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Kairo - Déclic

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LE DECLIC : à propos d'un partage du savoir entre le malade alcoolique et l'alcoologue.

Michel Kairo, Intervenant en alcoologie à l'hôpital de l'Arbresle - 6 décembre 1996

Je m'appelle Michel KAIRO.
Je suis malade alcoolique abstinent.

Et travaille également en parité avec les associations traitant des problèmes en alcoologie, aussi avec des associations de santé communautaire en parité entre les personnes toxicomanes et les professionnels médicaux et sociaux.

je m'efforcerai brièvement d'ouvrir une parenthèse sur ce qui apporte "le Déclic" à tout individu dépendant de l'alcool.
Ensuite plus largement; par mon histoire, mon vécu, espérer, susciter quelques réflexions.

Il est difficile de parler du Déclic, sans le mettre en relation avec le déni ; car c'est le moment où le malade va prendre conscience de la place de l'alcool, dans sa vie et de ses conséquences.
D'une période plus ou moins longue de refus, de rejet, sur l'influence qu'exerce l'alcool sur lui, il va passer à un constat !
Un constat souvent brutal, parce qu'il vient de se passer quelque chose dans sa vie : un événement.
Quelque chose qui est personnel à chaque individu, où l'alcool va lui apparaître comme l'élément responsable.
C'est une décompensation qui va être prise en compte ! Qui va déclencher le Déclic. Elle peut être somatique, sociale, psychologique, relationnelle, etc… "Qui va acculer la personne à s'interroger sur sa consommation et sur ses conséquences.

Le Déclic, c'est avoir touché le fond pour soi-même, car le fond de chaque personne est différent. Il peut être lié à une incarcération, un divorce, une perte d'emploi ou encore aux multiples complications sur la santé dus à l'abus de l'alcool.

Dans la vie des alcooliques il y a plusieurs Déclics.
Au premier Déclic on comprend que l'on a un problème avec l'alcool, là, on peut dire que le malade commence à sortir de son déni mais ce n'est pas pour autant qu'il va connaître l'ampleur de sa maladie et de ce qu'il devra gérer dans sa vie.

D'autre part, le Déclic, comme la sortie du déni ne mène pas systématiquement à une démarche de soins ! Mais c'est une étape propice à l'information du dispositif de soins existant pour les malades alcooliques. (Service d'alcoologie, cures et postcures, centre d'information, sur l'alcoologie, médecine de ville spécialisée et bien sûr, toutes les associations).

Pour ce qui me concerne, sans aucun doute mon premier Déclic, apparaît dans un train où, pris de vomissements, je constate des filets de sang.
Mon angoisse est très forte, ce qui m'amène le lendemain dans un service spécialisé ou je confie, pour la première fois, ma consommation abusive de l'alcool.
Les examens arrivent :
Diagnostic     --->  Hernie hiatale
Prescription   --->  RANIPLEX et arrêt de l'alcool.
Mission impossible  je dirais même pas envisageable un instant pour ce qu est de l'arrêt de l'alcool.
Cependant je consulte mon médecin traitant, le sachant plus clément, qui me propose la règle des quatre quarts, ce qui consiste à consommer quatre verres d'alcool, peu importe la force de l'alcool.
Cela pouvant être 4 bières, 4 pastis, 4 Kir, 4 digestifs un encore une bière, 1 pastis, 1 kir, 1 digestif.
L'essentiel étant de respecter cette consommation sur 24 heures.
Le compromis me satisfait.
Lorsque le médecin préconise à un malade alcoolique un compromis avec l'alcool : c'est forcément un bon médecin.
Le lendemain, déterminé, malgré mes manifestations de manque, j'essaie de reculer au maximum la prise du premier verre. Je sue, je tremble, je souffre jusqu'à 11 heures où pour alléger ma torture, je prends 1 kir, je ne le bois pas, je l'engloutis et en commande immédiatement un deuxième ; il est 11 h 10, cela ne suffit pas, et me retrouve devant la soustraction la plus complexe de ma vie : 4-2 = 2, à gérer jusqu'au lendemain 11 h ; à midi, j'avais repris mon taux d'alcoolémie quotidien.

