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La place des thérapies Comportementales et Cognitives dans la prise en charge de patients souffrant de dépendance alcoolique

Dr Eric Peyron, Clinique Médicale de Champvert, Lyon

Pour les premiers thérapeutes comportementalistes, les désordres observés chez le sujet alcoolo dépendant étaient le reflet d’un apprentissage défaillant des comportements adéquats.

Le courant principal des premières thérapies comportementales des problèmes liés à l’alcool reposait sur l’entraînement aux habiletés. Si les patients consommaient de l’alcool, cela devait être parce qu’ils n’étaient pas en mesure de produire des comportements adaptés. Ceci allait dans le sens de Jellinek, chercheur dans le domaine de l’alcoologie, qui pensait que la consommation abusive était une façon apprise quoique inappropriée de faire face aux émotions négatives.

Ces premières approches comportementales se sont complétées des méthodes cognitives. La résolution de problème était par bien des aspects une intervention cognitive dans la mesure où elle enseignait aux patients comment analyser et trouver des solutions aux problèmes auxquels ils étaient confrontés.

Un énorme bon a été accompli à partir de la position de Skinner et du comportementalisme en général, voulant que seules les choses observables devaient être considérées comme déterminants dans les comportements.

La théorie de l’apprentissage social introduit certaines croyances telles l’efficacité personnelle et l’anticipation du résultat.

Cette influence s’est particulièrement retrouvée dans l’approche de G. Alan Marlatt autour de la prévention de la rechute. Ce modèle rassemble des procédures comportementales traditionnelles, telles l’apprentissage d’habiletés et l’analyse fonctionnelle des comportements permettant d’identifier les situations à haut risque, avec des procédures propres aux thérapies cognitives.

L’hypothèse de base est :

Une personne, ayant des problèmes d’alcool, qui s’engage dans l’abstinence sans avoir les moyens de gérer efficacement une situation à haut risque, a un sentiment faible d’efficacité personnelle et un manque de confiance en lui.

La rechute déclencherait un effet de violation d’abstinence qui est un phénomène spécifiquement cognitif. La personne engagée vers l’abstinence et ayant rompu son contrat avec elle-même serait alors dans un état de dissonance cognitive et éprouverait alors le besoin de se trouver une explication pour l’avènement de la rechute.

G. Marlatt pense que le sujet se verrait incapable de s’abstenir de boire, et la croyance en une incapacité à exercer un auto contrôle deviendrait une prophétie auto réalisante, un rationnel pour poursuivre la consommation jusqu’à la rechute complète. G. Marlatt appela cet enchaînement d’événements, l’effet de violation d’abstinence, et le moyen de prévention suggéré était l’apprentissage d’une stratégie cognitive.

On enseignait aux patients que s’ils avaient une rechute, ils pouvaient interpréter cet événement comme un accident de parcours et non comme une incapacité d’abstinence. Ils pouvaient alors apprendre à gérer une situation semblable sans recourir à la consommation. Si la situation venait à se renouveler, ils devaient considérer la rechute comme regrettable mais surmontable.

Autrement dit, au lieu de considérer la rechute comme une démonstration de l’incapacité de s’abstenir, ils considèrent la rechute comme un incident dont ils peuvent apprendre, et rétablir l’abstinence le plus vite possible.

On voit donc l’intrication entre la prise en charge comportementale et la prise en charge cognitive.

L’entretien motivationnel : C’est un style d’interaction thérapeutique visant à accroître la motivation de la personne à changer.

L’entretien motivationnel, développé dans les années 1980 par les psychologues William Miller et Stephen Rollnick est, plus qu’une technique, un style relationnel, ou un état d’esprit, qui s’oppose au style confrontationnel. Parallèlement à la formulation de ce style psychothérapeutique, deux autres psychologues, James Prochaska et Carlo Di Clemente, ont développé le modèle transthéorique de changement, décrivant le parcours motivationnel des sujets souffrant de conduites addictives.

L’entretien motivationnel est l’intervention thérapeutique qui semble aujourd’hui la plus efficace pour faire progresser les patients souffrant d’addiction dans les stades de changement, jusqu’à la solution de leurs problèmes.

Le modèle transthéorique de changement

Le modèle transthéorique de changement postule l’existence de 6 stades de changement, par lesquels passent habituellement les sujets souffrant de conduites addictives. Les sujets passent d’un stade à l’autre, habituellement de façon cyclique, mais parfois de façon anarchique.

Au stade indétermination, le sujet n’a pas conscience de l’existence d’un problème de conduite addictive, ou alors le considère sans importance.

Au stade intention, le sujet reconnaît l’existence d’un problème, reconnaît qu’il serait sans doute utile de faire quelque chose, mais repousse l’idée d’un changement dans un futur nébuleux.

Au cours du stade préparation, le sujet commence à planifier un changement, par exemple en prenant des conseils ou en consultant.

Au cours du stade action, le sujet met effectivement en œuvre le changement de comportement, par exemple l’arrêt de la consommation. Le stade d’action est caractérisé par la mise en acte du changement, et non pas par des seules déclarations d’intention.

Le stade de consolidation caractérise le travail de prévention de la rechute.

Enfin, le stade de rechute ramène le sujet vers un stade antérieur, le plus souvent celui de l’intention.

