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Chevry - intimité ...

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"Sexualité et Intimité" : Situations cliniques, apports théoriques, à partir des pratiques professionnelles
d'un Médecin Addictologue & Sexologue et d'un Médecin Psychiatre Hospitalier

Sexualité et intimité en addictologie Situations cliniques, apports théoriques

Pascale CHEVRY - Praticien hospitalier en psychiatrie, psychiatre de secteur

3 décembre 2010

Cette intervention vient dans la suite d'un travail mené déjà au Groupe Interalcool en 2005 sur l'apport de la psychanalyse et de la psychodynamique pour la sexualité au regard de l'alcoologie. Nous avons souhaité, avec Mme Laurence Pezet, qui va vous traiter ensuite de sexologie et addictologie, vous communiquer des éléments théoriques et cliniques de nos expériences professionnelles respectives.

Dans ma pratique psychothérapique, certaines images m'ont marquée et m'influencent toujours : je soigne actuellement avec ces expériences thérapeutiques antérieures, avec ces images, ces interrelations vécues dont je souhaite vous faire part.

Dans les entretiens, je m'aperçois combien les pratiques sexuelles sont décisives pour l'avenir et les relations de l'individu : choix de type de vie en couple ou non, prise en compte de sa propre santé, détermination de son lieu de vie … Dans la relation psychothérapique sont abordées la manière de penser, de réagir et gérer les pulsions, les conflits, les émotions ou les sensations, les angoisses, la manière de rêver ou s'ancrer dans la réalité, etc. Les choses abordées sont confidentielles, personnelles, intimes : c'est-à-dire qui est réservé à soi seul mais qui peut être partagé dans une relation de confiance, et en particulier dans la relation psychothérapique, individuelle ou quelques fois groupale.

Du fait de la réserve à l'expression, des tabous, des sentiments de honte, la sexualité n'est pourtant pas toujours abordée par les patients alors qu'elle est essentielle. C'est probablement alors au thérapeute de veiller à qu'elle soit abordable en thérapie d'autant plus que, sur le plan relationnel comme esthétique, la sexualité est, selon mon avis, le reflet de l'être humain dans ce qu'il ou elle peut avoir de plus beau, affectif harmonieux émotionnel libre ou créatif … c'est mon choix délibéré de thérapeute de m'inscrire en faux des images médiatisées de la sexualité violente abusive, de ses dérives ou ses excès.

Je vous propose tout d'abord une brève, partielle et personnelle revue de la littérature sur cette question, que je donne dans un ordre chronologique :

Tout d'abord, l'article « Les relations psychologiques entre la sexualité et alcoolisme » est un texte d'un psychanalyste, Karl Abraham, et date de 1908. Les textes disponibles sont sur le web : http://www.megapsy.com/Textes/Abraham/index_abraham.htm .

Les textes sont assez simples d'abord et pertinents si le lecteur resitue ces textes dans leurs époques …

 

En 2002, il existe un écrit de santé publique, un document de l'OMS : extrait du Rapport Mondial sur la violence et la santé, disponible sur le Web, (<http://whqlibdoc.who.int/publications/9242545619.pdf>). Je vous en communique quelques extraits :

Situé dans le chapitre intitulé : « l'alcool et la violence à l'égard du partenaire intime »: « On accorde de plus en plus d’attention à la violence perpétrée par un partenaire intime et au lien qui existe avec les mauvais traitements à enfant. »

Et également : « D'après l'enquête sur la violence contre les femmes au Canada, par exemple, les femmes qui vivent avec de gros buveurs risquent cinq fois plus d'être agressées par leur partenaire que celles qui vivent avec un homme qui ne boit pas »,

et aussi, de manière plus insidieuse :

« 22 % des femmes victimes de violence familiale ont déclaré avoir bu de l'alcool à la suite de l'agression pour tenter de s'adapter à la situation. »

En 2005, concernant l'intimité et l'alcool : Nous découvrons le livre « Le dernier pour la route, Chronique d'un divorce avec l'alcool » d'Hervé Chabalier. Le résumé du livre nous indique qu' « Un homme aux prises avec l'alcool raconte le chemin qu'il a parcouru, de l'intimité sombre et solitaire de la dépendance à l'expérience partagée du sevrage en cure de désintoxication. »

Je cite l'auteur : « Chaque matin, je prends le temps de me “rencontrer”, en lisant et en faisant un point avec moi-même. Comment es-tu aujourd’hui ? Qu’est-ce qui se passe en ce moment dans ta vie ? Ce dialogue intérieur permet de me recentrer, de me retrouver en phase avec moi-même, mais à condition d’être sincère. » Chabalier parle du lâcher prise et de son renoncement à ce que les choses lui échappent. Il aborde alors ici son intimité psychique.

