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Buhrig - arts martiaux prison...

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Mise en mots de pratiques individuelles d’arts martiaux non-violents

A destination des Prisons de Lyon

Martine Buhrig (assistante sociale à la Veille Sociale et artiste martial)

et Jean Max FERREY (psycho-sociologue)

décembre 1999

Objectif : prévention de récidive d’actes de violence chez des personnes toxicomanes ou alcoolo-dépendantes principalement. Autour du "geste martial ", ce projet thérapeutique vise à l’expression des personnes agissant par la violence, liée à un problème psycho-pathologique qu’elles traduisent socialement.

Modèle : approche par un art martial, suivi d’une mise en mots et d’une élaboration avec un psycho-analyste (dans la lignée de l’expérience d’Helbrunn à Strasbourg).

Outils pédagogiques : choix de l’AÏKIDO, de KEN-JITSU et de TAÏCHICHUAN.

Destinataires : 10 personnes / an, choisies par les thérapeutes de la prison, en particulier par l’antenne Toxicomanies-coordination Alcool.

Cadre : le KIDAN-CLUB, association Loi 1901 à vocation sociale, intervenant à l’intérieur de la prison, pour 9 séances de 3 h avec prise en compte individuelle à tour de rôle ou en petits groupes de 3 personnes.

Durée : de septembre 1999 à janvier 2000.

Intervenants :

- Jean-Max FEREY, psychologue, consultant – formateur en PNL

- Martine BUHRIG , professeur d’arts martiaux et assistante sociale à la Veille Sociale

Règles de pratique

Avant de commencer la pratique, il est important que nous nous mettions d'accord sur quelques règles qui vont nous tenir lieu de contrat. Ces règles sont les suivantes :

- La séance individuelle a une durée de 50 mn : 5 mn d'accueil, 30 mn de pratique et 15 mn de parole.

La séance collective de 3 personnes dure 2H30, avec 3 séquences de pratique et des temps de parole.

- Le but des séances n'est pas de prouver sa force physique ou son habileté au combat mais de travailler sur sa propre agressivité, en conséquence il n'est pas nécessaire de faire opposition.

- Nous vous demandons de ne pas fumer pendant la séance.

- Nous vous demandons d'être ponctuel aux séances.

- Règle de participation : il est important que vous essayiez les techniques que nous allons voir. Si elles sont difficiles pour vous, c'est d'accord pour en parler.

- Règle de co-responsabilité : nous créons un espace et nous apportons un savoir, mais c'est vous qui le remplissez.

- Nous acceptons vos émotions et nous vous prions de les prendre comme telles. Vous pouvez nous en parler.

- Le but de ces séances est de parler de l'agressivité pour prévenir les passages à l'actes violents de votre part. Vous avez fait preuve de motivation en acceptant de participer à ce travail, nous vous invitons à oser le devoir de parole.

Si vous êtes vraiment d'accord avec ces règles, nous allons pouvoir commencer.

Quelques pistes

- Une autre représentation : du combat de rue aux arts martiaux

Les pratiques non-violentes proposent un passage de la loi du plus fort :

" C’est lui ou moi … au premier qui frappe…au sol, faut l’achever "

à une autre manière de répondre à l’agressivité, avec d’autres moyens que la destruction qui mène à la réponse institutionnelle, à la tôle :

  • par la parole

" laissez- passer la violence, sortez de la ligne d’attaque, protégez-vous, protégez votre partenaire, conduisez-le et calmez-le au sol "

  • par un geste qui signifie la parole, au-delà des mots.

- L’expérimentation d’une force (le ki) plus forte que la force musculaire

Qu’est-ce qui est le plus fort : l’eau ou le rocher ?

Sur des techniques de saisies, avec un blocage "musclé ", les participants découvrent qu’il est impossible de s’opposer, d’empêcher le mouvement… et se retrouvent doucement et sûrement par terre alors qu’ils se croyaient puissants (Ce constat est accentué par le fait que le professeur est une femme).

