Groupe Interalcool Rhône Alpes

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1. Présentation du CIRDD Rhône-Alpes

Ce document rend compte de l’intervention proposée le 1er octobre 2010. Il reprend sous une forme résumée et condensée les propos développés à l’oral les principaux aspects abordés et intègre le diaporama illustratif projeté.

Le CIRDD Rhône-Alpes, porté juridiquement par l’Association Centre Jean Bergeret, est un dispositif d’appui et d’aide à la décision de niveau régional sur les phénomènes liés aux consommations de produits psychoactifs. Ses services vont d’abord aux chefs de projet Drogues et Dépendances des préfectures départementales et régionale. Mais ils concernent également tous les services déconcentrés de l’Etat, dans une mission interministérielle.

Son équipe de 4 professionnels élabore des études et des conseils méthodologiques spécialisés sur la thématique des addictions et est en charge de la veille et diffusion de l’information sur cette thématique. Son action est orientée vers les 8 départements de la région Rhône-Alpes, en lien avec des programmes régionaux, nationaux et européens.

Introduction

  • Parler des drogues n’est jamais neutre moralement.
  • Difficulté à énoncer des faits objectifs en prenant en compte la complexité de cet objet.

Propos de l’intervention :

  • analyser les modes de production des données utilisées pour rendre visible ce phénomène de consommation de produits psychoactifs et rendre compte de la façon dont les résultats sont véhiculés dans l’espace public.

      • Soumettre quelques pistes pour avancer sur la question à travers l’analyse des discours des experts et de leur utilisation par les politiques et les médias.

      • Réfléchir sur les présupposés qui sous-tendent la production et l’utilisation des données statistiques : « Donner à penser ».

      • Objectif de l’intervention : déconstruire le discours d’expertise afin de comprendre comment les chiffres sont produits et leurs limites

      • Intérêt : aiguiser la vigilance à l’heure où on demande à tout un chacun de mobiliser des statistiques dans le cadre de projet ou d’évaluation par exemple.

 

2. Analyse du discours d’expertise

 

Les experts : Le travail des experts sur la question renvoie d’abord aux travaux des épidémiologues. Dans les faits, il s’agit souvent de médecins, secondés par des statisticiens, qui produisent des données sur ces dimensions. Ils sont principalement médecins de formations, et donc sensibilisés aux questions de santé. Ils sont particulièrement sensibilisés aux risques pour la santé afférant à ces consommations.

Prendre un produit, c’est alors prendre des risques sanitaires. Consommer un produit psychoactif comporte nécessairement une part de risque, mais ce risque est très variable, suivant un certain nombre de paramètres sur lesquels nous reviendrons. Dans ce cadre de référence, le risque observé est celui de la dégradation de la santé au regard, la plupart du temps, de la quantité de produit absorbé.

La quantité de produit absorbée, approchée par exemple à partir du nombre de verre et de la fréquence des prises, constitue l’indicateur central pour prendre la mesure du risque encouru.

De la difficulté de faire des statistiques sur les consommations de produits psychoactifs : aspects généraux et exemples précis autour de la notion d’ivresse

L’écueil spécifique à la thématique des consommations de drogues

1/ Difficulté sur ces questions est d’obtenir des informations fiables en raison de leur connotation morale

2/ Présentation des ces données comme des vérités

3/ Proposition de croiser les sources d’informations : permet d’être plus proche de la réalité mais est beaucoup moins « efficace » en matière de communication.

L’utilisation des indicateurs de consommation : avantages et limites

La comparaison et le suivi d’indicateur impliquent une standardisation des mesures. (Étude des niveaux de consommation)

 Construire des indicateurs pour avoir accès à ces niveaux d’usage l’exemple de la notion d’ivresse

Définitions de la notion d’ivresse

Deux exemples de la définition de l’ivresse :

 Prendre la mesure de la difficulté à définir cette notion, qui est pourtant à priori une évidence.

Elle ne peut se laisser approcher seulement à partir de la quantité d’alcool ingérée, les relations entre le taux d’alcoolémie et les troubles du comportement étant loin d’être simples à établir [Craplet, 2005].

La perception subjective de l’ivresse prête également à polémique, d’aucun pensant que les personnes ivres sont particulièrement peu en mesure de se rendre compte de leur état, d’autres supposant au contraire qu’il s’agit d’une situation d’abord définie de façon subjective.

La complexité du phénomène fait que l’on oscille entre ces différentes approches en permanence lorsqu’il s’agit de parler d’ivresse alcoolique.

Les différentes enquêtes et observations proposent ainsi deux approches pour apprécier la notion d’ivresse :

    1. A partir d’une quantité d’alcool ingérée,

    2. A partir de la représentation de l’ivresse des personnes interrogées..

  • Des écueils certains dans les deux cas de figure : l’exemple de l’enquête sur le territoire Centre Loire1.

Il est donc très difficile de pratiquer une observation des ivresses à partir d’une mesure d’un nombre de verre. Il existe toujours un écart entre ce que la personne ressent et les données objectives de sa consommation.

