Débat autour du thème : loi, limites et responsabilités
Animé par le professeur Jean-Marc ELCHARDUS, psychiatre, médecin légiste des urgences, hôpital Edouard Herriot. pavillon N,
Intervenants : Christine GUILLET, psychanalyste, et Cyril PIOT VINCENDON, juriste - Février 2000
Jean Marc ELCHARDUS
La question de la loi se pose sous deux angles : d’abord les règles édictées dans un fonctionnement social, et puis la loi au sens d’une organisation organique pour assumer sa place dans une société, d’où la question sur la responsabilité devant la société ou dans le sens où un sujet doit répondre de ses actes. Du côté de la loi, de la société, elle s’inscrit dans des codes. Les plus connus sont le code pénal, le code civil, le code du travail.
On peut avoir un regard social sur les codes. Place de l’alcool dans un appareil régulateur dans une organisation sociale. La loi au sens de la construction personnelle autour d’une identité par rapport aux rapports avec autrui. On peut voir qu’il y a des impasses ou des déviations. On est dans un domaine très clinique. Cf. rapport du psychanalyste Claude Balier dans le milieu carcéral. Réflexion sur ce qui est en jeu dans les champs ultimes.
Discussion des cas après les interventions.
Maître Cyril PIOT VINCENDON
L’alcoolisme c’est un problème d’ordre médical. Mise en perspective de la loi actuelle. Ce sont des notions historiques.
Ces notions de lois sont évolutives en fonction des étapes. On s’intéressait plus à l’ivresse qu’à l’alcoolisme. Ca donnait lieu au fait que la connotation de la liberté a changé. L’individu était maître de son destin. Même encore aujourd’hui des comportements condamnables ne sont pas punis du point de vue pénal ; exemple de la prostitution.
Modification depuis ces dernières années. Il existe une intervention sociale plus rigoureuse sur les conduites d’alcoolisation. On rentre dans une phase de collectivisation. On ne travaille plus comme avant. Réflexion sur l’alcoolisme par le biais de l’automobilisme.
Hormis les derniers textes de 1996, il n’y avait pas grande chose dans le code pénal :
- Répression d’ivresse publique.
- Code de débits de boisson
Code civil :
- Traitement de l’alcoolique dangereux pour autrui.
- Problème des majeurs protégés du fait de l’alcoolisme.
Code de travail :
- Interdiction d’introduire de l’alcool dans l’entreprise.
- Interdiction de recevoir dans l’entreprise un salarié en état d’ivresse.
Depuis le nouveau code pénal, il y a un nouvel outil, le délit de mise en danger d’autrui. Délit four tout qui pourra permettre d’affiner les interventions pénales dans la matière. Regard plus social. Pas de jurisprudence pour le moment. Le texte est très vague.
Christine GUILLET
D’un point de vue analytique, quel rapport a le sujet avec sa parole ? Quelle responsabilité ? Quelle pulsion est en jeu ? Quel rapport avec la jouissance ? Comportement pervers ou structuration perverse ?
Référence : "Malaise de la civilisation" de Sigmund FREUD. Alcoolisme né au 19ème siècle. Une part de renoncement est demandée au sujet pour entrer dans la société. En quoi la société lui assure une place.
La question de l’intoxication. Lutte pour assurer le bonheur. François PERRIER, psychanalyste : "l’alcool au singulier" de 1980. Il voit double pour n’être qu’un. Il se dédouble. Il n’accepte pas cette division et sous l’effet de l’alcool il va être un. L’alcool est un produit hexogène. Dans un effet de rapidité, il va permettre au sujet de sortir de la problématique dans laquelle il se trouve. Au moment du sevrage, il évoque le deuil mélancolique, le rapport à la mort. A quoi est-il confronté ? Deuil de quoi ? Eviter l’angoisse de la castration et la différence des sexes.
Effacer quelque chose sur l’identité sexuelle. Question de la pulsion génitale. Il y a quelque chose en rapport avec le "faire pipi », la question de l’organe.
L’alcool efface la défense du moi et fait perdre la pudeur. Le buveur est plus le fils de sa mère et grande-mère que le fils de l’homme. La boisson agit en empêchant le refoulement. Rapport entre l’alcool et l’alcoolique que vient masquer la douleur du manque. L’alcool est d’abord dans sa tête.
