Groupe Interalcool Rhône Alpes

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QUELS CONCEPTS SOUS-TENDENT NOS PRATIQUES selon l’approche d’un médecin alcoologue de liaison ?

Dr Anne Garin, Médecin alcoologue

Avril 2002

Je vous remercie de m’avoir invitée à participer à cette réunion du Groupe Interalcool pour témoigner de ma pratique de médecin alcoologue et tenter d’en dégager les principes.

En préambule : si je suis actuellement « alcoologue de liaison », j’ai d’abord été longtemps simplement consultante en alcoologie, puis chargée d’un poste en Liaison au CHU de Grenoble depuis quelques mois.

Alcoologue et praticien en Liaison sont donc deux temps d’activité successifs pour moi, mais aussi deux modes d’intervention différents auprès des personnes en difficulté avec l’alcool.

Je me permets donc d’en faire deux descriptions successives.

1.  Une pratique de médecin alcoologue

J’ai commencé à travailler en tant que médecin alcoologue il y a 16 ans au GISME, actuellement CCAA, créé en 1981 par une association d’Anciens Buveurs. Cette activité salariée complétait celle de généraliste, et pendant fort longtemps j’ai été alcoologue sur le modèle de la consultation médicale individuelle en ambulatoire.

Cette façon de travailler en alcoologie était un peu restrictive par rapport à la pratique de certains CCAA, où la consultation d’alcoologie, indifféremment assurée par des intervenants de formations différentes, semble redéfinie par l’équipe entière dans un cadre thérapeutique plus institutionnel.

Cependant j’y ai développé une certaine conception du travail de médecin alcoologue, centrée sur le soin, dont je vais vous faire part.

Etre alcoologue au GISME m’a donné pendant les premières années une perception un peu faussée des patients alcoolodépendants et de leur adhésion aux soins, du fait d’un biais de sélection : en effet ce centre est périphérique, difficile à trouver, occupé uniquement à traiter la dépendance (aucune aide sociale par exemple),et a porté longtemps la plaque « Groupe de soins aux Malades Alcooliques » : on peut imaginer que les patients qui en passaient la porte étaient déjà relativement motivés, un peu la « crème » des patients pour un alcoologue… : généralement demandeurs, rarement dans le déni, souvent informés par d’Anciens buveurs, présentant peu de comorbidités, aussi bien sur le plan psychopathologique que sur le plan des alcoolopathies, ils semblaient représentatifs de l’évolution de l’intoxication éthylique telle que décrite sous la formule « maladie alcoolique », et évoluer vers une demande de soins presque comme le fruit mûr tombe de l’arbre…

Dans mon cabinet de médecine générale, les consultations d’alcoologie concernaient des personnes adressées par un confrère généraliste ou psychiatre, ou venant de leur propre chef, demandant des soins ambulatoires ou une orientation. Les situations d’urgence étaient encore plus rares qu’au GISME. La gravité de la situation ayant motivé la consultation était souvent déniée. Mais dans ce contexte neutre et confortable, le problème d’alcool était posé avec confiance et la relation était de bonne qualité. La position d’alcoologue était là encore gratifiante.

Ces débuts m’ont conféré dans mon activité un « formidable optimisme », et lorsque plus tard j’ai eu affaire à une plus grande proportion de patients difficiles, il était trop tard, j’étais conditionnée… j’ai décidé d’intégrer cet optimisme excessif, comme un atout pour la rencontre avec les patients, autant que pour son effet antidépresseur en ce qui me concerne.

En acceptant la consultation d’alcoologie du Département d’hépatogastroentérologie en 98, j’ai donc découvert, au milieu de patients du même type qu’en CCAA, c’est à dire dans une démarche par rapport à leur dépendance, des patients beaucoup plus désespérés, compliqués, malmenant leur vie, dégradés sur le plan psychique et physique, et souvent non demandeurs de soins. Des patients dont l’accès aux soins et surtout à une évolution personnelle était limité par des situations psychosociales catastrophiques. Des patients dont les comorbidités entraînaient depuis longtemps une prise en charge chaotique, passant des services d’urgences aux hospitalisations psychiatriques, des lits de gastro-entérologie aux maisons de repos, des services de traumatologie aux centres de rééducation, sans qu’un lien soit véritablement établi dans une prise en charge du problème d’alcool…

J’ai quitté mon activité de médecine générale pour un poste en Addictologie Hospitalière de Liaison. Je dispose encore de 16 heures de consultation d’alcoologue en CCAA, et au CHU en hépatogastroentérologie.