Un deuxième Déclic est apparu, plus brutal, j'ai acquis ce jour-là que je n'étais pas tout puissant devant l'alcool : je ne maîtrisais plus ma consommation.

Pourtant cette expérience incontournable ne m'a pas amené à une démarche de soins pour l'alcoolisme, cependant elle a développé mes angoisses sur les conséquences somatiques.

Suite à des bilans sanguins semble t-il alarmants, j'ai consulté ou été propulsé vers un Endocrinologue. A la lecture de mes examens, le médecin m'a dit qu'il ne pouvait plus rien pour moi.
Sur ce, je n'ai pas dessaoulé pendant trois jours et je me suis retrouvé au pavillon des urgences à l'hôpital Jules Courmont pour crise de panique.
Ceci n'a déclenché aucun Déclic pour moi. A la suite de cela, j'ai fait trois intoxications volontaires, associant médicaments, alcool, afin d'être conduit à l'hôpital.

Après maintes hospitalisations dans des états d'urgences, j'ai rencontré un médecin et une infirmière qui m'ont parlé de sevrage.
A ce moment là, mon épouse a demandé à notre médecin de famille de collaborer avec les médecins du service où j'étais hospitalisé.

C'est seulement à ce moment précis que j'ai appris qu'il existait des centres spécialisés pour les malades alcooliques.
Cette découverte était pour moi un nouveau Déclic dans la mesure où, s'il y avait des Centres Spécialisés" au pluriel, signifiait que je n'étais pas SEUL.

Paradoxalement, je ne croyais pas à l'efficacité de tels centres : pour deux raisons précises :
-    l'une de pouvoir vivre sans alcool,
-    l'autre parce que je considérais les dégâts somatiques dus à mon alcoolisation comme étant irréversibles (on ne pouvait plus rien pour moi !).
-    j'étais un homme foutu et le sevrage m'apparaissait comme pour reculer une échéance qui m'était fatale.

Mon hospitalisation ayant duré 3 semaines avant mon admission au Centre Spécialisé, cela m'a permis, devant la perspicacité d'un interne, de parler de mes angoisses.
C'est ainsi, avec une prise de sang tous les deux jours et avec les explications de ce jeune médecin, avec le partage d'un peu de son savoir, constatant l'amélioration progressive de mes examens, qu'un autre Déclic fondamental et apparu.
Celui que je pouvais vivre, que rien n'était irréversible, que mes bilans n'étaient que les conséquences de mon alcoolisation.
Et encore un autre Déclic, immédiat : si l'on peut vivre, il apparaît inéluctablement celui d'avoir un avenir.
Au Centre des Bruyères à Létra, dans un encadrement spécialisé, avec médecin alcoologue, une psychologue spécialisée dont les compétences dépassent toutes attentes.
Très vite, le malade alcoolique prend conscience des mécanismes, des rouages de la dépendance physique et psychologique de l'alcool. Il comprend avec son entourage familial la dimension de la maladie alcoolique.
Et que même s'il a joué un rôle, même s'il a contribué à sa dépendance vis-à-vis de l'alcool, il apprend que la volonté ne suffit pas afin de sortir de cette prison sans barreau.
Là encore un Déclic important apparaît ! Celui de la déculpabilisation.

Dans l'abstinence aussi on a des Déclics.
Ne serait-ce que dans les premiers mois.
Où curieusement cette maladie nous réserve bien des surprises. Car c'est lorsque l'on s'arrête de boire que l'on se désigne comme malade vis-à-vis des autres individus.
Tu ne bois pas, pourquoi ? Tu es malade ?
Là encore, le malade alcoolique aura un Déclic, celui de sa place dans notre société.

Notre vie est faite de Déclic, selon les événements, une situation, une rencontre.

Au malade d'y réfléchir, à chaque fois, d'en parler, c'est ainsi que le Déclic contribue à nourrir son abstinence.



Mise à jour le Vendredi, 19 Octobre 2012 09:15