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AGEMETRA - méd.travail...

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QUELS CONCEPTS SOUS-TENDENT NOS PRATIQUES en médecine du travail

Dr Marie-Jacques GIRER

Dr Marie-Élisabeth TROUPEL

Médecins du Travail AGEMETRA

Février 2002

1.   La médecine du travail

Le médecin du travail est un médecin spécialiste "dont le rôle exclusivement préventif consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant les conditions d'hygiène du travail…et l'état de santé des travailleurs." Art.L.241.2 du code du travail.

Le médecin du travail est salarié des entreprises dont il s'occupe: il peut être salarié de l'entreprise si celle-ci a un effectif supérieur à 300, ou salarié d'un regroupement d'entreprises en association loi 1901.

Ses missions sont précisées dans le code du travail. En tant que médecin, inscrit au conseil de l'ordre le médecin du travail est soumis au code de déontologie professionnel. Les directives des deux codes ne doivent pas s'opposer. Le médecin du travail est en particulier très attentif au respect du secret médical, intervenant régulièrement auprès du chef d'entreprise et auprès du salarié.

Il a un temps d'exercice en cabinet médical où il reçoit les salariés, de façon obligatoire,  au moment de l'embauche ( au plus tard avant la fin de la période d'essai ), et ensuite chaque année.

Il a un temps d'exercice au sein même de l'entreprise sur les postes de travail dont il doit étudier les risques pour la santé.

Les deux temps de son activité lui permettent de rendre un avis au chef d'entreprise et au salarié sur l'aptitude du salarié à occuper le poste en question sans danger pour sa santé.

Cet avis peut être assorti de demandes d'aménagement de postes, de changements de postes, d'allégement de la charge de travail,  d'alerte sur des conditions de travail dangereuses sur le plan physique mais aussi psychologique, de conseils, de demande de suivi rapproché du salarié…

Le médecin du travail est responsable de la santé du salarié au travail pendant toute l'année et les contacts peuvent être pris à tout moment par le salarié avec son médecin du travail, de façon confidentiel s'il le désire. L'employeur ne sera pas obligatoirement au courant du suivi rapproché de son salarié par le médecin du travail.

Le code du travail prévoit de plus une obligation de visite après tout accident du travail et tout arrêt de plus de 3 semaines.

Nous sommes médecins du travail du service médical interentreprises AGEMETRA depuis environ 10 ans sur le secteur Lyon 6ème Villeurbanne.

  • Nous avons en charge des très petites entreprises ( TPE ).
  • Sur les 200 entreprises dont nous avons chacune la charge, 90 % ont moins de 10 salariés.

Ceci signifie, concrètement, que dans 9 cas sur 10 l'entreprise n'a pas de CHSCT (  comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail présidé par le chef d'entreprise avec des représentants des salariés de l'inspection du travail et de la CRAM, le médecin du travail y est obligatoirement convié )  ni même de délégués du personnel.

Nos contacts se font avec le salarié lors des visites médicales obligatoires. Notre seul interlocuteur, outre le salarié, est le chef d'entreprise.

2.   Quels concepts sous-tendent nos pratiques en alcoologie ?

Notre mission est préventive, nous ne pouvons assurer de soins que dans un cadre d'urgence.

Cette précision nous fait comprendre que les pratiques en alcoologie du médecin du travail seront limitées

à la prévention de la maladie alcoolique, phase 1

à l'orientation du malade alcoolo-dépendant, phase 2

à l'aide à sa réinsertion. phase 4

Nous perdons souvent de vue le malade alcoolo-dépendant pendant son arrêt maladie phase 3, surtout si nous ne sommes pas à l'origine de son orientation en milieu de soins.

Il est très important pour nous de travailler en réseau :

-  pour, comme aujourd'hui, faire connaître le rôle du médecin du travail et inciter les différentes personnes concernées par le problème alcool à faire appel à lui

-  pour savoir où orienter le salarié en difficulté avec l'alcool

( alcoologues, psychiatres, réunions d'information de la CPAM caisse primaire d'assurance maladie, 113 : drogue, alcool, tabac info service, associations d'anciens buveurs, consultants en alcoologie d'entreprises…)

-  pour être présent lors de la réinsertion dans l'entreprise et  mieux avant celle-ci ; sans préparation et suivi dans l'entreprise, l'échec est assuré. Il n'y a que les intervenants du réseau qui puissent inciter le salarié à prendre contact avec son médecin du travail pendant son arrêt maladie.