1.1.   Présupposés

1.1.1.  Une expérience de terrain

Etre alcoologue procède plus d’une expérience de terrain que d’un choix de pratique médicale, ou d’un savoir universitaire. La plus grande partie de mes connaissances cliniques en alcoologie proviennent des patients et des Anciens Buveurs.

S’il est vrai que l’enseignement de l’Alcoologie s’est beaucoup développé ces dernières années, ces connaissances ne peuvent se substituer à l’élaboration progressive, au « feeling », pour chaque alcoologue, d’un espace thérapeutique offert au patient sur un mode qui variera selon la personnalité du médecin, selon ses à priori, et selon les principales expériences formatrices qu’il aura rencontrées.

Cette expérience de terrain peut comporter entre autres une « mutation » ou une « sensibilisation » de l’alcoologue lui-même, touché par l’authenticité des relations entre médecin et patient autour de ce type de difficulté (rencontres entre sujets),et par l’humanisme de la problématique alcoolique.

1.1.2.     Positionnement selon la formation originelle

La mienne étant celle de médecin généraliste

Corollaires :

-       Pas de contrat

-       Modalités de consultation libres, en fréquence, en durée, en contenu.

-       caractère très libre de la réponse, qui va de l’écoute à l’hospitalisation en urgence, en passant par la prescription médicamenteuse ou une simple information.

-       possibilité de travailler alternativement sur les terrains psychologique et physique, dans une appréhension globale de la personne et de la santé très propre à la médecine générale.

-       Reconnaissance des risques, qui mettent en jeu la responsabilité médicale du médecin.

-       Secret médical

-       etc.…

Risques de la qualité de MG :

-   absence de formation psychothérapique

-   risque d’attitude prescriptrice et dirigiste, dans la ligne des abus de pouvoir médicaux…

1.1.3.   La demande

Que ce soit en CCAA, au cabinet de médecine générale ou à la consultation du service de gastro-entérologie, j’ai tenté de travailler toujours avec le patient en prise directe avec sa demande, c’est-à-dire à la fois ce qui était formulé, et ce qui était signifié par la situation concrète.

Il y a toujours une demande lorsque le patient est là, présent à la consultation : directe, indirecte, non-demande … Si nous n’avons pas d’à priori sur cette demande, elle pourra toujours donner lieu à une reformulation, à une recherche de sens.

Ce qui évoluera avec le temps, c’est le champs de cette demande - autrement dite, au fur et à mesure des entretiens, en terme de Désir -

1.1.4.   Prise en charge la moins individuelle possible

Intégrée à l’alcoologie par le biais d’une activité dans un CCAA, j’ai toujours connu l’intérêt d’un fonctionnement d’équipe et d’une prise en charge groupale. Les consultations d’alcoologie individuelles au CCAA étaient rapportées à une évaluation d’équipe.

Quant aux patients alcoolodépendants reçus au cabinet de médecine générale, ils venaient bien sûr dans l’optique d’une prise en charge individuelle. Ce lieu présentait l’intérêt d’ouvrir la consultation d’alcoologie à des personnes craintives, ou peu motivées, grâce à sa neutralité. Mais cela débouchait rarement sur un suivi individuel, les patients se voyant toujours proposer une orientation sur le CCAA s’ils le voulaient bien. Ma double appartenance faisait le lien. Beaucoup ont accepté ce transfert, parfois après de longs mois d’hésitation.

Pourquoi privilégier une prise en charge doublement collective ?

-        le collectif des patients permet à chacun de retrouver une capacité d’échanges, de réapprendre la communication, de s’identifier de façon éclairante à d’autres patients.

