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QUELS CONCEPTS SOUS-TENDENT NOS PRATIQUES dans un processus d'accompagnement d'un collectif de travail ?

Jean-François Valette,  Formateur et responsable de la prévention à AIDES Alcool

Afin de saisir la dimension de l'approche préventive dans l'entreprise, il nous  faut tenir compte de différentes complexités :

–        celle du monde du travail,

–        celle de la réalité de l'alcool (psychotrope-dépresseur, drogue, toxique et produit symbolique du sacré dans notre culture),

–        celle de la singularité de  l'être humain dans son rapport avec ce produit (recherche de plaisir, d’automédication, signature de la convivialité, moyen de transformer ses états de conscience, etc.)

–        et celle des concepts de : prévention, de management et d’aide en matière de problèmes associés à des phénomènes d’alcoolisation


1.   LES 3 CONCEPTS CLES QUI FONDENT UNE INTERVENTION ALCOOLOGIQUE DANS LE MONDE DU TRAVAIL

1.1.   Le concept de prévention vise à agir sur :

–        la santé (physique-psychique et sociale) des salariés

–        les enjeux de sécurité et de qualité du travail,

–        les facteurs de risques propres au contexte de travail (organisation, communication conditions de travail)

–        La problématique de l’exclusion du collectif de travail

–        les représentations associées à une culture alcoolophile et alcoolophobe (cf. les travaux de M. Jeannin).

1.2.   Le concept de management vise à agir sur :

¨  Le code du travail et sa déclinaison adaptée dans le cadre d’un règlement intérieur.

¨  La qualité de relation hiérarchique  notamment lors de comportement mettant en cause la sécurité des personnes, la qualité du travail, les relations interpersonnelles…

¨  La capacité de toute la chaîne hiérarchique dans sa capacité à tenir une cohérence entre les intérêts, souvent en tension conflictuelle,  des salariés (sécurité, santé et épanouissement ) et celui du collectif de travail (qualité,image, production).

¨  Le développement d’un savoir faire individuel et collectif dans la situation de gestion de situations de crises engageant l’intervention d’une chaîne d’acteurs (aux statuts, rôle et fonctions différentes mais nécessitant un minimum d’articulations).

¨  La mise en œuvre de processus d’accompagnement des personnes permettant de tenir la nécessaire intangibilité de signifier la limite énoncée collectivement et une attitude relationnelle permettant l’accès à une possibilité d’être aidé.

1.3.   Le concept d’aide vise à agir sur :

¨     La formation des services médico-sociaux afin de développer leur capacité à diagnostiquer ces problématiques comportementales, à les traiter relationnellement et médicalement en partenariat étroit avec le dispositif spécialisé situé dans l’environnement du collectif de travail.

¨     La mise en œuvre d’un climat d’aide aux personnes en difficulté où chacun des membres du collectif de travail peut avoir un rôle spécifique à tenir.

2.  Le contact avec l'entreprise :

L'interpellation peut s'effectuer par exemple à partir d'une crise (accident, personne en difficulté et sentiment d’échec dans son accompagnement, licenciement déguisé, problème de sécurité où de qualité du travail, coûts cachés, etc..). Il est rare qu’une entreprise mette en œuvre une démarche à partir d’une position « neutre » avec  la seule motivation de prendre en compte cette question pour ce qu’elle représente dans sa complexité : « c’est complexe donc cela vaut la peine de réfléchir et d’agir sur cette complexité ».

La porte d'entrée est variable selon :

–        le niveau et le degré de  dénégation (où de conscience ) de la complexité

–        ou selon le fait qu'il n'y a pas de réponse simple et à priori satisfaisante  à un problème complexe (ceux qui, lorsqu’ils  se posent des questions, attendent des réponses immédiatement opératoires sans passer par l’étape inéluctable du brouillard de la recherche en interne et donc  tâtonnante…).

3. Quelques  principes éthiques et méthodologiques qui sous-tendent ces interventions :

–        Il n'est pas possible de se positionner en tant qu'expert de la prévention sous la forme  d’une sorte « d'expertise extérieure ayant les réponses prêtes à porter à des problématiques singulières ». Les éléments d’expertises appartiennent d’abord aux acteurs concernés. La modestie est de mise lorsque l’on déboule dans un collectif de travail, car la réalité alcool est très souvent symptôme de nombres de dysfonctionnements où de carences que l’on ne connaît pas à priori (comme le  dit justement le Dr F.Gonnet : l’entreprise boit là où elle souffre).

–        La nécessité de réfléchir aux besoins associés à la demande et de s'interroger sur la  provenance de celle-ci : est-elle partielle, idéologique ? il y a nécessité de distance à prendre  pour réinterroger les besoins du système dans son ensemble (besoin partiel du D.R.H. de remettre de la règle vis à vis de dysfonctionnements, besoin partiel du médecin du travail de traiter les personnes en difficulté, besoin partiel du syndicaliste d’alerter sur les facteurs de risques associés aux conditions de travail) .

–        La nécessité de construire une démarche d’intervention fondée sur un consensus minimal des principaux acteurs (Direction-C.H.S.C.T.-Médico-social) concernés afin de définir au préalable une intention politique claire.

Ce n’est pas une problématique que l’on traite au « cas par cas » même si la prise en compte de la singularité de chaque situation rencontrée est une donnée incontournable. La loi et son application doit tendre à être  la même pour tous, la prise en compte des facteurs de risques  concerne tous les services, la nécessité de communiquer sur la culture alcool ne concerne pas telle catégories de travailleurs « a priori » plus exposé….