Concepts plus analytiques. Problème de la castration, quel savoir peut opérer ? Dans l’alcoolisme on parle de sevrage et non de castration. Renoncement au produit par la parole ou renoncement au produit avant la parole. C’est là la question. Travail avec un sujet dans mesure où le symbolique est en jeu.
L’alcoolisme peut rencontrer toutes les structures cliniques. L’alcool devient le vrai partenaire du sujet. On a à faire avec le rapport à l’organe, concept de jouissance. Comment le sujet manifeste la jouissance par rapport à l’autre. Dans l’alcool, on est au delà du plaisir, dans l’excès, dans l’exacerbation de la satisfaction (pulsion de mort). Annulation du corps de l’autre. Est ce que l’alcoolique existe ? Non, il n’y a pas de structure clinique.
Concept de rapport à la pulsion, quelque chose qui est là comme un impératif, cette façon de trouver la jouissance très rapidement et qui annule le partenaire réel.
En l’absence de produit, c’est l’inhibition qui envahie le sujet. Son plaisir à lui dans son corps. Recours à l’alcool face à l’angoisse.
L’auto-érotisme, celle du sujet qui peut se suffire à lui-même. Jouissance cynique, alors que la jouissance du toxicomane passe par le corps. En tant que névrosé moyen, il y a une jouissance de la parole.
Pour l’alcoolique, la jouissance de la parole, ce n’est pas son truc, court circuit de l’autre.
Comment le sujet peut donner sens à sa dépendance. Le travail de groupe est intéressant dans ce cadre pour que le sujet puisse rentrer dans ce rapport à la parole.
Le désir et la loi de jean CLAVREUL.
La structure perverse s’organise autour du désaveu. Le pervers est inatteignable. Dans le passage à l’acte il y a un concept pervers. La position perverse c’est surtout de montrer que la loi ne marche pas (la loi de la prohibition de l’inceste). Peut-on dire que l’alcoolique est pervers ? L’alcoolique se réfugie dans la position cynique qui peut aller jusqu’à la clochardisation.
La psychanalyse ne s’adresse pas à l’alcoolique qu’après un très long processus. Le sujet doit se dégager du rapport au produit.
La question de la responsabilité et la culpabilité. La dépendance n’est-il pas un mode marqué par la culpabilité et que cette culpabilité fait barrière à la responsabilité ? "Pas vu, pas pris », différence avec le sujet de la loi, celui qui a des devoirs.
La place du politique, du religieux. Les politiques sont que des juristes, et ils sont assez désarmés par rapport aux études des psychanalystes.
Débat autour des cas :
Aval de la parole (J. KATNAZ) ?
Responsabilité supérieure à la culpabilité ?
Droit canon ?
"Les produits précédent le droit"
"Le droit chasse la morale (peu de sanction)". Le juge : "que les médecins fassent mon boulot"
En tant qu’analyste, le sujet est toujours responsable de ce qu’il dit. Nous sommes dans un rapport à la parole, dans la symbolique, la réalité on n’en tient pas compte. Comment le sujet peut soutenir sa responsabilité ?
Question n° 5 sur le secret professionnel. Dois-je intervenir auprès des instances sociales et judiciaires ? Tenu au secret professionnel n’est pas évident. Est ce qu’on serait pas pervers de trahir le secret professionnel ? Difficulté de discerner la différence entre la réalité et le fantasme.
L’avis du juriste : la seule obligation c’est de dénoncer un crime. Un délit, on n’est pas obligé de le dénoncer. Un crime qui va se commettre ou s’est commis doit être dénoncé dès qu’il en a connaissance.
L’article 431-1 du Code Pénal, pas d’obligation de dénoncer un crime sauf tous les crimes de nature sexuelle sur des mineurs de moins de 15 ans.
Le patient se protège de sa propre culpabilité en se confiant à son thérapeute.
La loi est à réintroduire. Le lieu de cette révélation est un cadre thérapeutique. Se dessine le personnage de la victime. Perversion sociale, cette personne est dispensée de sa responsabilité.
La responsabilité c’est d’accepter la place qu’on occupe par rapport à l’autre.
Il y a un rapport structurant dans le rapport à la loi. Exemple : "le permis de conduire", session de délivrance, étape de position de la responsabilité.