-        le collectif des intervenants enrichit la prise en charge : le patient y gagne d’avoir accès à des compétences thérapeutiques et à des éclairages différents.

Par ailleurs les soignants peuvent, en partageant la prise en charge, éviter certaines ornières, déjouées par le travail d’équipe :

-        le patient qui tente de déposer sa démarche entre les bras d’un intervenant : « quand est-ce que vous voulez me revoir ? »

-        le désir du médecin angoissé se substituant à celui que n’a pas le patient

-        la mise en échec systématique des soins

-        certaines « manipulations »

-        la fascination exercée par certaines personnalités ou certaines histoires

-        etc.…

1.1.5.  Notion de lien

Malgré l’intérêt d’une prise en charge en équipe, les personnes en difficulté avec l’alcool semblent avoir besoin d’un lien thérapeutique privilégié pour élaborer progressivement leur renoncement à l’alcoolisation.

L’écoute attentive de l’alcoologue offre au patient un lieu pour une recherche d’identité, de subjectivité, malgré les aléas symptomatiques liés à la dépendance alcoolique. Dans le même temps débute une recherche tâtonnante d’échappement au caractère apparemment inéluctable de cette souffrance.

L’alcoologue médecin offre pour accompagner cette recherche la possibilité d’un lien caractérisé par :

-       une certaine disponibilité, et la variabilité des modalités de suivi (durée, fréquence, etc. …)

-       sa fidélité sur le plan de la « reconnaissance du sujet »,quelques soient les situations.

-       une relation directe et franche

-       un renforcement narcissique systématique du patient. .

-       l’absence de directivité, sa capacité à remettre systématiquement la démarche entre les mains du patient

-       une certaine globalité dans l’approche, possibilité pour le patient de parler de là où il veut, psychisme, difficultés relationnelles ou complications corporelles.

A quoi sert le lien ? entre autre une « assurance », au sens de la corde en escalade, qui permet de faire jouer l’élasticité de la dépendance psychologique entretenue avec l’alcool : de s’en éloigner, de se sevrer, de tester sa dépendance, d’en envisager le deuil, de désirer s’en libérer…

C’est aussi un témoin et un fil conducteur de son évolution : (exemple : un patient apparemment très confus, du fait d’une complication neurologique, que j’avais très peu rencontré, et pas du tout depuis 3 ans : « la dernière fois, je vous avais dit cela…eh bien maintenant voilà ce que je pense…).

1.1.6.  L’importance de la clinique alcoologique

Si la clinique des intoxications aiguës et des alcoolopathies était bien décrite, la clinique des phénomènes addictifs et de l’alcoolodépendance en particulier, nous a été décrite par les patients avant de l’être par les spécialistes.

Les personnes en difficulté avec l’alcool nous sont reconnaissantes de cette connaissance. Cela leur donne la sensation d’être enfin entendues et comprises. Elles semblent éprouver un « repos » dans le fait que la gravité de la souffrance décrite n’effraye pas l’interlocuteur, et qu’il n’y ait ni gêne ni tabou.

Leur angoisse tombe d’un cran, et la relation s’en trouve facilitée.

De plus elles sont souvent mises en confiance par le fait que leurs symptômes soient expliqués.

Du côté du médecin, dont le sentiment de responsabilité est toujours sollicité, en attendant que le patient ait évolué vers une demande de soins, l’inquiétude naturelle est diminuée par ce savoir clinique alcoologique, qui lui permet au moins de prévoir des dispositions thérapeutiques aussi adaptées que possible lorsque le patient sera décidé.

La question de donner un diagnostic de stade de mésusage de l’alcool (usage nocif, dépendance psychologique, dépendance physique) se pose ou non, selon la demande, selon les caractéristiques cliniques, selon le risque encouru par le patient. Dans un certain nombre de cas, en particulier de complications physiques, cela me semble absolument nécessaire. Dans d’autres cas, je peux remettre à plus tard, ou remettre cette appréciation entre les mains du patient.