-  Notre exercice dans les TPE ( très petites entreprises ) est spécifique,

les actions collectives y sont impossibles: plans de prévention, informations en groupe, groupes de parole...

-  Il ne faut pas oublier de prendre en compte la spécificité des petites entreprises quand on décide d'actions concertées, ce sont elles qui créent la majorité des emplois et salarient 80 % de la population active

Ces éclaircissements apportés, nous sommes cependant très motivées pour faire de la santé publique dans ces entreprises "délaissées".

Ces actions se feront lors du "colloque singulier" entre le salarié et le médecin du travail qui a lieu obligatoirement chaque année pour chaque salarié.

Elles sont précisées dans notre mémoire pour le diplôme universitaire d'alcoologie en septembre 2000 dont nous vous présentons maintenant l'essentiel.

3.  Apport de la médecine du travail à la prévention et au dépistage de la consommation excessive d’alcool

Nous avons, avec plusieurs collègues médecins du travail, fait le bilan de l'action de la médecine du travail face au problème alcool.

Ce bilan s'est révélé plutôt négatif.

Le médecin du travail agit tardivement pour orienter un malade alcoolique qui n'est plus toléré dans l'entreprise ou un malade alcoolique qui occupe un poste de sécurité ( poste susceptible de constituer pour la collectivité un risque d'accident à l'occasion d'une déficience ou d'une défaillance de l'opérateur ).

La recherche systématique du problème alcool chez les salariés est rare, on ne pose pas de question sur la consommation d'alcool alors qu'on le fait systématiquement pour la consommation de tabac, on n'ose pas poser la question.

Nous avons recherché comment faire évoluer nos pratiques personnelles mais aussi celles de notre profession, comment créer l'automatisme, questionner systématiquement et naturellement le salarié sur son comportement vis à vis de l'alcool?

Nous avons décidé d'utiliser le questionnaire validé le plus simple, le questionnaire CAGE-DETA ,pour les 100  premières personnes vues en consultation durant le mois de mai 2000, en espérant que son utilisation systématique permettrait d'acquérir l'automatisme "comment buvez-vous? " comme nous avons l'automatisme " comment fumez-vous?"

Effectivement, depuis, nous avons gardé cet automatisme.

Fortes de cette expérience, nous avons organisé des réunions pour que le plus grand nombre possible de médecins du travail ose poser la question.

Nous avons eu des discussions depuis avec certains médecins qui sont surpris que le dialogue s'engage beaucoup plus souvent qu'ils ne l'auraient penser avec des salariés en difficulté avec l'alcool.

Notre mémoire comporte une documentation pratique, des adresses…pour pouvoir répondre aux attentes des salariés en difficulté avec l'alcool.

Nous essayons de continuer à nous former et à informer.

Nous vous présentons rapidement les réponses obtenues, en rappelant qu'il s'agit de salariés en activité:

Questionnaire CAGE-DETA :

- Avez-vous déjà ressenti le besoin de Diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ?

- Votre Entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation?

- Avez-vous déjà eu l'impression que vous buviez Trop?

- Avez-vous déjà eu besoin d'Alcool dès le matin pour vous sentir en forme?

Nous avons interrogé 95 femmes et 105 hommes

  • 5   personnes ont eu 3 réponses positives                         2,5 %
  • 12 personnes ont eu 2 réponses positives                          6 %
  • 45 personnes ont eu 1 réponse positive                             12 %
  • 159 personnes ont eu 0 réponse positive                           79,5 %

Les chiffres obtenus sont comparables aux chiffres couramment admis dans la population française:

  • 6 à 8% de personnes alcoolodépendantes
  • 15 % de consommateurs à risque
  • 75 % de personnes ayant un usage non nocif de l'alcool.

4.  La responsabilité des employeurs, les postes de sécurité

Le poste de sécurité est un poste susceptible de constituer pour la collectivité un risque d’accident à l’occasion d’une déficience ou d’une défaillance de l’opérateur.

La maladie alcoolique pose de graves problèmes lorsque le malade est chauffeur poids lourd par exemple, il est en grand danger pour lui et pour les autres, le médecin du travail l'orientera et pourra rechercher un reclassement, avec la volonté et la motivation de l'intéressé.

La responsabilité du chef d’entreprise est fortement engagée, il est en droit de pratiquer un alcootest dans les conditions prévues au règlement intérieur. Nous devons l'inciter à avoir une attitude franche et juste vis à vis de l'alcool à l'intérieur de son entreprise.

