Groupe Interalcool Rhône Alpes

réfléchit, échange, publie...

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille

collectif - abstinence

Imprimer PDF

 

Point de vue sur l'abstinence

Georgette CARNEVALE, responsable nationale de Vie Libre Commission Femmes.

Abstinente volontaire, militante au Mouvement VIE LIBRE, association composée de buveurs guéris, d'abstinents volontaires et de sympathisants qui vient depuis 1953 en aide aux malades alcooliques et à leurs familles.

Abstinent signifie se passer d'un produit, d'un objet, d'une relation.

Abstinente volontaire, par choix, c'est-à-dire abstinente du produit alcool sous toutes ses formes, qui ne consomme pas d'alcool. On est abstinent volontaire parce qu'on n'aime pas le produit ou bien pour aider et accompagner une personne de son entourage, un conjoint, un enfant par exemple.

Je ne suis pas devenue abstinente volontaire par hasard. Non, je connaissais la maladie alcoolique par mon travail en service social et aussi par mon mari, buveur excessif. En avril 1988, l'alcool a fait basculer nos vies. C'est quelques années après que j'ai décidé d'aider les malades victimes de l'alcool. Depuis 1995, j'ai choisi de prendre des responsabilités au sein de l'association et pour cela, il faut être buveur guéri ou abstinent volontaire.

Je vais vous livrer des réflexions sur l'abstinence du buveur guéri.

Des traitements différents sont proposés aux malades de l'alcool : psychothérapie - hospitalisation – médicaments – groupes d'entraide. A chacun son itinéraire… Il n'y a pas de recette type pour devenir abstinent.

En alcoologie, il est question de rémission et pour certains mouvements d'entraide, de guérison.  Le risque de récidive est fréquent après un mois, trois ou six mois, et plus.

Parfois, cela arrive après des années d'abstinence, mais gare à la chute. C'est vécu comme un échec et le malade a de la difficulté à en parler.

Pour les mouvements d'anciens malades, le seul remède est l'abstinence totale et définitive. Elle est incontournable pour être à l'abri du produit dont on a été dépendant durant de nombreuses années. L'alcool n'est pas nécessaire pour vivre heureux, pour s'amuser, faire la fête, bien au contraire.

Devenir abstinent ne se résume pas à se dire que l'on ne boit plus d'alcool. Encore faut-il s'engager dans un suivi thérapeutique avec médecin alcoologue, psychologue, ou être soutenu par une association d'anciens buveurs qui ne vous jugent pas, mais qui vous comprennent.

L'abstinence est un processus long et difficile à vivre pour l'individu qui en fait le choix. L'itinéraire est parfois semé d'embûches faces auxquelles il faut résister.

Le plus difficile, c'est de faire le premier pas, car le malade alcoolique a très souvent perdu la confiance en lui, ainsi que celle de son entourage.

Faire le choix de l'abstinence signifie se reconstruire un nouveau mode de vie dans lequel il a modifié son rapport à l'alcool, la place de l'alcool est réinvestie par autre chose qui lui procure un plaisir.

Une journée entière sans alcool, c'est énorme.

Cela parait impossible pour un alcoolodépendant de penser qu'il ne pourra jamais reconsommer de l'alcool sous toutes ses formes. Le malade veut bien s'engager pour un mois à ne pas boire d'alcool, ensuite il prolongera cette durée dans l'abstinence.

Ne plus boire d'alcool, ensuite, il prolongera cette durée dans l'abstinence.

Ne plus boire d'alcool est une chose, se trouver mieux en est une autre. Pour un malade alcoolique, cela ne signifie pas qu'il va reprendre une vie normale du jour au lendemain. Son corps et son esprit ont été malmenés durant des années, ils nécessitent un certain temps pour réagir de nouveau normalement. Cela demande de la patience pour le malade et pour l'entourage.

Certains malades n'en tirent pas le bienfait escompté de cette abstinence, alors ils vivent une abstinence malheureuse.

