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Cattin - mythologie...

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MYTHOLOGIE DE L’ALCOOL

Alain CATTIN, Psychologue à C2A.

texte 2003-2004

Tout d’abord quelques précisions sur le terme mythologie et la notion de mythe.

J’utiliserai ici le terme de mythologie dans une seule de ses acceptions : Ensemble de mythes se rapportant à un même objet. [Petit Robert (3°)]

Pour ce qui concerne le mythe on trouve 5 acceptions qui toutes dérivent de la première (1818). J’en retiendrai deux :

(1°) Récit fabuleux, souvent d’origine populaire, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine.

(5°) (1930). Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d'un individu ou d'un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation.

Vers 1930-40, avec le développement de la sémiologie, le sens est élargi puis conceptualisé par des gens comme Paul VALERY et surtout Roland BARTHES qui le choisit pour « rendre compte des fausses évidences » dont le véhicule est la parole.   " Mythe est le nom de tout ce qui n'existe et ne subsiste qu'ayant la parole pour cause " nous dit Paul Valery. Et pour Barthes : " le mythe est une parole choisie par l'histoire : il ne saurait surgir de la ‘nature’ des choses".

Dans les définitions du terme MYTHOLOGIE  on retrouve évidemment celle qui correspond aux origines (Ensemble des mythes, des légendes propres à un peuple, à une civilisation, à une religion : Mythologie de l'antiquité gréco-romaine.) ainsi que le concept de BARTHES qui en dérive.

Dans son ouvrage intitulé «  MYTHOLOGIES «  (1957) où il passe en revue ce qu’il considère comme les objets mythiques de son époque (depuis le catch jusqu’au strip-tease, en passant par Minou DROUET et le Guide Bleu), il nous précise son objectif : " …ressaisir, dans l’exposition (décorative) de tout ce qui va de soi, l’abus idéologique qui s’y trouve caché."

Il nous dit " Le mythe est une parole choisie par l’histoire ". Eh bien, que voit-on dans les exemples de mythes que donne le Petit Robert : Une citation de Barthes concernant le vin : " Le vin (en France) supporte une mythologie variée." ce qui je crois corrobore ce que je vais vous développer ici, à savoir que l’alcool, et plus particulièrement le vin, a eu très tôt une place importante dans les mythologies anciennes  et continue actuellement à être objet de mythes. L’alcoolique et même l’alcoologie en sont  évidemment contaminés et à leur tour mythifiés.

A quoi tiennent l’importance et la richesse de ce mythe ? À mon sens, à 2 effets « psychosociaux » de l’alcool : le flou qu’il induit et les passions qu’il excite  (comme le dit  J.P. KLEIN dans un article de nov. 1983 intitulé : L’alcoolique et les tentations du soignant.)

Tout d’abord, donc, l’alcool rend flou, non pas fou, bien que ce soit parfois le cas pour certain malades en fin de parcours (encéphalopathies), mais bien flou. Il rend flou celui qui en boit bien sûr, mais également il induit du flou chez celui qui en parle : le soignant, l’enseignant, le préventologue.

Je citerai simplement à ce sujet ce que dit Michèle MONJAUZE sur les colloques d’alcoologie qui, dit-elle, " se présentent comme une juxtaposition d’interventions hétéroclites, caractérisées par l’impossibilité d’en penser le contenu ".

Pourquoi l’alcool induit-il du flou ? Parce que nous avons tous à la fois l’expérience de ses effets agréables, et obligatoirement connaissance (sinon un vécu) de ses conséquences nocives.

Nous ne pouvons donc qu’être ambivalents par rapport à l’alcool et c’est ce flou, cette ambivalence forcement déstabilisante que nous résolvons en clivant les choses en tout bon ou tout mauvais, autrement dit en représentation mythique, le mythe étant évidemment caractérisé par l’excès, par l’extrême. (Ce qui est rationnel et nuancé n’est pas de l’ordre du mythe).

Et puis, l’’alcool excite les passions c’est à dire nous pousse aux extrêmes, donc là encore à adhérer aux mythes, ou bien, lorsque nous les contestons, à en créer d’autres ; ce qui donne entre autre, les approches militantes donc partisanes que nous connaissons dans le soin et la prévention, (et nous savons bien aujourd’hui que dans ces domaines, surtout celui de la prévention, elles y perdent leur crédibilité donc leur efficacité).

Je vais maintenant vous parler de quelques mythes :

  • mythes autour des origines de l’alcool
  • mythologie de la vigne et du vin
  • mythologie contemporaine autour de l’alcool et de l’alcoolique.

Mythe des origines de l’alcool.

Sur les origines de l’alcool, c’est évidemment l’absence de données historiques qui introduit du flou permettant, aux alcoologues  par exemple, d’y injecter leurs propres fantasmes.