Plus proche de nous à Lyon, dans Alcool Actualités, journal de l'INPES en juillet août 2005, nous retrouvons un entretien avec Dr Colette Marcand, médecin alcoologue alors à Vénissieux : je cite :

«Les patients ainsi pris en charge ont des personnalités souvent fort différentes mais on leur retrouve des traits communs telles que la difficulté à parler de soi, de son intimité, une certaine défaillance narcissique, une perte de la notion de temps».

Et plus loin :

« Le travail en groupe est pour cela très utile : chacun dépasse ses difficultés à s’exprimer en trouvant chez l’autre des émotions, des choses de leur intimité qu’ils ont en commun. Pour faciliter ce travail, on a recours à des médiations, l’expression corporelle, l’art-thérapie… Les gens viennent chez nous pour un temps déterminé qui va leur permettre de s’auto-observer, de réintroduire de la pensée, de la mentalisation là où il n’y avait plus que l’alcoolisation » résume Colette Marcand ».


Depuis 2005, la pièce de théâtre « Voilà » est jouée : pour une recherche dans le web sur les mots clefs intimité et alcool, la pièce apparaît dans les premiers documents trouvés. Nous retrouvons l'auteur et l'acteur de la pièce de théâtre Stephen Shank, que nous avions invité ici en 2006 : à partir d'un recueil des vécus d'alcoolo-dépendants, Shank « met en scène un homme qui nous dévoile son rapport intime avec l’alcool » (extrait du texte présentant le projet). Stephen Shank explique qu'au travers de sa pièce « On permettrait au spectateur de pénétrer le monde de l’alcool par l’intérieur plutôt qu'à travers le regard du professionnel, du scientifique, du sociologue ou du médecin. Mais, par dessus tout, on tenterait de faire sentir au spectateur la vulnérabilité et la déchirure de tous ceux et celles qui ont mis l'alcool dans leur vie, tout en lui faisant sentir que cette déchirure n’est peut-être pas plus vive que toutes celles qu’il vit lui-même ou les siens. »

Je cite John Shank également : « De cette manière nous faisons exister à la fois l’intimité de chacun, mais aussi, nous faisions vivre un ensemble d’intimité, l’une à côté de l’autre. Travailler sur la répétition et sur le mouvement circulaire, en essayant formellement de faire sentir un cercle fermé duquel il est difficile de sortir. »

Stephen Shank se mettait alors en scène dans ses actes quotidiens comme se laver et exprimait sa solitude, ses déceptions, sa dérision sur lui-même, son vécu intime de son alcoolisme au travers son rapport au corps. J'étais surprise de constater qu'après nous avoir fait partager son intimité corporelle et psychique, nombre de spectateurs étaient amenés à considérer que Shank était non acteur mais alcoolique.

Ce que j'ai remarqué sur le web c'est que le thème « sexualité et intimité » est un thème qui a interrogé surtout la gériatrie : par exemple, les réflexions sur la toilette intime de la personne handicapée ou âgée dépendante, ou sur l'éthique des chambres d'intimité dans les résidences de personnes âgées, etc... Les dépendances interrogent donc l'intimité, que ce soit la dépendance à l'alcool ou à l'autre.

En 2010, en ce qui concerne plus spécifiquement les personnes âgées alcoolodépendantes, Pascal Menecier aborde, avec « Les aînés et l'alcool », quel positionnement des auxiliaires de vie face à la demande d'approvisionnement ? Dans son livre, il aborde la question du plaisir de la personne âgée avec l'alcool.

Une étude scientifique de la satisfaction corporelle a retenu mon attention également : publiée en mars 2010, dans Alcoologie et Addictologie, certains auteurs montrent que le degré de satisfaction corporelle augmentée dans les suites immédiates à la cure diminue ensuite … (Besancenet, C., & Sultan, S. Evolution des émotions et de la satisfaction corporelle. Suivi de six mois après sevrage d’alcool.)