L’approche subjective de l’ivresse est bien sûr également très imparfaite : pour certain, être ivre, c’est ne plus tenir debout, pour d’autre, c’est être un peu euphorique… mais avec tout ce qu’elle a d’imparfait, elle a le mérite de renvoyer aux représentations des jeunes. Or, pour cette population de jeunes scolarisés, il ne s’agit pas de se placer sur un plan physiologique et médical, mais bien d’essayer de comprendre ce qui les amène à adopter ces comportements d’excès, où l’objectif sous-jacent serait, semble-t-il, la recherche même de cette sensation d’ivresse.

 Dans ce cas de figure, proposition de favoriser l’indicateur de représentation subjective de l’ivresse.

 Attention aux éléments annoncés comme des faits alors qu’il s’agit de représentation. Privilégier des formulations qui tiennent compte de cette dimension subjective :

Ex : Plutôt que dire « les jeunes rhônalpins de 17 ans sont 28 % à avoir eu des ivresses répétées au cours de l’année », dire « les jeunes de 17 ans déclarent, pour 28 % d’entre eux, avoir eu des ivresses répétées au cours de l’année ».

La centration du discours des experts autour des produits : analyses à partir de plusieurs exemples issus d’organismes officiels et quelques pistes pour dépasser cet écueil.

Une autre spécificité de l’approche opérée par les épidémiologues : la distinction effectuée entre les produits.

Ainsi, la plupart des enquêtes d’épidémiologie (Baromètre Santé, Escapad, Espad, HBSC…) ont une approche « par produit » : quelle quantité d’alcool, de cannabis…

En témoigne les pages d’accueil de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies et de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie qui proposent prioritairement cette entrée « par produit » dans les consommations.

 

 

Ce sont les propriétés pharmacologiques qui guident la façon d’aborder ces questions.

Cela sous-entend que les produits ont des effets propres objectivables. De fait, l’ouvrage « officiel » sur la description (INPES, Drogues et Dépendances) ouvre la discussion sur les effets des drogues au niveau du cerveau (circuit de la dopamine) et passe en revue, substance par substance, les effets sur le cerveau.

Le cannabis, par exemple est présenté de telle façon que l’on a l’impression que c’est le produit qui est maître du cerveau.

Chacun des produits cités (cannabis, cocaïne, héroïne, amphétamine, alcool et nicotine) semblent avoir une existence propre : ce sont eux qui « font », qui « agissent », « génèrent », « se lient ». Le passif n’est jamais utilisé. Les produits sont présentés comme s’ils avaient un pouvoir contre lequel l’individu ne pouvait rien.

C’est sur la base de cette conception des produits que semble s’appuyer les études d’épidémiologies et que sont affirmés comme des vérités les résultats trouvés alors qu’il s’agit pour beaucoup de représentations et de présentation de soi. Cette façon d’apprécier les choses relèvent d’un paradigme2 qu’il s’agit de définir.

Messieurs Peretti-Wattel, Beck et Legleye3 (INPES et OFDT, donc dans des logiques épidémiologiques par ailleurs) proposent une analyse qui semble particulièrement pertinente.

Ils expliquent que finalement, cette approche « biologisante » ou « médicalisante », qui gomme les aspects relevant des choix individuels, de la compréhension des comportements, tend à traiter l’usage de drogue de la même façon qu’ils appréhendent une maladie : Cela passe par une approche mobilisant les facteurs de risque, facteurs de protection ou facteurs d’exposition à un produit, tout comme ils le font avec les maladies infectieuses.

 Le drogué (c'est-à-dire celui qui consomme) est considéré comme un malade :

Pourtant, Ogien et Weinberger4 montrent que « la connaissance disponible au sujet de la toxicomanie fournie suffisamment d’argument permettant de récuser l’idée selon laquelle l’usage de drogues est une conduite toujours identique, frappant indistinctement et au hasard tout individu que les circonstance de la vie auraient, malencontreusement, mis en contact avec une substance dont le pouvoir ferait perdre, à jamais, le contrôle de soi ». p 28

On pense notamment aux sorties spontanées de dépendance à l’héroïne identifiées par Biernacki5 qui va à l’encontre des représentations, en particulier par rapport à l’héroïne.

 Autres représentations sous-jacente : le drogué est considéré comme un délinquant :

Par ailleurs, le drogué peut être appréhendé très différemment, et en particulier sous l’angle du délinquant, en tout cas pour l’usage de stupéfiants : il y a déviance car usage de drogue, dont la réponse est la répression. Dans ce cas de figure, la rationalité de l’individu est prise en compte, elle est même au centre du système de réflexion. Ainsi, la menace d’une amende ou d’un emprisonnement doivent constituer des éléments qui pèsent dans l’arbitrage opéré pour l’individu.

Les arguments rationnels pour le contre relèvent principalement :

  • du statut du produit : stupéfiant, illicite, qui expose à une sanction judiciaire,

  • des risques occasionnés par l’état second dans lequel on peut se trouver qui expose la personne à des situations représentent un danger : le danger peut alors être individuel ou social.