La clinique des sensations après sevrage, dans l’abstinence, n’est pas négligeable non plus.

Au fil du temps, nous recueillons donc, et c’est une particularité de l’alcoologue, un abondant matériel descriptif de la symptomatologie alcoolique : je pense par exemple aux nuances des ressentis dans l’alcoolisation, aux capacités de résistance à l’induction d’une dépendance, aux nuances de l’appétence à l’alcool.

Ce n’est pas fini : car, les consultants actuels ayant beaucoup changé, nous allons découvrir avec plus de finesse la clinique des états limites entre abus et dépendance, des mélanges de substances psychoactives, des terrains prédisposés, etc.…

1.1.7.   L’intérêt des explications médicales ou neurobiologiques

Ces notions sont opérantes dans le sens d’une démarche de soins, parce qu’elles sont déculpabilisantes (au même titre que la formulation « maladie alcoolique », rarement reprise telle quelle dorénavant), mais aussi simplement pour certains patients parce qu’elles leur permettent de comprendre le phénomène de la dépendance physique. .

Je donne donc souvent une description phénoménologique des effets de l’intoxication, du renforcement et de l’acquisition d’une dépendance, avec des schémas simples et frappants, que ce soit en CCAA, à la consultation de gastro-entérologie, ou au lit du malade, et j’en suis toujours remerciée par les patients.

1.1.8.   L’apport d’un éclairage analytique

Le médecin alcoologue n’est pas en position de psychothérapeute, mais l’éclairage analytique est bienvenu dans sa pratique qui le confronte aux questions du désir (moteur d’une démarche), et du manque, ainsi qu’au sens des actes du sujet.

La question du manque de manque est en particulier intéressante en ce qui concerne le suivi des polytoxicomanes, dont la démarche semble parfois s’ouvrir sur un gouffre lorsque l’arrêt des expériences multiples de consommation et de privation les y confronte.

1.2.   Les expériences acquises

1.2.1.  Les modalités les plus fréquentes

-       Accueil chaleureux, intérêt pour le patient

-       rapport « collaboratif », en particulier en ce qui concerne la réflexion alcoologique et le travail sur la motivation.

-       évaluation diagnostique de l’addiction, de la psychopathologie, de la comorbidité, et de la demande.

-       informations médicales / sur les partenaires possibles d’une prise en charge / sur les différentes possibilités de soins.

-       en cas de demande de soins :utilisation d’une gamme variée de solutions thérapeutiques : ambulatoire, médecin traitant, sevrages hospitaliers, cures, post-cures…

-       proposition de partenariat dans le cadre du CCAA : psychologue ; relaxation ; groupes de parole ; prise en charge du conjoint et de la famille.

-       orientation possibles à l’extérieur : psychothérapeute en libéral ; TCC ; prise en compte de difficultés sexuelles secondaires à l’alcoolisation et orientation spécialisée ; mise en relation avec centre de cure ; médecin du travail ; assistante sociale etc.…

Ces orientations sont choisies par le patient, et prennent en compte aussi bien de sa qualité de vie que son statut par rapport à l’alcool.

-mise en liaison avec le médecin traitant si accord du patient

La prise en charge est personnalisée au cas par cas. Lorsque elle est répétitive, on aide le patient à prendre conscience acquis.

1.2.2.  Quelques aspects thérapeutiques de la consultation alcoologique

Au début de la relation thérapeutique, je m’attache par exemple à « valoriser la réflexion alcoologique personnelle du patient ». Par exemple, celui-ci a presque toujours quelque chose à dire de sa prise de conscience, et lui permettre de l’exprimer a un effet de renforcement. ( même lorsqu’ils sont arrivés en niant leur difficulté avec l’alcool, les gens répondent volontiers à des questions du type : « quand avez vous ressenti un risque pour la première fois ? ou quand avez vous pensé pour la première fois : je dois vraiment avoir un problème d’alcool… etc…»,). Le patient a aussi souvent tenté un sevrage, voire réussi une période d’abstinence durable, et peut raconter cette expérience…

Au moment du sevrage ambulatoire pendant 10 jours, ou en sortie de sevrage hospitalier, intérêt d’un suivi « au plus près » tous les deux ou trois jours :traiter le syndrome de manque, rassurer, proposer des solutions pour diminuer l’angoisse (psychothérapie, relaxation …)

Après le sevrage, je crois utile l’écoute attentive des Mots mis par le patient sur les premières sensations de l’abstinence : cela l’aide à prendre conscience de la « levée d’anesthésie » liée au sevrage, de la possibilité d’éprouver des émotions … A se repérer petit à petit dans ses variations d’humeur, et de confiance en soi.