Il est important de faire comprendre à l’employeur que la consommation lors d’arrosages…doit être contrôlée, qu'on doit offrir autant de boissons non alcoolisées que de boissons alcoolisées, limiter la quantité d’alcool, faire en sorte que les commerciaux ne prennent pas la route ce jour là, prévoir d'offrir à manger en même temps…

Voir article paru dans liaisons sociales, septembre 2000, supplément au numéro 13245.

5.  Difficultés des prises en charge

Nous sommes régulièrement confrontées à l'alcool-défonce qui pour les très jeunes mais aussi pour des adultes travaillant régulièrement sans apparemment de souffrance particulière est tout à fait banale.

Nous avons rencontré plusieurs fois l'alcool- médicament, chez des jeunes femmes qui avant d'attaquer leur 2ème journée de femme au foyer absorbent régulièrement un alcool fort ou chez des surmenés qui "n'ont que ça pour tenir" en association avec d'autres substances psychotropes.

La consommation régulière de vin en mangeant, de bière et d'un ou deux apéritifs dans la journée, ne paraît pas une consommation excessive pour certains.

A ce propos on peut citer le cas d'une personne qui consommait 2 verres à tous les repas d'un vin de faible qualité et qui l'année d'après et suite au dialogue qu'il avait eu avec nous avait remplacé sa consommation régulière de vin de table par la consommation  occasionnelle de bons vins

Une personne actuellement à la retraite présente des problèmes avec l’alcool depuis de nombreuses années. Nous l'avons suivi longtemps sans soupçonner le problème, c’était avant de poser systématiquement la question de la consommation d'alcool.  Elle est venue nous voir sur les conseils d'une de ses collègues de l'entreprise avec laquelle nous avions dialogué sur le problème alcool. Nous avons pu parler du problème avec elle et l'orienter vers une consultation spécialisée. Elle a téléphoné récemment au secrétariat pour nous tenir au courant, nous espérons qu'elle a pu franchir le pas.

Il nous a fallu plusieurs années avant d’arriver à dire à un conducteur d'engin de nettoyage de la voirie que sa conduite risquait d’être dangereuse pour lui et pour les autres, aucune action de l’employeur n'avait été entreprise non plus. L'employé était toléré malgré ses problèmes avec l'alcool. La discussion et l'inaptitude temporaire à la conduite qui a suivi a entraîné une réaction vive de sa part. Après discussion avec son médecin traitant que j’appelle avec lui il est décidé d'un suivi conjoint que le salarié accepte. A sa reprise je le revois et assure avec le médecin traitant un suivi régulier tous les mois. Il est revenu transformé, a renoué des liens familiaux avec sa sœur et repris la conduite du véhicule. Son collègue est traité en même temps pour les mêmes problèmes. Malheureusement et du fait sûrement d'une prise en charge tardive des problèmes graves hépatiques les ont empêchés de profiter de leur nouveau départ sans alcool.

Nous avons vu récemment une personne en grande difficulté avec l'alcool à un poste de vente de produits à la coupe, embauchée en contrat à durée déterminé d'un mois.

Elle avait été récemment hospitalisée pour un sevrage et avait retrouvé seule ce poste après quelques mois.

Lors de la consultation malgré des signes physiques évocateurs de problèmes importants on la déclare apte, l'examen clinique est bon, elle paraît très motivée, s'exprime bien sur son problème, est régulièrement suivie par son médecin traitant. On lui dit regretter qu'elle n'ait pas de suivi spécialisé et qu'elle n'ait pas envie de solliciter une association d'anciens buveurs.

Le lendemain l'employeur nous appelle:" vous avez vu madame X hier, je ne peux pas la garder, elle a fait beaucoup d'erreurs, ses collègues m'ont appelé, elle titubait, il a fallu qu'elle attende dans les vestiaires, elle n'était pas en état de rentrer chez elle…". A notre questionnement l'employeur nous répond que la première semaine s'était très bien passée.

Nous revoyons madame X avant sa prise de poste et la déclarons inapte temporaire. Elle nous dit s'être alcoolisée entre notre consultation et sa prise de poste. Elle regrette, ne veut pas en parler à son médecin traitant qui lui fait confiance, elle a honte…Elle voit finalement son médecin qui nous appelle. Malgré notre demande l'employeur ne renouvelle pas le contrat.

Nous revoyons cependant madame X en l'orientant avec une demande de reconnaissance de travailleur handicapé vers un organisme de réinsertion, il est capital qu'elle soit accompagnée lors de la prise d'un nouveau poste, nous en avons beaucoup parlé avec elle. Les résultats ne sont pas acquis d'avance, mais on sent que l'espoir d'emploi et d'autonomie financière peut être un moteur dans sa progression. Nous la reverrons régulièrement, elle le souhaite.