Se séparer de son produit pour ne plus jamais l'aimer, cela parait impossible. Il faut faire le deuil de l'alcool comme d'un être cher. Il faut apprendre à vivre sans lui et rendre ce vide tolérable.

S'arrêter de boire dans un Centre de soins, c'est possible, mais continuer sans l'alcool à la sortie, c'est tout un travail à faire sur soi. Le retour est semé d'embûches qui vont fragiliser ou faire échouer le projet d'abstinence. 20 % des sortants de sevrage se réalcoolisent dans les 48 heures.

Le récit de vie des anciens malades alcooliques aident le malade alcoolodépendant, car s'ils s'en sont sortis, pourquoi pas moi. Parfois, ils ont vécu des situations pires que moi.

On rencontre de plus en plus de malades désinsérés de la société, (plus d'emploi, plus de famille, plus de logement). Ils sont fragilisés à leur sortie de retrouver leur vie d'avant. Ils ont besoin de plus d'accompagnement dans leur parcours d'abstinence.

Apprendre à vivre heureux sans l'alcool, c'est aussi trouver sa place dans un monde où l'alcool est présent partout. Affronter les tentations de l'entourage qui ne comprend pas forcément l'importance de ne pas reconsommer, même exceptionnellement, car c'est mettre un doigt dans l'engrenage. Un verre en appelle un autre.

On a le droit de ne pas aimer l'alcool. Si on est allergique aux fraises, on n'en mange pas ; pour l'alcool, s'il nous rend malade, on n'en prend pas. Souvent les personnes se réalcoolisent par exemple lors d'un arrosage, de départ à la retraite, d'un mariage.

Après avoir été rejeté durant des années à cause de la dépendance alcoolique, la personne trouve enfin un intérêt à sa vie et une place dans la société.

Au début, la personne abstinente n'est pas prise au sérieux, on ne lui fait pas confiance car elle a dit tant de fois, je ne bois plus et cela recommençait.

On ne paraît pas être normal, pas marrant, du fait qu'on ne consomme pas d'alcool.

Au début de l'abstinence, on est fragile, on cherche sa place et on apprend à vivre différemment. On essaie de rattraper le temps perdu. Cela demande beaucoup d'efforts, le soutien moral de l'entourage est nécessaire.

L'abstinence permet de renouer avec sa vraie personnalité, son image. Retrouver l'estime de soi et la confiance en soi et en l'avenir, on en est capable sans le produit alcool.

 

Quelques considérations sur la notion de l’abstinence

Pascale CHEVRY – "Psychiatre au Centre Hospitalier Le Vinatier

Les membres du Groupe Interalcool avaient choisi le thème de la l'abstinence dans ces termes :

Le vide laissé par le produit lors de l’abstinence, l’abstinence multiple, je suppose à différents produits, le dogme de l’abstinence : malheureux dans l’abstinence ? Autrement dit comment et peut-on être heureux dans l'abstinence ?

J'avais demandé à Georgette Carvenale d'intervenir pour introduire ce thème, et je la remercie vivement.

Nous avions réfléchi au sein de notre bureau pour pouvoir faire intervenir un professionnel de notre association par rapport à ce thème : après discussion, nous avons préféré vous proposer une réflexion en petits ateliers.

Je vous propose de reprendre tout d'abord quelques données théoriques générales sur l'abstinence pendant quelques instants avant de nous répartir dans des ateliers de 6 à 8 personnes.

Quid de l'abstinence pour un professionnel, en particulier un psychiatre ou un psychologue ?

En médecine, le mot est rencontré dans le cadre de l'alcoolisme. Je reprends la remarque de Morenon sur son site Internet :

(http://perso.orange.fr/martine.morenon/abstinence.htm) : "L'ambition des médecins au sujet de l'alcoolisme se résume souvent en cette formule : Guérison = Réparation des dégâts + Abstinence". Si le but d'un médecin est de guérir, il n'est pas forcément celui du psychiatre, qui tente plutôt d'aider la personne à traverser le conflit où les événements qui l'amènent à faire symptômes, ici qui l'amènent à boire.