Je vous informe que le livre à paraître : "Sexe, Genre et Addiction" Actes des 10èmes Rencontres de l'U.S.I.D.,(l'Unité de Soins et d'Information sur les Drogues du Centre Hospitalier de Douai)
avec notamment en pré-annonce le chapître :
L'alcoolisme comme échec des fonctions symboliques qui régissent la reproduction sexuée, Gérard Haddad. Il est l'auteur de Manger le Livre où il développe l'idée que l'alcool est un substitut du Livre « parce qu'il brûle la bouche comme du feu ». Il est aussi l'auteur du livre Les Femmes et l'alcool, où il développe sa manière de voir bien particulière.

Avant d'aborder des situations cliniques , je vous explique mon cheminement : Aborder la sexualité d'un patient n'est pas chose facile et demande beaucoup de neutralité ou de prudence, en particulier en évitant la position de voyeur, toujours à redouter quand un patient se dévoile, et encore plus si nous ne voulons pas être captés ou piégés dans un système pervers … Je m'explique, par exemple, quand une personne raconte ses traumatismes de l'enfance, inceste … sans intimité dans ses dires, ou sans affects authentiques, alors qu'il est inculpé de viols … je l'arrête pour ne pas être captée dans un système pervers dont, j'aurais plus tard tout le mal de me défaire en tant que thérapeute.

Dans ma pratique, je fais l'hypothèse que la sexualité de la personne addictive est le reflet de la relation à soi-même et à l'autre entachée par sa relation au produit. La relation à l'alcool ou le produit, correspondant à un objet transitionnel partiel, maintient l'impossibilité de l'évolution vers une sexualité plus créative où soi-même et l'autre sont reconnus en positions subjectales. Cet obstacle s'est opéré déjà antérieurement dans l'enfance ou l'adolescence (traumatismes, inceste etc...) mais cela déborde le champ de l'intervention de ce jour. Parler alors avec le patient qui le demande ou l'accepte sur la sexualité, peut alors favoriser une meilleure reconnaissance de l'autre et repositionne le produit dans la position d'objet qui est sa place.

 

Pour pouvoir me repérer, comprendre les patients que je rencontre, éviter de généraliser ou faire des lieux communs, j'utilise la grille de lecture des structures de personnalité (psychose, états limites, névrose) de Jean Bergeret comme un mode de repérage de structuration de la pensée, excluant par ce fait de me situer dans le champ du pathologique ou non. Cette grille de lecture appartient à la conception psychodynamique, et, comme son nom l'indique, ne doit pas être fixée de manière définitive pour une personne. Jean Bergeret a décrit pour les psychoses, états limites, et névroses, les items

Symptômes

Angoisse

Relation d'objet

Défenses principales

J'ai repris ensuite par un autre auteur ( Gilles Ambresin) la

 

Nature du conflit psychique

 

Et j'ai tenté d'y adjoindre ensuite d'autres items comme

 

Demande

Investissement libidinal

Relation avec l'interlocuteur

Relation au produit toxique

Modes de sexualité

Type d'intimité

 

Et en particulier, pour notre thème, je pourrais retenir alors :

 

 

Relation au produit toxique

Mode de sexualité

Type d'intimité

PSYCHOSE

Fusionnelle, recherche de toute-puissance

Archaïque, soulagement des tensions ressenties

De faible importance

ETAT-LIMITE

Principe de plaisir ou diminution de la souffrance psychique

A risque du fait des questionnements changements ambivalences

Constamment en questionnement

NEVROSE

Dans le jeu avec le produit

Harmonieuse, refoulée ou sublimée

Préservée

 

Je reste à l'écoute de vos remarques et de votre propre analyse et proposition.

 

Je vais maintenant repartir de quelques situations ou réflexions cliniques en fonction de ce qui m'a surpris au cours de mes pratiques professionnelles :

- le côté fruste de Colas dans son rapport à lui même et à l'autre,

- l'admiration de Chantal pour son mari , battue 17 années, avec les sentiments ambivalents de peur/soumission et d'attrait,

- le ton de confidence de Bartolo dans ses relations avec les femmes,

- l'image du lit de Ghislaine, dans une posture régressée à domicile,

- la réduction d'activité sexuelle de Thomas, dans son parcours.