On peut faire le lien entre déviance et la dimension de « maladie » associée à l’addiction : Un problème de santé est à ce titre à la fois un problème individuel et un problème social, puisque le poids de la maladie pèse financièrement et socialement sur l’ensemble de la société. Or, la consommation de stupéfiant, à haute dose, est réputée entrainer également des risques pour la santé.

Ces risques pour la santé se situent assez directement dans une perspective de la théorie de l’escalade, régulièrement reprise par différents experts, mais surtout par des politiques et des journalistes. Elle n’est pas démontrée dans les faits et relève plutôt de ce qui a été décrit et est énoncé par ceux que Peretti-Wattel nomme « les entrepreneurs de morale ».

 

3. La façon dont le discours des experts est repris par les politiques et
les journalistes

Les raccourcis de présentation des données : la confusion entretenue entre expérimentation et consommation

L’exemple de la présentation des données par l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies :

Si « usage régulier » relève bien d’une consommation contemporaine de produit, la liste des expérimentations de produits renvoie à un usage qui peut être unique et ancien et qui ne renvoie pas à la notion de consommation actuelle. Or, les deux aspects sont présentés dans un même tableau. Comment ne pas lire « expérimentation » comme consommation ?

 L’amalgame entre « expérimentation » et « consommation » est fait en permanence.

Les produits comme la cocaïne et l’héroïne sont présentés à partir de leur niveau d’expérimentation en particulier parce que les niveaux d’usage sont si faibles qu’en population générale, les effectifs sont insuffisants pour annoncer des chiffres un tant soit peu statistiquement valables. Mais le fait de les placer à côté des chiffres de consommation et de donner le titre de « consommations de produits psychoactifs » entretient la confusion de lecture.

La confusion est faite également par les journalistes lorsqu’ils reprennent les chiffres évoqués (exemples des deux articles issus du journal « Le Monde »).

La proposition que nous faisons est d’utiliser l’indicateur de l’expérimentation pour évoquer la diffusion d’un produit sur un territoire, afin d’évoquer sa disponibilité, sa « banalisation ».

 

L’utilisation de titres alarmants pour présenter les chiffres sur ces questions

L’exemple du titre du journal « Le Monde » lors de la sortie du rapport TREND (Tendances Récentes et Nouvelles Drogues)

Alors que la population visée par le recueil d’information pour TREND est une population très spécifique, identifiée pour être consommatrice dans les milieux festifs et de précarité urbaine, on généralise à la population des « jeunes » comme s’il s’agissait d’une information qui concerne l’ensemble de la population.

 Renvoie à la question de la visibilité sociale des drogues. L’idée est aussi de dévoiler ce que l’on voit moins.

 Les informations sur les consommations de produits sont des sujets délicats, moralement connotés. Leur présentation et la rigueur des informations les concernant requièrent une attention particulière et engage la responsabilité de celui qui les utilisent.

 

Pour une approche sociologique des usages

La proposition que nous faisons est de développer une approche sociologique des usages afin de dépasser la dichotomie « consommateurs » ou « non consommateurs » et développer une approche autre que celle produit par produit.

La démarche consiste à partir de l’ensemble des consommations des personnes (ici, les jeunes de 17 ans interrogés par ESCAPAD 2005), partant du principe que la démarche de consommation est centrale, plaçant la nature des produits consommés en second plan6.

Cette démarche renvoie à la notion des rôles et fonctions sociales des consommations de drogues, comme une solution pour approcher la question des consommations ni du côté du produit, ni du côté pharmacologique, mais en prenant très au sérieux la notion de contexte de consommation et de contexte de vie.

 Permet de prendre en compte la subjectivité de l’acteur.

 Renvoie à la signification des usages

L’étude sur les rôles et fonctions des consommations de produits psychoactifs des jeunes adultes menée pour le compte de la Région Rhône-Alpes7 suit cette logique dans la prise en compte des consommations.

 

Chloé HAMANT

Docteur en Sociologie, chargée de la mission Observation

Centre d’Information Régional sur les Drogues et les Dépendances Rhône-Alpes

9, quai Jean Moulin – 69001 Lyon

04 72 10 34 32

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1 Etude complète disponible sur le site du CIRDD Rhône-Alpes : http://www.cirdd-ra.org/publication.php?id=2

2 Représentation du monde, manière de voir les choses, modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie.

3 Travaillant respectivement à l’INSERM, à l’INPES et à l’OFDT.

4 Albert Ogien et Monique Weinberger / pp 27-47 de « Penser la Drogue », 1992

5 BIERNACKI D., Pathways from Heroin Addiction, Temple, 1986.

6 Plus de précisions sur la méthode et les résultats : Etat des lieux sur les consommations et la diffusion des produits psychoactifs en Rhône-Alpes, HAMANT, CIRDD RA, 2007. Téléchargeable sur le site du CIRDD RA : http://www.cirdd-ra.org/publication.php?id=2

7 Etude non finalisée au moment de la conférence mais achevée depuis et remise au Conseil Régional de Rhône-Alpes et prochainement disponible sur le site du CIRDD Rhône-Alpes.

Mise à jour le Jeudi, 15 Septembre 2011 16:58