Pour ma part, l'abstinence n'est pas un but en soi, mais elle représente une amélioration de surcroît : si le patient, s'améliorant de mieux en mieux, se sent compris, trouve une sécurité suffisante pour pouvoir abandonner son symptôme, l'abstinence s'installe généralement, dans un libre arbitre du patient.

Quelquefois, le patient demande une aide directe ou un média pour l'abstinence : une hospitalisation avec contraintes, un traitement radical. C'est ainsi qu'il m'arrive très rarement de prescrire de l'Espéral, quasiment jamais en première intention, mais reprenant quelquefois les ordonnances de mes collègues, ayant institué ce mode de relation avec leur patient, avec tous les risques que cela comporte. Le but partagé avec le patient est alors de s'abstenir d'Espéral, et donc intervenir pour... ce qui reste un travail long et persévérant à définir avec mon patient, ou s'abstenir d'être hospitalisé, et donc intervenir pour une vie possible hors l'hôpital.

En ce qui concerne les traitements de substitution, il s'agit d'accompagner le patient pour qu'ils puissent trouver d'autres sources de plaisir moins dangereuses pour lui. Il s'agit pour lui de continuer à vivre transitoirement avec un produit dit de substitution. Lorsque mon patient vient alcoolisé, il constatera secondairement que le travail psychologique n'a pu se faire normalement, ou qu'il a été impossible à réaliser à cette séance là. Si le lien thérapeutique est suffisamment sécurisant et établi, il reviendra.

 

Pour les psychologues et les psychanalystes : on parle de la règle de l'abstinence : Le "psy" ne doit en aucun cas avoir des relations amicales, amoureuses ou sexuelles avec son patient ou son client. L'objectif étant en cure analytique, l'intégration des limites, l'acquisition de la liberté de pensée.

En tout état de cause, en tant que professionnelle, j'utilise peu le terme abstinence : l'abstinence me concerne du côté de s'abstenir de parler, et d'intervenir, pour laisser le champ propice à une psychothérapie individuelle ou groupale, afin que la personne ou le groupe utilise ses propres ressources psychiques.

Comme vous le voyez, l'abstinence n'est pas tellement l'affaire du professionnel psy... Il est plutôt l'affaire du patient alcoolo dépendant et qui cherche à arrêter l'alcool... D'une certaine façon parler d'abstinence pour un professionnel serait donc s'identifier à la personne dans sa problématique ou bien se reconnaître proche de lui ou d'elle, et donc l'accompagner. Idéalement, nous aimerions bien sûr conduire nos patients à une gestion libre de l'alcool. Mais il nous faut souvent de réduire un objectif plus raisonnable, qui prend en compte les processus d'économie psychique. Comme le dit très justement saint Augustin, l'abstinence totale est plus facile que la parfaite modération.

Lorsque nous avons parlé de ce thème dans notre réunion de bureau, nous avons immédiatement évoqué d'abord l'abstinence au sens général : l'abstinence sexuelle en premier lieu, le jeûne, le silence, la non intervention.

Sur le plan religieux, les recherches conduisent rapidement aux 10 commandements : On y parle des interdits d'assassinat, adultère, vol, mensonge mais il n'apparaît rien par rapport à l'alcool ou les drogues.

Mais reprenons tout d'abord le sens et l'origine étymologique :

S'abstenir de ... c'est le a privatif de tenir ? Cela provient de tenir, dans le sens de abstinere se tenir à l'écart de : S'interdire de faire quelque chose ou se priver de l'usage de quelque chose. Ne pas tenir une position, acte, une parole et, une consommation etc. Dans le sens de la limite.