L’alcoolisation ça fascine, mais qui s’intéressera à la non-alcoolisation (c’est parait-il tellement normal, tellement simple, et les non-alcoolodépendants sont tellement plus intéressants qu’eux…)?

A plus long terme se pose la question de la recherche de plaisirs hors alcool : lorsque la déculpabilisation de l’histoire alcoolique permet au patient de parler de la place qu’avait initialement pris l’alcool dans une recherche de plaisir immédiat, auto-administré (cherchant à échapper à l’impératif d’une relation à l’autre, ou à son état intérieur préalable…) ; lorsqu’il retrouve sa capacité à exister en tant que sujet désirant.

1.2.3.   La variabilité des problématiques alcooliques et addictives en général

Sur tous les lieux de prise en charge de l’alcoolodépendance,, par le biais de l’amélioration de l’accès aux soins et des orientations, on a vu augmenter la prévalence de patients à personnalité psychopathologique marquée, ou polytoxicomanes, ou mis en difficultés majeures dès l’âge de 25 ans par une alcoolodépendance développée très jeune. Les difficultés associées modifient grandement la demande et l’accession à une démarche de changement.

1.2.4.     Intérêt de la notion de conduite addictive

L’adaptation de l’alcoologue à l’addictologie n’est pas toujours facile : par exemple, proposer un sevrage tabagique aux 87% de patients associant le tabagisme à l’alcoolodépendance n’est pas évident : en effet je redoute les discours hygiénistes, puisque la demande m’a toujours semblé une condition sine qua non des propositions de soins en matière de dépendance. Le risque de discours hygiénistes associés à l ‘ alcoologie me semble être de modifier le message : non plus une proposition de « soins en réponse à votre demande » mais une « proposition de bonne conduite dans le domaine de la santé ». Par ailleurs le patient gagne à pouvoir exposer sa curiosité pour des expériences diverses : ma position est dans un premier temps plutôt d’informer (sur les effets, les risques, la symptomatologie), que d’inciter aux sevrages multiples.

Malgré tout, il est important de promouvoir une démédicalisation de la santé, en faveur de pratiques de bien-être, accession au plaisir bien sûr, mais aussi forcément choix de vie plus « hygiéniques », ou évitement de certains comportements à risque.

Par ailleurs, chez certains patients dépendants il existe une motivation pour un changement plus global vis à vis des comportements addictifs, en particulier chez ceux qui fréquentent les CCAA. Une bonne connaissance clinique des symptômes liés aux autres conduites addictives aurait peut-être les mêmes effets de renforcement de la motivation qu’en clinique alcoologique

1.2.5.    100 fois sur le métier remettons notre ouvrage…

C’est ce que m’a dit un patient en revenant à l’occasion d’une rechute, histoire de dédramatiser. J’ai trouvé cette façon de le dire sympathique.

2.  Pratique de médecin alcoologue de liaison

Dans le Service d’Hépatogastroentérologie du CHU de Grenoble, j’ai rencontré en consultation interne de nombreuses personnes hospitalisées pour complications somatiques de l’alcoolisation, ou ayant présenté un syndrome de sevrage pendant leur séjour. J’ai fait en 2001 un bilan de cette activité sur deux années, qui a montré :

-         d’une part que la motivation des patients dans ce contexte n’était pas négligeable, puisque parmi 229 patients bénéficiant d’une consultation alcoologique, 43% se déplaçaient ensuite au moins une fois vers un CCAA ou un centre de cure hospitalière (21%)

-         d’autre part que ce nombre représentait grossièrement 9% des patients repérables dans le même temps par le Système informatique médical, sur un diagnostic CIM10 d’alcoolopathie.

