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Quels concepts sous-tendent nos pratiques dans le cadre de l'accompagnement social ?

Mme Martine BUHRIG

Assistante sociale à la Veille Sociale et coordinatrice du 115


octobre 2001

La Veille sociale a pour mission « d’aller vers » les populations en situation de grande exclusion dans la rue. Avec le 115 (numéro national gratuit répondant 24H / 24 aux personnes sans abri), elle fait partie des organisations sociales mises en avant dans la Loi de lutte contre l’exclusion.

Notre pratique professionnelle nous amènent à accompagner des femmes et des hommes dont la souffrance psychique est intimement liée à leur situation de détresse sociale et à l’altération de leur santé. Si certaines personnes vivent isolées dans la rue, d’autres font le choix de vivre en groupe (avec l’avantage de la vie relationnelle et d’une certaine solidarité ; avec aussi l’inconvénient de la défonce commune et parfois d’une extrême violence qui expose lors des soirées de « cuites » collectives.

1.    Le concept d'accompagnement social

La notion d’accompagnement social s’impose de plus en plus comme une réponse face à l’exclusion. Il propose un étayage afin de favoriser la résolution des difficultés sociales rencontrées par les personnes. Ses fonctions s’étendent de la prévention aux « soins sociaux » à travers l’écoute individualisée  et les actions collectives. 1

Il est bâti autour d’une vision holistique de la personne en difficulté, dans son environnement social.2
L’accompagnement est mené en partenariat pour mieux répondre ensemble aux besoins des personnes et pour favoriser la mise en place de projets pour combler les failles du réseau actuel (par exemple l’aspect "observatoire social" du 115 et de la Veille sociale avec la DDASS, la Ville de Lyon et les multiples acteurs du dispositif de la Veille sociale. 3

Il est animé par une éthique (incluant le respect de la personne humaine et le secret professionnel), directement lié à un positionnement du travailleur social dans son rôle de médiation.4

2.    L’approche globale des conduites addictives

Les conduites addictives rencontrées dans la rue relèvent en général des « polytoxicomanies du pauvre » : association d’alcool (comme produit principal) avec des médicaments et le cannabis lorsque les ressources le permettent.
Les consommations sont souvent abusives, de façon quotidienne pour la plupart, la défonce pouvant conduire jusqu’à des états limite d’autant plus critiques qu’ils se jouent dehors, parfois par temps de grand froid.

Les prises en charge s’effectuent à travers l’accompagnement de rue (avec la présence des compagnons de galère),  les hôpitaux (voire avec l’intervention des pompiers et le passage aux urgences), les lits de repos et les centres d’hébergement d’urgence.

Le partenariat, en particulier avec les équipes mobiles du réseau rue – hôpital et l’Interface SDF, s’exerce de façon réfléchie en terme de diagnostic et de lien avec les services de soins hospitaliers. Car il est important de ne pas tomber dans le piège de la tyrannie de l’urgence (le tout, tout de suite). Cet éclairage, tant sur le plan somatique que psychique et social, est précieux pour parvenir à une prise en charge globale de la personne sur du long terme.5

Lorsque les procédures d‘hospitalisation à la demande d’un tiers s’avèrent nécessaires, entre le respect de la liberté du sujet et le délit de délaissement, elles se situent dans une prise en charge à long terme qui inclut «l’après hospitalisation » avec un travail de réseau pluridisciplinaire.
Au niveau de l’alcoologie, les services de soin jouent un rôle essentiel pour éviter certaines dégradations de l’état de santé des malades dépendants et permettre à quelques uns d’aller vers le soin.6

3.    L'écoute de la personne en grande souffrance psycho-sociale

La démarche « d’aller vers » les personnes très désocialisées de la rue s’appuie sur une présence du travailleur social régulière sur le terrain. Le lien social se bâtit sur une écoute active de l'intolérable, dans une plongée dans le présent. Cette écoute souple passe par une dynamique de petits soins  et de réponses ponctuelles aux besoins exprimés (vestiaire, alimentation, bobos, accompagnement du chien au vétérinaire...).7

Elle arrime à une vie sociale ceux dont la perception du monde et d’eux-mêmes a subi une transformation profonde, suractivée par l’usage de substances psychoactives. Appuyée sur ce lien social privilégié et sur le réseau (qui est à la fois support et garant de la liberté du sujet), la personne en errance peut développer ses propres réponses, au rythme de sa marche, à partir de là où elle se trouve, la rue, le « en dehors de chez soi ».

