurer aux patients une vie indigne. En corollaire, cette situation désastreuse ne fait que surcharger et maintenir dans l’échec les structures associatives et publiques de prise en charge de l’exclusion qui se disent le plus souvent en inadéquation par rapport à leur projet d’origine et sous-équipées pour recevoir ce type d’usagers. Mais le contexte de réalité impose ces situations qu’il convient de gérer au moins mal.

Il s’agit d’assurer des actions de soutien et de formation des intervenants pour aider à l’identification des pathologies, à la gestion des situations aiguës et au développement de la prévention qui reste dans le temps la meilleure des conduites.

( ... )

Docteur M. BON

Responsable de l’Interface SDF

Lyon, le 22 juin 2006

 

Pour la suite du rapport, nous vous prions de contacter directement l'équipe :

Tél : 04 37 90 58 00 (l'équipe se réunit tous les jeudis matin)

Hôpital St Jean de Dieu

Mise à jour le Lundi, 10 Octobre 2011 15:38