Pour Dominique BARRUCAND : "L’homme paléolithique  (ou homme des cavernes), vivant de chasse et de pêche, qui commence à peindre les murs de ses abris, et qui pétrit l’argile pour en faire des récipients, rencontre probablement l’alcool et l’ivresse en même temps, par hasard, en buvant des jus de fruits pressés qu’il aura laissés séjourner dans une poterie. Après les premiers borborygmes, vertiges de toutes sortes et répétitions expérimentales d’une situation si nouvelle, notre homme se met à penser, il découvre la germination et la fermentation, prend aussi conscience d’un ordre cosmique et de l’existence possible de divinités. L’homme va s’enivrer et il va y avoir une manifestation du sacré."

Pour Michèle MONJAUZE, il s’agirait plutôt "d’une femme, ménagère un peu légère, qui aura laissé traîner longtemps dans le fond d’une poterie mal lavée un reliquat de grains ou de fruits. Ambivalente déjà, au lieu de jeter les restes, dont les chacals n’auraient pas voulu, elle les fait goûter à son homme des cavernes dans un dessein resté indéchiffré. "

Mythologie de la vigne et du vin.

Dans la mythologie ancienne gréco-romaine, la vigne et son corollaire l’ivresse, figurent parmi les dons essentiels des dieux.

De tous les dieux  impliqués  dans la  révélation de la vigne le plus notoire est sans doute Dionysos (Bacchus) C’est lui qui, traditionnellement passe pour avoir introduit la vigne en Grèce et révélé aux grecs comment faire du vin. C’est Jacques Lacarrière, spécialiste de la mythologie grecque qui nous dit : "Dionysos eut une naissance, une vie et des épreuves dramatiques qui en  firent, plusieurs siècles avant le Christ, le premier des dieux à passion ".

Il existe différentes variantes du mythe de Dionysos, mais dans toutes les versions, les épisodes tragiques se succèdent : crimes, drames sanglants, malentendus pathétiques …

Sans doute le mythe veut-il montrer ainsi le pouvoir ambigu du vin et de l’ivresse, sa faculté d’élever l’homme jusqu’aux sphères divines, ou au contraire de le rabaisser au rang d’un animal, selon l’usage qu’on en fait.

Dionysos est souvent représenté avec une grappe et une coupe de vin, Il est parfois assis sur un taureau, ou  bien monté sur un char tiré par des panthères ou des centaures.

Dionysos avait un père nourricier SILENE,  qui était en même temps son précepteur. SILENE était toujours ivre, il est parfois représenté sur un âne, se tenant avec peine sur sa monture.

Il est intéressant de noter que cet alcoolique « notoire » (comme on dirait aujourd’hui) était considéré comme un grand sage et vénéré comme tel ; et effectivement l’ivresse, dans la mythologie ancienne est aussi associée à une certaine forme de sagesse.

Dans la Bible on trouve de très nombreuses citations de la vigne et du vin qui traduisent des faits de civilisation aussi bien que des mythes. Dans l’Ancien Testament  la vigne est citée plus de 500 fois. Dans le Nouveau Testament on retrouve cette symbolique : le premier miracle du Christ sera de changer l’eau en vin lors des noces de Cana (Jean III, 2), épisode superbement représenté dans le tableau éponyme de Véronèse. Lors de ce banquet le vin vint à manquer, l’intendant s’inquiète. Le Christ rétablit la situation. Évènement plus important encore : Lors de la Cène, le Christ élève une coupe de vin et s’adressant aux apôtres affirme « Ceci est mon sang ».  Le vin est alors porté au rang divin le plus haut, comme équivalent symbolique du sang du Christ, (transsubstantiation). Il est ainsi incorporé à la religion chrétienne, et même consacré par l’Eucharistie.

MYTHOLOGIE CONTEMPORAINE DE L’ALCOOL.

Concernant cette mythologie du vin, Roland BARTHES écrivait en 1957 : " Elle comporte un conformisme, croire au vin est un acte collectif contraignant : le français qui prendrait quelque distance à l’égard du mythe s’exposerait à des problèmes menus mais précis d’intégration, dont le premier serait d’avoir à s’expliquer. "

Donc, pour les Français, le vin  ne saurait être mauvais.

Pour illustrer ce mythe du vin, je vous renvoie à un article de journal daté du 9 novembre 1903 (donc avant les écrits de R. Barthes),  signé par G. DE CONTENSON  en réponse à un médecin (le Docteur DAREMBERG) qui avait osé dire, statistiques à l’appui, que le vin était le principal agent de l’alcoolisation en France. On peut voir que l’auteur se sent pleinement légitimé à rétorquer le contraire par un tissu d’affirmations dont la totale absence de fondements n’a d’égale que la conviction d’évidence avec laquelle il les présente. "Le vin, et même une certaine exagération de son usage, a toujours été considéré comme n’entrainant aucun des inconvénients de l’abus des liqueurs fortes… L’innocuité du vin est une vérité reconnue aussi bien par la science que par l’expérience." L’ennemi désigné est ici l’alcool provenant de la distillation, et l’auteur en conclut : "C’est ainsi que la lutte très justifiée contre l’alcool provenant de distillation dévie en une attaque sans raison contre l’usage, non seulement inoffensif, mais même salutaire du vin."