Avec l’émergence des désirs de la personne, les demandes de soins et de logements, les accès aux droits sociaux et aux revenus prennent peu à peu sens dans la vie quotidienne. Dans une situation de mort sociale (donnée à voire à travers les corps morcelés, meurtris ou abandonnés à la déchéance), « l’homme naît véritablement à la vie, et rien d’humain n’est étranger à lui  ».8

4.    Entre abstinence et consommation contrôlée

Les périodes d’errance dans la rue ou dans les centres d’hébergement d’urgence s’accompagnent d’un état souvent dépressif, avec l’intériorisation d’une image dévalorisée SDF, clochard…) qui se paye en liquidité par des conduites de consommations abusives. Ce passage marque leur vie et nécessite une présence sociale au moment des mutations de l’existence et des crises.

Cet accompagnement s’avère d’autant plus indispensable que le processus d’atomisation de l’individu renvoie également les personnes sans abri qui ont réussi à vivre en appartement dans une solitude intolérable qui les fragilise et réactive leurs vécus de ruptures et d’abandon.

Hamed a vécu comme « clochard », avec les copains et sa majorette au pied du banc public, pendant des années. Emmené par les pompiers, il reste pendant quelques semaines entre la vie et la mort. Ses enfants le cherchent et apprennent par ses compagnons de rue « qu’il est mort ! » Ils se cotisent pour rapatrier le corps. A l’hôpital, ils découvrent ce corps habité par un souffle de vie très fragile.

Hamed reprend goût à la vie, avec ce lien renouvelé avec ses enfants. A 54 ans, il devient abstinent après 40 ans d’alcoolisation. Avec son logement et l’Allocation adulte handicapée, il reconstruit sa vie et développe des activités associatives. 4 ans plus tard, il ressent la curatelle comme une atteinte à sa dignité et demande au juge de la lever.
Heureux au moment de sa suppression, il se découvre en même temps handicapé par son illettrisme… Hamed fait une rechute retentissante, passant son temps dans tous les bistrots de la gare. Le travailleur social intervient et entend la peur et la souffrance de Hamed qui se voit à nouveau sans toit. Les dettes se sont accumulées en 15 jours de cuite quasi permanente, payées avec la carte bleue. Appuyé par le médecin, Hamed repart en cure et réinvestit sa nouvelle peau « d’homme libre ». Depuis 2 ans, il vit dans l’abstinence sans autre difficulté.


Dans la majorité des situations, l’abstinence n’est pas la règle. Il s’agit plutôt d’un apprentissage d’une consommation moins abusive et de l’acquisition de signaux d’alarmes lors des rechutes. La connaissance de la maladie alcoolique et les liens avec les équipes pluridisciplinaires permettent aux personnes en errance de « veiller » les unes sur les autres et d’alerter si nécessaire, de changer également leur propre comportement à partir d’une nouvelle conscience d’elles-mêmes.

Si certains « s’en sortent », d’autres en meurent. L’accompagnement en fin de vie est une dimension du travail, accentuée par les difficultés des passages entre les lieux d’accueil et la rue. Le travail de deuil se fait également au sein de la communauté d’appartenance, tant au niveau individuel que collectif.

C’est pourquoi j’ai jugé intéressant de m’appuyer sur cette expérience de « 6 ans sous le pont » que vivent des personnes en situation de « touriste » en France depuis plus de 10 ans. Leur statut ne leur permettent pas de travailler, ni d’obtenir un revenu minimum, encore moins un toit. Et pourtant ils se battent pour garder leur dignité. Leur combat passe par une lutte avec et contre leur dépendance qui les plonge dans des vécus de déchéance qui les dégouttent d’eux-mêmes.9

Dans une société marquée structurellement par le processus d’exclusion qui touche une partie non négligeable de la population, le social flirte de plus en plus avec l'humanitaire :
la présence socio- médicale s’effectue parfois sans perspectives réelles d'insertion sociale.
Dans ces situations de crises individuelles et sociales, la qualité des liens sociaux qui se tissent peu à peu devient terreau d’où jaillit la vie là où on ne l’attend pas, avec ses formes de résilience qui rendent possible ce qu’on croyait impossible.
___________________________________________________________________________

1 ADEFI, Polytoxicomanies, action individualisée, approche collective, Lyon, Chronique Sociale 2000, p.180    l'accompagnement, une marche ensemble,
2
Op. cit. p. 156 La personne avec son être au monde
3
Op. cit. p. 166, Les trajectoires d'insertion
4
travail social et question éthique
5 BUHRIG Martine, Réussir l’insertion, Lyon, Chronique sociale 1996, p.108 l'alcool, c'est…
6
Op. cit. p. 127 le parcours de la personne en situation d'exclusion

7 Op. cit. p. 165 la plongée dans le présent
8
Rousseau J.J., Emile ou de l’éducation, Livre 4, LV.
9 Voire en annexe Raoul, de l’Eldorado français à la dérive.

Mise à jour le Vendredi, 29 Juin 2012 15:43