Le côté fruste de Colas dans son rapport à lui même et à l'autre :

Mr . Colas P. a 32 ans, et il a pour caractéristique de ne pas se contrôler sous haschich, et de devenir violent alors qu'il promet constamment de s'arrêter de consommer. Il est violent en particulier deux fois avec sa mère, ce qui constitue pour lui son plus grand regret, avec ses compagnes, qui ont déjà porté plainte à son encontre, pour viols ou complices de viol : à chaque fois, les faits ne sont pas retenus par la police ou la justice … Il décrit les scènes ainsi : il est violent (lorsqu'on lui refuse quelque chose), alors il crie, insulte, frappe les objets ou même les personnes, se rend compte de la gravité de son geste, s'excuse alors immédiatement et demande, supplie un pardon immédiatement, couvre sa victime de baisers, se fait serrer dans les bras, et avec ses compagnes il fait l'amour…(à l'évocation de ce texte, Colas se met à pleurer). Concernant l'usage de produit, Colas complète l'observation en précisant qu'il a arrêté toute prise d'alcool depuis 9 ans car l'alcool augmentait trop ses érections, et qu'il a connu une érection trop longue de deux heures, devenue très douloureuse sous une prise de cocaïne. Je l'informe alors des risques de séquelles directes sur le sexe (priapisme) et de la contre-indication complète de prise de tous médicaments indiqués dans l'impuissance sexuelle. Colas, sous traitement neuroleptique à très fortes doses, est calme, doux « comme un enfant » (je cite une infirmière), sans problème particulier, mais arrête le traitement après quelques mois, de manière répétitive.

Quand je reparle de sa sexualité à des collègues qui l'ont connu en chambre d'isolement, j'apprends que Colas se masturbait tant et plus et exprimait l'immense besoin de faire l’amour tellement son activité sexuelle et pulsionnelle était débordante (le cas de Colas n'est d'ailleurs pas un fait si rare quand on interroge nos collègues infirmiers sur les vécus en chambre d'isolement  ….). Cette manière de faire montre bien que pour Colas, l'activité masturbatoire résulte d'une pulsion intense impossible à réprimer ou gérer. Après plusieurs épisodes répétitifs, Colas convient d'une injection de neuroleptique hebdomadaire, pour l'aider à se contrôler et continuer à vivre avec son amie de manière plus heureuse pour lui, et pour elle.

 

L'admiration de Chantal pour son mari, battue 24 années, avec les sentiments ambivalents de peur/soumission/rejet et d'attrait :

Mme Chantal E, a 57 ans, hospitalisée depuis 4 ans en service de psychiatrie suite à des sévices et un syndrome de Korsakoff la rendant vulnérable. Depuis l'hospitalisation, l'appartement en location a été rendu, son mari a disparu de sa vie, elle n'a aucune visite à l'hôpital, ni famille ni amis. De sa sexualité, elle dit que c'est fini pour elle, que les hommes sont décevants. Elle a eu un fils placé tôt qui ne veut pas la revoir ni son mari. Sa famille a mis de la distance, beaucoup de distance ... Dans le service, stimulée par l'équipe infirmière, elle recommencera à s'occuper de sa coiffure, sa tenue vestimentaire. Fait notable elle déposera sur la table de chevet et une table de chambre une collection de petits bibelots, des canards, des petits animaux divers, qui seront toujours respectés par les autres patients du service même par ceux présentant des troubles du comportement. Son mari avait disparu, mais un jour elle explique qu'elle le revoit, ce qui la met dans un grand émoi et lui fait plaisir également, car il lui fait miroiter pouvoir la mettre en lien avec leur fils: elle nous confirme qu'il veut nous rencontrer, ce que nous acceptons car nous sentons qu'elle risque de partir avec lui sans aucune précaution ni préparation : sachant qu'il est un homme de prestance mais peu commode, au vu des premiers contacts difficiles avec le service, nous le recevrons avec l'assistante sociale et la Cadre infirmière du service. A côté de lui, elle a des yeux admiratifs mais elle ne dit plus rien, manifestement dans la peur. Il ne s'intéresse manifestement qu'à son argent et nous demande de leur trouver un appartement … Il est très contrarié par notre refus (il n'offre aucune garantie pour refaire revivre son épouse dans de bonnes conditions). Il accepte d'attendre le début de l'année suivante pour être revu avec elle : et explique qu'il vaut mieux attendre qu'elle ait refait un appareil dentaire : devant nous, il introduit ses doigts dans sa bouche… exactement comme un marchand d'esclave au 18ème siècle... atteinte dans son intimité corporelle devant nous. Avec l'aide du juge des tutelles et de sa curatrice, nous pourrons l'aider ensuite à protéger ses choix de vie.