L’investissement de temps, de compétences, de mobilisation des acteurs exclue la mise en œuvre d’actions spectaculaires, coup de poing, sans réflexion méthodologiques «  a minima ». La démarche alcoologique au travail, qui prétend agir sur les 3 problématiques précédemment décrite (loi-management/prévention/aide soin et accompagnement ) est une construction nécessairement longue, donc patiente et obstinée : Il est urgent de se hâter lentement. En aucune manière elle ne se réduit à  une somme de conférences, de protocoles de prise en charge de personne sans implication des acteurs en interne, de campagnes d’affiches où de pots sans alcool…La prévention n ‘est ni un combat, ni une réponse à un besoin d’agir pour agir, ni une seule somme de connaissances à ingurgiter par le maximum de personnes.

Le problème ne se réduit pas au symptôme de son expression : l’alcoolodépendance est à relire  à la lumière de l’histoire psychosociale singulière de la personne. Les risques de l’alcoolisation au travail sont à relire à la lumière de l’histoire du collectif avec ce psychotrope : un état des lieux, une analyse et un projet d’ensemble sont indispensable si l’on ne veut pas seulement s’intéresser qu’à l’écume des vagues. La prévention ne se résume pas à une somme de formations, d’animations, d’informations, d’outils les plus variés soient-ils sans une cohérence, un processus par étapes, par temps de maturations, par périodes de silences souvent.

Par ailleurs l’objet de la démarche ne se réduit pas au seul  phénomène de la dépendance : on peut être dangereux avec une alcoolémie très « normale » selon le poste de travail que l’on occupe (0,3 G /L pour un poste de sécurité). S’occuper des seuls « cas qui se voient et qui posent problème » c’est refuser d’assumer la dimension paradoxale de toute relation aux drogues (ce qu’elles procurent comme satisfaction et ce qu’elles provoquent comme insatisfaction, et cela quelque soient les usages). S’occuper des seuls « alcooliques » c’est un bon alibi pour ne rien toucher à la culture d’alcoolisation de l’ensemble du collectif et c’est renforcer la stigmatisation sociale, issue de la révolution industrielle, sur une catégorie de la population qui a pour fonction, de par son étrangeté (ceux qui ne maîtrisent plus l’alcool comme les autres), de permettre à la majorité de la population de ne surtout pas s’interroger sur son propre rapport à l’alcool. Et la prévention ne concerne pas en premier des personnes qui relèvent d’abord du soin médical  et de l’aide psychosociale

La démarche alcoologique au travail ne réinvente pas le monde : le médecin reste médecin, le cadre cadre et le délégué syndical délégué syndical ; elle vise à ce que chacun trouve la plénitude de sa fonction et la juste place dans ses relations avec les autres acteurs.

Il y a un grand risque à trop externaliser la prise en charge des problèmes d’alcool au travail : celui de déresponsabiliser les acteurs et de renforcer le penchant de l’entreprise à démissionner de sa prise en compte de l’être humain dans sa globalité : vouloir exclure toute prise en compte de la vulnérabilité c'est créer à terme  un univers relationnel déshumanisé. Certes l’entreprise n’a pas pour vocation à être un hôpital mais elle a une responsabilité sociale quand à la préservation de la santé et du bien être de ses acteurs.

4.  Les valeurs, l'objectif et les moyens pour mettre en place une stratégie d'action

Le préalable à la démarche face à l'inquiétude des différents acteurs nécessite une mise à niveau du langage, l'acceptation des conflits. Elle implique aussi une mise par écrit qui permet de sortir du tabou de la non-parole et de l’éphémère . Et enfin, elle exige  un consensus entre les 3 instances (CHSCT, médico-social, et l'équipe de direction).

A terme, le chantier de la  prévention n'est pas centré sur le seul produit alcool : la prévention c'est apporter du choix et de la liberté au niveau du fonctionnement psychique et dans la vie collective . Elle aboutit inéluctablement à s’intéresser à la consommation des autres psychotropes,  à la charge mentale au travail, la pénibilité, l’exposition aux températures extrêmes, la valorisation du travail, la solitude etc…

Il est essentiel que les objectifs de la prévention ne se confondent pas avec ceux du management, ainsi que  ceux de l’aide et du soin. Les membres d’un groupe de prévention n’ont pas à élaborer un règlement intérieur ; le médecin du travail n’a pas à se substituer aux carences de management des cadres ; les référents hiérarchiques ne doivent pas jouer aux assistantes sociales…etc.

L'évaluation est possible si l’on s’inscrit dans cette perspective de construction lente, objectifs spécifiques par objectifs spécifiques et que si elle est bien sûr fondée sur un état des lieux le plus précis possible de l’existant au préalable de toute action. Faciliter l’accès au dispositif de soin, faire évoluer le tabou de l’alcool, améliorer les conditions de travail, développer les interactions positives entre hiérarchie et médico social, susciter un réseau de personnes motivées et formées pour faire un bout de chemin avec d’autres en difficulté, mettre en œuvre des procédures réalistes et accessibles par le plus grand nombre pour intervenir le plus tôt possible lorsque cela commence à déraper, etc…Ce sont des petits changement, mais qui mis bout à bout permettent de transformer profondément une réalité marqué par l’impuissance où la fatalité…

5.  En guise de conclusion

Apprendre à mieux vivre avec la réalité alcool au travail, cela permet de progresser en matière d’intelligence collective, de capacité de nuancer les problèmes, de développer un climat de responsabilité et de solidarité collective, d’apprendre la patience de l’action et son pendant la persévérance obstinée, bref de se donner des chances de vivre mieux !

Mise à jour le Vendredi, 21 Février 2014 15:49