Première visite d'un électricien, intérimaire, âgé de 44 ans. Il nous dit boire comme tout le monde, quelques bières dans la journée car il fait chaud sur les chantiers ( nous sommes en juillet) mais aussi quelques verres de vin à la pause.

"L'aveu " de sa consommation excessive d'alcool est sans doute pressenti comme préjudiciable pour le maintien à son poste de sécurité avec de surcroît une aptitude au travail en hauteur demandée.

Finalement, l'évaluation de sa consommation, tout en effectuant l'examen clinique est d'environ 15 bières et 1 litre de vin par jour avec un tabagisme de 40 cigarettes par jour. La discussion s'engage sur les problèmes liés à l'alcool et la dépendance. Nous le déclarons "apte au tirage de câbles avec contre indication au travail en hauteur. A revoir dans un mois." ( tout cela en quinze minutes, durée de la visite médicale ).

Il ne sera jamais revu car le directeur de l'entreprise intérimaire nous dira qu'il n'a pas trouvé de mission adaptée sans travail en hauteur et qu'il l'a envoyé à l'A.N.P.E. Depuis, il aurait changé d'entreprise intérimaire.

Autre salarié de 52 ans, serveur à mi-temps dans un bar grill. A la première visite médicale, il ne nie pas la consommation excessive d'alcool:

1 à 2 verres le matin pour être en forme, 3à 4 verres de vin par repas,

2 apéritifs le soir.

Devant des signes cliniques évocateurs, nous lui donnons les coordonnées d'associations d'anciens buveurs proches de son domicile ainsi que le téléphone d'une consultation spécialisée en alcoologie.

Le salarié nous dit ne pas vouloir se faire aider, il est bien dans sa peau, il ne veut pas s'arrêter de boire, il joue au tiercé tout en buvant avec ses copains. Une nouvelle visite médicale est programmée dans un mois à laquelle il ne viendra pas.

L'employeur nous téléphone quelques jours plus tard en disant que son salarié arrive souvent au travail en état d'ivresse et qu'il le renvoie chez lui mais ne sait plus que faire. Après avoir rappelé à l'employeur que rien ne pourra se faire dans le dos du salarié, que chacun prendra sa propre responsabilité, une nouvelle visite médicale est programmée pour le salarié mais sans avis d'aptitude.

Nous suivons depuis 8 ans environ une salariée, employée de bureau, âgée de 47 ans, algérienne, divorcée, suivie par son médecin traitant pour une polynévrite des membres inférieurs. C'est au cours de la dernière consultation que nous avons évoqué le problème d'alcool. D'abord dans le déni, c'est en parlant de ses difficultés professionnelles puis familiales ( un fils de 28 ans à la maison, sans travail ) qu'elle parle de sa dépendance à l'alcool, tous les soirs elle répète le même geste, 8 à 10 pastis. Nous avons pu lui parler d'associations féminines d'anciens buveurs qui pourraient l'aider et d'envisager de diminuer sa consommation;

Nous la reverrons à sa demande car elle veut reprendre contact avec son médecin traitant.

6.  Conclusions

Le médecin du travail a un rôle important d’information sur les comportements à risques vis à vis de la consommation d’alcool, il peut être très efficace au stade de buveur excessif et il est important qu’il le soit, les buveurs excessifs ont plus d’accidents de travail en particulier d'accidents de trajet.

Pour les personnes alcoolodépendantes, le problème est plus difficile, malheureusement la perte d’emploi est très fréquente, le reclassement est difficile, l'embauche est difficile.

Notre rôle est un rôle d’orientation vers les structures compétentes qu’il nous faut connaître, d’où l’importance de structures comme le Groupe Interalcool qui mettent en relation des personnes d’horizon très divers.

Nous sommes très demandeurs aussi pour travailler à la réinsertion des personnes en difficulté avec l’alcool lorsqu’elles peuvent revenir dans l’entreprise après des soins.

La présence régulière du médecin du travail lors du retour de ces salariés extrêmement fragiles peut rassurer et permettre au chef d’entreprise de ne pas assumer seul un retour qui fait souvent peur.

Le médecin du travail est là pour communiquer avec l'employeur sur le problème des rechutes. Il est important que l'employeur fasse preuve d'une autorité bienveillante et non d'une tolérance nuisible.

Mise à jour le Vendredi, 21 Février 2014 16:20