-         qu’un propos franc de la part des médecins hospitaliers jouait en faveur de la démarche.

Mais cette activité de Liaison n’était pas théorisée, peu formalisée, et elle restait assez minimaliste surtout en ce qui concerne la sensibilisation des partenaires médico-psychosociaux.

A la suite de la parution de la circulaire ministérielle du 8 septembre 00, le CHU de Grenoble a bénéficié d’un financement pour une Equipe d’Alcoologie-Addictologie de Liaison.

Le travail d’alcoologue de Liaison Hospitalière est un travail d’équipe : à Grenoble sur le CHU, un médecin (4 demi-journées), une psychologue (5 demi-journées), un infirmier (2 demi-journées), une secrétaire (3 demi-journées).

Il se caractérise également par le fait, comme nous le rappelait récemment le Dr Boyer, que nous soyons appelés à « renoncer » petit à petit au soin, au profit d’une action quasiment « militante » de sensibilisation des acteurs de santé et d’organisation de partenariats.

2.1.   Que reste-t-il dans ce contexte de la fonction d’alcoologue ?

Au niveau des consultations individuelles

Dès l’annonce de la création d’une Equipe de Liaison, les repérages effectués par les équipes soignantes dans les différents services occasionnent un nombre de consultations au lit du malade déjà peu compatible avec le maintien d’une qualité d’écoute comparable à ce que j’ai décrit précédemment.

Nous veillerons à ce que ces consultations au lit du malade restent de vraies « rencontres » mise en confiance, écoute, diagnostic sans détour, informations sur l’alcoolodépendance et sur les possibilités d’aide, réassurance.

Avant :

-         d’évaluer la nécessité pour ces patients d’un soin spécifique ou d’un bilan médico-psychosocial

-         de sensibiliser au cas par cas l’équipe soignante sur les possibilités de soins et d’orientation, de fournir des protocoles, des carnets d’adresses, des guides.

-         de contacter le médecin traitant avec l’accord du patient.

Il faut repérer qui, pour chacun de ces patients, pourrait servir de relais dans la prise en charge, CCAA, CSST, médecins traitants, médecins spécialistes, centres de soins résidentiels à l’occasion.

Il faudra veiller à ne pas faire de liaison « au dessus de la tête du patient », et à essayer de toujours le replacer au centre de la démarche. Cependant l’expérience auprès des patients du CHU montre qu’ils se laissent assez volontiers conduire vers un soin, mais mettent beaucoup de temps à prendre des initiatives personnelles sauf en situation catastrophique, et même parfois à identifier leur interlocuteur alcoologique principal. Un des enjeux sera de le trouver avec eux.

En ce qui concerne les activités de groupe : nous avons mis en place un groupe de parole hebdomadaire pour les patients en hépatogastroentérologie. Ce groupe, intéressant, révèle la diversité des problématiques prises en charge au CHU : sevrages programmés, complications digestives et neurologiques, hospitalisations pour intoxication aiguë ou sevrage intempestif, et parfois quelques erreurs d’aiguillage (par exemple : des patients à forte comorbidité psychiatrique adressés par les Urgences en gastro-entérologie). La rencontre entre des personnes déjà engagées dans une démarche alcoologique et des patients hospitalisés pour complication est fructueuse.

Cependant le « levier » en faveur d’une motivation pour des soins réalisé par la prise de conscience d’un retentissement physique fonctionne mieux en entretiens individuels.

Un groupe d’échanges de pratique est également institué pour les équipes soignantes de ce même service.