Avec pour illustrer cela une belle image montrant un squelette devant un alambic !

Les mythes contemporains autour de l’alcoolique et de l’alcoologie.

Le plus ancien et qui a la peau dure, est sans doute celui de l’alcoolisme considéré comme un vice, les alcooliques étant alors des monstres battant femme  et enfants, c’est l’assommoir de ZOLA (en particulier le personnage de Coupeau).

Je n’insisterai pas davantage sur ce mythe auprès de vous qui l’avez depuis longtemps dépassé (tout au moins je l’espère !)

C’est aussi le mythe que je qualifierai mythe du buveur et de la boisson, le terme buveur étant accolé le plus souvent aux adjectifs « invétéré », « impénitent » ou bien « repenti » lorsqu’il a arrêté l’alcool ;

Tous ces termes indiquant bien qu’on se trouve dans le registre de la faute donc bien sûr de la morale religieuse.

Mais c’est aussi la confusion entre la boisson et le produit psychotrope qui s’y trouve, autrement dit entre les 2 niveaux de consommations indissociables qui coexistent dans toute boisson alcoolisée :

  • d’une part la consommation d’une boisson  contenant une certaine quantité d’eau, donc essentiellement désaltérante et pourquoi pas nutritive, agréable à consommer.
  • d’autre part l’absorption d’un psychotrope (la quantité d’alcool pur contenu dans cette boisson)  avec tous les effets que nous connaissons bien, à savoir : désinhibiteur, anxiolytique, anesthésique, etc. … (mais qui lui ne désaltère pas).

Dans tout le vocabulaire des rituels d’alcoolisation, une confusion permanente existe entre ces 2 niveaux de consommation :

On dira du buveur qu’ "il boit", que "son problème c’est la boisson", et l’alcoolique dira "j’ai soif" (en groupe on dit : "il fait soif") pour dire qu’il a envie d’alcool.

Cette confusion dans le vocabulaire correspond à un déni partiel de la dépendance que la plupart des gens (consommateurs conviviaux modérés) partagent avec les sujets dépendants, une sorte de connivence qui se situe  dans notre inconscient collectif.

Le mythe de la désintoxication qui serait LA solution à tous les problèmes de l’alcoolique, sous la forme d’une cure dite de désintoxication, demandée à cor et à cri par l’entourage : "il faut le faire désintoxiquer" ; expression souvent reprise par le malade lui-même : "je veux me faire désintoxiquer ", le fantasme sous-jacent étant celui d’un grand nettoyage effectué sur une machine, par un spécialiste ( type nettoyage moteur par le mécanicien du corps ; certain malades parlent d’ailleurs de décalaminage ! ).

Donc grand nettoyage, purification sans doute, mais aussi radicalité, ce qui sous-entend souvent que la machine pourra ensuite se remettre à fonctionner  normalement, c’est à dire avec le même carburant.

Enfin le mythe de la maladie alcoolique dont Alain ROUGE (sociologue et directeur d’un centre de post cure à Mende en Lozère) disait : "dire que l’alcoolisme est une maladie ce n’est pas idiot, ce qui le serait, ce serait de le croire."

En effet, en voulant sortir du mythe de l’alcool considéré comme un vice et déculpabiliser les malades, on a basculé dans un autre : la notion de maladie alcoolique, centrée essentiellement sur l’explication (souvent simplifiée) de la dépendance physique. Cela ne fait  souvent que déplacer le déni : " Oui je bois mais c’est une maladie"  ce qui veut dire : "je n’y peux rien, à vous de me soigner". De plus, cela présente l’inconvénient de centrer les soins sur le sevrage physique. Et même si l’on rajoute la notion de sevrage psychologique et de nécessité du deuil de l’alcool, la qualification de maladie alcoolique demeure peu adéquate, car beaucoup trop éloignée de la réalité, à savoir l’existence d’une problématique psychique singulière, addictive, propre à chaque sujet.

Un des avatars de ce mythe est d’ailleurs celui de la similitude, proclamée à répétition dans les groupes d’entraide par l’affirmation : "Nous autre malades alcooliques, nous sommes tous pareils."

 

Alain CATTIN, psychologue, 246 cours Lafayette, 69003 Lyon

Mise à jour le Mercredi, 08 Juin 2016 15:33