Les regards et le silence disent le sentiment de perplexité, l’anxiété, l’interrogation face à cette impossible maîtrise de soi et de l’autre : " qu’est-ce qui m’arrive ? "

- Le renversement du rôle agresseur / agressé

L’agresseur à abattre devient partenaire, par l’introduction d’un "tiers " qui est la loi intériorisée. Maître Ueshiba, fondateur de l’Aïkido disait :

"l’Aïkido, c’est la victoire par la paix … c’est faire d’un ennemi un ami "

Il y a contradiction directe avec leur expérience (en particulier ce qu’ils disent des banlieues) :

" Ah bon, quand il est au sol, j’ai compris. Les prochaines fois, je ne lui donnerai plus de coups de pied pour l’achever ! "

Cette contradiction (re)met en question leurs croyances sur l’utilité sociale de la violence, et les place directement face à leurs propres limites à élaborer des recadrages aussi bien sur le plan des comportements que sur celui des attitudes face à l’avancée de l’autre dans leur espace de sécurité. Espace de sécurité hypertrophié comme celui de tous les individus inquiets, angoissé dans leur rapport au monde et aux autres. Nous constatons que la pratique martiale, comportementale, est un accès privilégié, avec ce type de public, à la remise en route des processus internes de réflexion et d’élaboration, ainsi qu’avec le ressenti émotionnel.

- de la peur à la confiance

Dans le randori (forme d’attaques rapides d’une personne par plusieurs partenaires), il y a l’expérience d’être poussé à bout jusqu’à l’épuisement, d’être complètement débordé :

Ce débordement qui touche à tous les aspects de la personne (son corps, ses émotions et ses processus de pensée) nous donne parfois à voir les signes de l’épuisement et nous sommes vigilants à rester en deçà des limites de l’effondrement. Tout se passe comme si le combat encadré (voir plus hait les règles de fonctionnement) était un espace de soi dans lequel les individus sont justes eux-mêmes dans un fonctionnement qui exclue d’office l’agressivité. Il s’agit donc de transformer la destructivité en combativité, de transformer la destruction en création, la haine en partage, le passage à l’acte en prise de position adulte sur l’espace du randori.

" J’ai la haine… je ne vois plus rien ni personne, je frappe "

Après le combat, quand on lui parle de la peur qui l’a traversé au milieu du randori, l’un confie : " je savais que je pouvais vous faire confiance… "

NB : le débordement recherché est limité par le manque de tatamis facilitant les chutes arrière et avant. Il semble plus difficile d’atteindre "l’archaïque " dans les réactions que dans les thérapies frappantes initiées par Richard Helbrunn avec la boxe. L’Aïkido offre un support qui apparaît comme plus relationnel, plus élaboré.

  • le contact

Se laisser toucher, se toucher, toucher… avec la main, avec tout le corps ; c’est rentrer en relation avec l’autre à travers sa propre peau. Cela renvoie à beaucoup de choses, plus particulièrement en prison où le contact physique est très limité.

Lors du premier entraînement, les corps sont raides, tétanisés partiellement, pendant la première heure. Puis l’assouplissement s’effectue peu à peu au fur et à mesure que le lien engagé dans la pratique martiale s’instaure.

La relation à l’autre sur le tatami est peu parlée directement. Ce n’est pas peut-être pas par hasard qu’ils parlent assez souvent de la mère (spécialement dans la population d’origine maghrébine), comme étant la seule personne à qui on peut faire confiance.

- L’effet de décompression, de relaxation

Tous expriment leur bien-être après l’entraînement, d’autant plus apprécié que les activités sportives sont plus que réduites en prison et que le manque de mouvements laisse le corps sous-tension.

" je me sens bien… ça faisait longtemps " avec un bon sourire, heureux.

" Ce soir je vais bien dormir ". La plupart souffrent d’insomnies.

La tension physique diminuant, la parole est libérée plus facilement. Ce lâcher-prise favorise l’écoute, la communication.

- la chute

la vie passe par l’alternance " yin / yang ", fort / faible, chuter / se relever.

" Dans la rue, ce n’est pas comme ça. Il faut avancer. Tu ne dois pas t’effondrer. "

La chute n’est pas une perte de l’image du fort (avec atteinte narcissique du sujet). Celui qui chute fera aussi chuter celui qui l’a mis par terre.

La chute est proposée comme un déplacement, comme une porte de sortie au conflit.

Elle représente une option à la maîtrise constante de la tension ; : le lâcher-prise. Cette notion du lâcher-prise est en lien avec le renversement de croyance que propose l’Aïkido et est la voie (probablement) vers la non-violence.

  • De l’opposition à l’harmonie

L’expérience du lâcher-prise provoque des réactions extrêmes :

" c’est insupportable " et la personne n’est pas revenue à la dernière séance.

" c ‘est planant ".

La non-opposition et la non-résistance sont des principes vérifiés dans la pratique martiale :

Qu’est-ce qui est le plus résistant au vent violent : le chêne ou le roseau ?

Le contrôle de la violence de celui qui attaque se fait par un geste fluide habité par l’intention de protéger l’autre contre sa propre violence jusque dans sa chute. L’agresseur fait l’expérience d’être contenu efficacement et pacifiquement.