2.2.   La prise en compte de la dimension addictologique

Elle sera progressive. A Grenoble, l’Equipe est de formation alcoologique et les compétences en toxicologie, tabacologie, dopage, troubles de conduite alimentaire, et comorbidité psychiatrique sont détenues par d’autres équipes. Auprès des patients nous essaierons de reconnaître les situations addictives complexes et de les orienter. Il s’agira également de susciter des collaborations entre les alcoologues et les autres pôles de compétence en addictologie, en commençant par des actions concertées autour de patients polydépendants ou présentant des complications influencées par l’alcoolisation (hep C)

2.3.   Priorité en alcoologie de liaison : l’action auprès des médecins généralistes

En effet, non seulement ils sont particulièrement bien placés pour un soutien aux patients au long cours et dans une approche de santé globale. Mais de plus nous ne pourrons plus nous passer de leur aide au fur et à mesure que l’offre de soins rapportera plus de patients en difficulté avec l’alcool au dispositif spécialisé, d’ores et déjà saturé de suivis individuels

Quelles actions sont possibles ?

Chaque prise en charge de patient hospitalisé est l’occasion de sensibiliser un MG par un courrier lui confiant la suite de l’accompagnement et des informations.

A l’occasion de FMC, il s’agira de les intéresser à la prise en charge des conduites addictives en général, grâce à la diffusion des connaissances nouvelles dans ce domaine. Nous envisagerons avec eux de modifier les représentations culturelles sur l’alcoolisation ( le « bien-boire et le mal-boire »; l’évolution de la dépendance ; la possibilité de s’en sortir ; la réhabilitation de l’abstinence…) et les inviterons à être porteurs vis à vis du public, de ces modifications de représentation ….

Il est clair que les médecins généralistes sont intéressés par la prise en compte des facteurs psychosociaux des problèmes de santé, dont les conduites à risque et les différentes consommations de psychotropes.

Nous pouvons les convaincre de l’efficacité de leur intervention, aussi bien en ce qui concerne :le repérage et la prévention, les « interventions brèves » en alcoologie, le suivi des patients demandeurs de soutien dans leur démarche, les sevrages ambulatoires, et en particulier les suites de sevrages hospitaliers programmés ou non programmés.

La participation des médecins généralistes à cette prise en charge peut varier selon leur intérêt pour ce sujet :de l’application de quelques connaissances de base concernant la clinique alcoologique, les orientations possibles et les erreurs à ne pas faire (comme par exemple la prescription de benzodiazépines à des personnes non sevrées)- à une position de médecin alcoologue proche de ce que j’ai décrit précédemment.

2.4.   Formation et sensibilisation dans les services hospitaliers:

La priorité de la collaboration va au service des Urgences. Le Samu nous sollicite pour le service de régulation. Les services de chirurgie digestive, ORL, pneumologie, neurologie, cardiologie, médecine interne, toxicologie, psychiatrie, seront des partenaires permanents, etc.…

Etant donné la masse de travail à effectuer à l’hôpital en matière de sensibilisation et de formation, ainsi qu’en mise en relation avec les structures extrahospitalières, la tâche doit forcément se simplifier à des objectifs essentiels :

- sensibiliser les équipes de façon systématique, en particulier en s’appuyant sur les cas de patients

- participer à la formation continue en alcoologie et en addictologie

- réaliser des protocoles de prise en charge et les diffuser.

3.   Conclusion

Si le travail de médecin alcoologue pouvait être décrit, le travail d’alcoologue de liaison au contraire évoque une tâche difficile à cerner. . Les objectifs en étaient fort bien décrits dans la circulaire de septembre 2000, mais semblent irréalisables avec les moyens limités dont nous disposons par exemple dans un CHU.

Cependant, ce travail de défrichement laisse augurer pour dans quelques années une représentation plus plausible, plus réaliste des possibilités de partenariat entre différents acteurs de santé dans le domaine de l’alcoologie et de l’addictologie.

En ce qui concerne le soin, le trop grand foisonnement d’actions menées en direction et autour des patients alcoolodépendants n’augure pas forcément d’une amélioration de la prise en charge, si nous ne restons pas vigilants à la qualité des rencontres avec les patients.

En espérant vous avoir donné une description pas trop confuse de l’évolution d’un médecin alcoologue vers la Liaison, je vous remercie de votre attention.

Mise à jour le Vendredi, 21 Février 2014 16:39