La facilité de confidence de Bartolo dans ses relations avec les femmes :

Mr Bartolo G, 43 ans, est hospitalisé pour alcoolodépendance avec de nombreuses rechutes en clinique psychiatrique. A l'hôpital sous contrainte, il arrête de consommer de l'alcool, mais il reprend à chaque sortie, permission ou presque. Il explique qu'il ne peut s'empêcher « d'aimer l'alcool », même si cette pulsion à boire n'est agréable que quelques heures puis cède à un besoin ou dépendance où s'exprime son masochisme. Sur une période plus longue d'hospitalisation, il fait une décompensation délirante : il pense être Gandhi, en adopte les attitudes et l'expression scrupuleusement pendant 15 jours, nous parlant de l'universalité. Après cette période, il voudra revivre à l'extérieur de l'hôpital même s'il reconsomme de l'alcool. Dans le suivi, il me parle très souvent de sa relation aux femmes, plus que celle aux hommes : celle qu'il appelle sa femme, avec laquelle il ne vit pas et qui est plus âgée, a soucis de lui - avec sa mère, avec laquelle il a été très (trop) proche, dont il se sent quelquefois abandonné car elle est partie vivre loin de Lyon avec un nouveau mari - avec une « fort jolie » patiente (selon lui) connue à l'hôpital. A chaque fois, il m'évoque des souvenirs ou il me fait partager ses avis , et ses comparaisons.... moment de désirs souvent éphémères ré-évoqués en entretien ce qui lui permet de rester en lien avec moi. Quand il parle d'un ami, c'est alors aussi pour recréer du lien, par exemple en me disant de m'occuper d'untel qui va mal à l'extérieur. Il me fait ainsi part de son intimité relationnelle, et pour l'instant, pour ainsi dire ainsi, il ne s'aggrave pas sur le plan de sa consommation d'alcool. Ses réflexions sont empreintes du transfert : « Mme Chevry, comment voudriez vous qu'une femme de 40/50 ans s'intéresse à un alcoolique comme moi, qui du mal à marcher, qui n'a pas de travail, pas d'argent… allons ! »

 

L'image du lit de Ghislaine, dans une posture régressée à domicile :

Mme Ghislaine C. a 38 ans. Ses alcoolisations commencent après le décès se son père : Elle boit des alcools forts quand elle est seule, elle explique alors être submergée par de l'angoisse.

Je serai amenée à assurer un suivi dans un contexte de contrainte à l'hôpital, après de multiples hospitalisations antérieures. Sa vie de famille (mari et enfants), sa vie professionnelle (travail administratif de responsabilité prenant et motivant) n'ont pas suffi pour l'aider à enrayer la répétition de ses alcoolisations.

A un moment du suivi où les alcoolisations sont gravissimes et mettent le pronostic vital en jeu, je suis menée à aller la chercher en visite à domicile, ce que les infirmiers me demandent afin que Mme C. nous suive plus facilement. A ce moment, je suis brutalement confrontée à l'intimité de la patiente : Ghislaine accepte de nous ouvrir mais ne bouge pas de la chambre : recroquevillée dans le lit conjugal, un livre de chevet à thème morbide, des enfants transparents dans l'appartement et le marie loin d'elle (au travail), et … un alignement de bouteilles d'alcools forts vides au pied du pied, que personne ne débarrasse. C'est un moment particulier du suivi, où Mme C. comprendra que le suivi qu'elle réalise déjà avec un psychiatre libéral, doit être valorisé. Faire effraction dans son intimité, intimité privée, avec les bouteilles et intimité conjugale a probablement eu un effet déclencheur à un moment clé de son histoire pour qu'elle puisse s'engager dans une autre type de suivi, moins intrusif.