La pratique martiale remet en cause la représentation de l’homme type Mr Muscle invincible, qui imprime sa loi par la force brutale ; et affirme que la dimension de l’homme est ailleurs.

  • la frappe, l’engagement dans l’action

La plupart ne savent pas se battre. Ils n’ont aucune technique, si ce n’est une allonge du poing sans véritable entrée. Ce sont des techniques de désespoir du type :

" Je baisse la tête et j’avance en faisant de grands moulinets… et je tabasse ce que je trouve. " Le regard est bloqué sur la poitrine, il y a irruption de l’image, le Moi est envahi par la rage (l’angoisse). Les processus mentaux sont stoppés, les émotions sont refoulées. Plus aucune notion de fuite (de sortie) n’est possible.

L’apprentissage pour attaquer de tout son corps, dépasser ses peurs, est nécessaire pour retrouver la perception d’une sensation qui soit conscientisée.

  • le souffle

Il est tellement chaotique et désordonné que nous en parlerons peu. Les épaules et la partie thoracique du corps sont bloquées. L’angoisse liée à l’asphyxie partielle prépare l’explosion.

L’impulsivité règne.

  • Les produits toxicomaniaques

1 – le déni de l’utilisation de substances lors des récidives est rare et court.

2 – Ils disent que leur violence s’exerce sous l’effet de l’alcool.

3 – le déni quant à l’existence de la violence, sans alcool ni drogue, est fréquent et il semble intéressant de s’y arrêter quelque instant. Dans leur plus grande majorité, les détenu qui participent à cette opération ne se considèrent pas comme des personnes agressives ou capables de violence. Cette agressivité est du fait de l’alcool ou de la drogue. La question du déni peut nous conduire à rechercher le manque (ce qui n’est pas advenu), en effet dans ce déni de sa propre violence, la personne se retrouve hors du conflit, hors de sa responsabilité dans le passage à l’acte agressif. Le " ce n’est pas moi, c’est l’autre " (qui existe aussi bien sur) se transforme en " je ne suis pas comme cela, c’est l’alcool qui me met hors de moi ". Cet "hors de soi " s’inscrit très probablement dans la compréhension de ce que nous appelons la violence de transfert et qui est une indication très forte d’un travail de type analytique.

Dans des moments d’expression spontanée, ils expliquent que le hashich sert à vivre en tôle, à supporter l’insupportable.

Conclusion

Tout le travail thérapeutique de notre atelier consiste à confronter la relation de cause à effet entre le passage à l’acte violent et sa justification rationnelle :

" Je ne suis pas quelqu’un de violent, c’est l’alcool qui me rend violent "

Le travail se fait au niveau physique :

" Comment ça se passe ? quels lieux du corps ? quelles sensations ? "

support de l’expression au niveau psychique :

" Quels sentiments ? quelles idées ? quels souvenirs ? "

Il y a une forte demande d’exercices physiques et respiratoires pour "être mieux ", à pouvoir pratiquer en cellule.

L’expression verbale est assez limitée par un modèle du monde étriqué et peu de capacités d’élaboration. Quelques-uns se laissent aller parfois à des souvenirs (les 3 séances par personne développent une certaine frustration, car le lien devient fort (transfert, couple thérapeutique). Le travail thérapeutique spécifique sur la prévention des récidives ne fait que commencer au moment où il faut arrêter).

On y perçoit 2 types d’expression de la violence :

1 - les violences d’identification qui reproduisent la violence vécue dans l’environnement, souvent dès l’enfance (par exemple le père malade alcoolique et violent est revenu plusieurs fois).

2- les violences de transfert qui éclaboussent sur les figures d’autorité (le flic, le bourgeois et en particulier les surveillants, images par excellence de la figure d’autorité insupportable ).

La violence de transfert, comme la violence d’identification sont le signe des persécutions vécuent par les personnes dans leurs petites enfances, persécutions renforcées par les carences sociales et les éventuelles dévalorisations ressenties comme des persécutions (position psychopathique). Il y a souvent mélange de l’une et de l’autre, lorsque le transfert désigne la " victime ", c’est l’identification qui va servir de modèle.

Ils mettent aussi en avant la qualité relationnelle vécue dans ces moments de mises en mots de pratiques non-violentes, avec un espace de pratique et de paroles, d’écoute et de convivialité qu’ils n’imaginaient pas de cette manière.

Il semble que le centre de cette expérience soit que les personnes sont plongées dans un état de stupéfaction, d’étonnement profond qui met en question leur savoir sur leur propre contrôle. S’ouvrent alors d’autres voies possibles à acquérir.

Mise à jour le Lundi, 10 Février 2014 10:20