Mais on peut s'attacher aussi au deuxième sens : Ne pas agir, renoncer à agir. Je m'abstiens. Pour le vote : je m'abstiens de voter. Comme dans les proverbes : Dans ce cas, le mieux est de s'abstenir. Dans le doute, abstiens-toi. Ou bien pour les médecins : primum non nocere ("ke"): d'abord ne pas nuire, vieil adage méd.

Ne .. pas ... L'acte est défini en négatif. S'abstenir serait donc un acte de restitution de la liberté de l'autre : je n'agis pas, l'autre prendra la place qui lui est dévolue. Je ne bois pas, l'autre boit s'il le souhaite. Je n'interviens pas, l'autre pourra intervenir. Je m'abstiens, l'autre agit. Ce sont là juste des pistes de réflexion.

La langue nous permet de distinguer l'abstinence à l'alcool et l'abstinence en général : elle propose un mot inusité : abstème qui veut dire 1°/ au sens religieux, qui ne peut communier au vin, par répulsion naturelle, et 2°/ (Par extension) : qui ne consomme pas d'alcool. Le mot peut être utilisé aussi bien comme adjectif que comme nom, comme une personne abstème un ou une abstème.

 

Pour l'abstinence, le dictionnaire nous donne la définition : renonciation partielle ou totale, par principe, hygiène ou pénitence, à la consommation de certains aliments, à la satisfaction d'un besoin, d'un désir.

Dans l'encyclopédie wikipédia, sur Internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Abstinence l'abstinence au sens religieux est un acte conscient, librement consenti afin de s'élever spirituellement. Cette encyclopédie affirme que les protestants s'abstiennent d'alcool et de tabac (cela est vrai pour les protestants adventistes). Les mormons s'abstiennent d'alcool de tabac de café, de thé, en combinant la discipline spirituelle avec des considérations de santé. Ce site propose aussi un paragraphe sur le Straight-Edge. Ce mouvement issu du milieu punk est d'abord une philosophie de vie fondée sur trois principes (et souvent associée aux trois X) : pas d'alcool, pas de drogue ni de promiscuité sexuelle), avec la dérive intégriste musulmane qui en aurait été la suite.

À l'heure de l'Internet, nous pouvons aller découvrir certains forums ou certaines réflexions : un forum du site atoute :

http://www.atoute.org/n/forum/forumdisplay.php?f=10

Arrêter l'alcool http://www.atoute.org/n/forum/forumdisplay.php?f=10

destinés aux personnes ayant un problème avec l'alcool. Son objet est l'entraide et les échanges.

Un autre est le relais virtuel du Groupe Alcooliques Anonymes  MARCADET/JUSTE-MILIEU :

http://fr.groups.yahoo.com/group/alcooliques-anonymes_Juste-Milieu/

par exemple.

Mais on peut parcourir les sites de groupes proposés par Yahoo à http://fr.groups.yahoo.com/search?query=alcool

Ma position est purement subjective, et je ne sais pas si les autres professionnels psy présents partagent mon avis.

Je n'ai pas abordé le positionnement de l'éducateur, de l'ergothérapeute, de l'infirmier, du militant, du bénévole, du stagiaire, par rapport à l'abstinence, et je vous incite à le faire en atelier maintenant.

Nous pouvons maintenant nous répartir en groupe, cinq groupes avec les personnes qui ont accepté d'animer des ateliers :

L'animateur de l'atelier réalise un tour de table au préalable où chacun se présente rapidement.

Il propose ensuite de traiter autour de la question : Nous avons réfléchi en réunion de bureau et avons retenu ces questions :

Qu'est-ce que l'abstinence (alcool) représente pour moi ?

  1. S'agit-il de passer d'un excès à l'autre ?
  2. Quid de la notion de plaisir ?
  3. Quelle expérience heureuse de l'abstinence ? Comment ?

Il ne s'agit là que d'un canevas proposé aux animateurs d'ateliers, qui peuvent préparer de manière indépendante les questions à débattre pendant une heure en atelier avec leur groupe.