 

La réduction d'activité sexuelle de Thomas, dans son parcours :

Mr Thomas P. est un homme de 38 ans, qui est devenu toxicomane à l'héroïne vers 20 ans et dont le parcours a été marqué par deux décompensations délirantes vers 23 ans et 33 ans. Le suivi régulier est tardif mais il fait confiance progressivement : il raconte son intimité quotidienne personnelle : Il vit avec un ami qu'il héberge dans son appartement locatif depuis 5 ans... Ils se côtoient et partagent l'ennui, les drogues, les repas, les finances, les boulots, et leurs solitudes. Après quelques temps de suivi régulier, je m'aperçois qu'ils ne partagent pas leurs sexualités, qu'ils n'arrivent pas à s'entraider lorsque l'un des deux va plus mal (période suicidaire chez l'un, alcoolisme trop marqué chez l'autre...), qu'ils vivent indépendamment leurs vies familiales et leurs périodes de sevrage, et que Thomas commence à exprimer le souhait de pouvoir recevoir seul une fille ou une femme dans son appartement. Petit à petit Thomas quitte l'anesthésie liée à des années de toxicomanies : il passe une période de dépression intense suite à l'essai de reprise d'un travail à temps plein, trop physique pour lui.  il démarre alors un sevrage sous méthadone, suivi d'une période de souffrance psychique suicidaire gravissime avec régression psychique et puis d'une crise dissociative (peu d'ancrage dans la réalité) avec euphorie et hyperexcitation psychique, à la limite de l'hospitalisation. Cette période se traduit par le corps (poly-dipsie et poly-urie). S'ensuit une période de douleurs dentaires, puis de douleur affective avec le départ de son ami qu'il ne comprend pas bien.... Il s'inscrit dans un désir de retrouver une vie affective et sexuelle « normale » (ce sont ses termes), si cela lui est possible. Il me refait penser aux écrits de Freud, même s'ils peuvent paraître réducteurs : « là où ne peut plus s’instaurer une vie sexuelle normale, on peut s’attendre avec certitude à la rechute du désintoxiqué » (« La sexualité dans l’étiologie des névroses", 1898, in Résultats, idées, problèmes, 1, Paris, PUF, 1984, pp. 77-95.), comme si cela était déterminant pour son avenir. A la lecture de ce document qu'il corrige dans le fond, il est réaliste de ses possbilités ou non de rencontre ultérieure et s'oriente d'abord pour une reprise de travail.

Je laisse chacun le soin de continuer à penser et associer sur ses situations... en sachant que

sexualité et intimité reste un champ encore complètement à explorer sur le plan clinique comme de la recherche....

Annexe

 

 

Symptômes

Angoisse

Relation d'objet

Défenses principales

Nature du conflit psychique

Demande

Investissement libidinal

Relation avec l'interlocuteur

Relation au produit toxique

Mode de sexualité

Type d'intimité

PSYCHOSE

Dépersonnalisation

Délire

De morcellement

Fusionnelle

Déni, dédoublement du moi

Conflit du çà avec la réalité

De repérage, face à l'étrangeté

Pré-génital et indifférenciés

Tendance à la relation désaffectivée, fusionnelle

Fusionnelle, recherche de toute-puissance

Archaïque, soulagement des tensions ressenties

De faible importance

ETAT-LIMITE

Dépression

De perte d'objet

Anaclictique

Dédoublement des imagos, Forclusion

C. entre un univers mal intériorisé et des instances idéales archaiques, demeurant très extériorisées et non intégrées au sein d'un authentique surmoi. Clivage du moi.

Exigence de suivi régulier mais test de la relation

Partiellement génitalisée

Souvent entière,

dans le tout ou rien, fonctionnement opératoire

Principe de plaisir ou diminution de la souffrance psychique

A risque du fait des questionnements changements ambivalences

Constamment en questionnement

NEVROSE

Signes obsessionnels, hystériques

De castration

Génitale

Refoulement

Conflit génital. Conflit entre surmoi et çà. Dévalorisation de l'image narcissique

Diminution de la culpabilité

Génitalisée

Désir et séduction possible

Dans le jeu avec le produit

Harmonieuse , refoulée ou sublimée

Préservée

Données reprises du Livre de Jean Bergeret : Abrégés de Psychologie pathologique

Extr. Gilles Ambresin,

Psychothérapie psychodynamique brève de la dépression pour patients hospitalisés,

Psychothérapies

2009/2 (Vol. 29)

Proposition Pascale Chevry – Novembre 2010

Mise à jour le Samedi, 16 Juillet 2011 12:45