Les stades de changement selon le modèle transthéorique de Prochaska et Di Clemente

(se reporter à la figure n°1 page 14)

Traitement des troubles de la dépendance alcoolique

Ce programme de soins a été mis en place par les Dr Bonnet, Dr Peyron, Dr Sisteron au sein de la clinique médicale de Champvert.

L’ensemble du traitement est basé sur le traitement et la prévention de la rechute alcoolique. Les techniques employées sont les techniques de thérapie comportementale et cognitive.

Les bases théoriques s’appuient sur les travaux du Pr. P. Monti, psychologue à l’université de Brown (USA), du Dr C. Uehlinger, psychiatre, dirigeant un centre de toxicomanie à Fribourg (Suisse), et du Dr C. Cungi, psychiatre, spécialiste des thérapies comportementales et cognitives et auteur de Faire face aux dépendances (Ed Retz)

Un maître mot : L’ABSTINENCE

D’où… un contrat de soins. C’est à dire qu’il y a engagement du patient au respect de l’abstinence et de certaines règles institutionnelles.

Modèle du contrat de soins utilisé :

MON ENGAGEMENT

 

Je m’engage à respecter les principes de fonctionnement de la Clinique Médicale de Champvert durant la durée de mon hospitalisation.

OBLIGATIONS

  • A ne pas sortir du service et/ou de la clinique sans autorisation.
  • A rentrer dans le service avant 18h30, heure à laquelle les portes du service sont fermées.
  • A ne pas consommer et introduire d’alcool. Les infirmiers (ères) sont en droit, à tout moment, de pratiquer une alcoolémie ou un dosage à l’analyseur d’haleine.
  • A ne pas s’opposer à un contrôle d’alcoolémie.
  • A respecter, dans mon attitude, l’esprit du service.
  • A respecter les horaires du lever, du coucher, des activités et des repas.
  • A participer aux activités de groupe : réunion de relaxation, groupe information, ergothérapie…
  • A respecter mes voisins en évitant d’être bruyant après 21 heures.
  • A respecter les locaux et le matériel.
  • A ne pas fumer en dehors du salon fumeur.
  • A ne pas utiliser un engin motorisé (voiture, moto, …) durant toute la durée de l’hospitalisation.

TOUT MANQUEMENT A CES OBLIGATIONS POURRA ENTRAINER MON EXCLUSION DU SERVICE

D’où… une consultation préalable obligatoire avec l’un des médecins de l’unité.

Au cours de cette consultation préalable, on cherche à évaluer la compliance aux soins, la motivation, la personnalité et on explique le fonctionnement de l’unité avec la lecture du contrat.

Après cette consultation, est organisée l’hospitalisation si les conditions sont remplies.

Cette hospitalisation connaît deux périodes :

le sevrage physique (une semaine)

pendant cette période, on réalise un bilan somatique de la maladie alcoolique. Une consultation auprès d’hépatologue, d’un cardiologue, et d’un neurologue est organisée.

seconde période (4 semaines) : traitement et prévention de la rechute.

Le travail se fait à la fois en groupe et en individuel.

En groupe :

atelier de Thérapie Comportementale et Cognitive orienté sur la prévention de la rechute (atelier TCC)

  • atelier de relaxation
  • atelier d’information sur la maladie alcoolique et le sevrage tabagique
  • atelier de diététique

L’atelier TCC : Trois séances par semaine

Cet atelier a pour but de travailler sur la motivation au maintien de l’abstinence, l’affirmation de soi et la prévention de la rechute.

Le programme des séances TCC comporte douze séances :

1ère Séance       Rapport collaboratif

Reconnaissance du problème

Histoire de la maladie

2ème Séance      Introduction à l’affirmation de soi

3ème Séance      L’art de dire Non

4ème Séance      Faire des critiques

5ème Séance      Recevoir des critiques

6ème Séance      Les critiques liées à l’alcool

7ème Séance      Engager des conversations

8ème Séance     Faire et recevoir des compliments

9ème Séance     Faire face aux besoins d’alcool et aux envies de boire

10ème Séance   Plan d’urgence et faire face à une rechute

11ème Séance   Décisions apparemment sans importance

12ème Séance   Développer des activités gratifiantes

Chaque séance suit toujours le même plan :

ACCUEIL

Les patients sont accueillis, on prend rapidement des nouvelles depuis la dernière séance.

REVUE DES TACHES ASSIGNEES

C’est un moment très important où chaque patient expose les tâches qu’il devait effectuer depuis la séance précédente. Les difficultés exprimées sont reprises en commun.

THEME DE LA SEANCE

Ensuite, on traite le thème de la séance, avec naturellement des jeux de rôle.

FEED BACK

Chacun tire une conclusion de la séance et on s’assure que chaque patient ait bien compris le « message » de la séance.

La durée d’une séance est d’environ deux heures et demi.

Ci-dessous, nous avons reproduit le texte de la séance consacrée aux critiques liées à l’alcool.

Thème :

Quelles formes peuvent prendre les différentes critiques liées à l'alcool ?

Comment répondre à une critique liée à l'alcool ?

L'absence de réponse à une critique peut mener à des réactions émotionnelles inutiles et à des disputes dont les conséquences peuvent être une reprise de la consommation de l'alcool. Parfois la critique fait allusion à l'alcool et peut prendre la forme d'une accusation au cours d'un interrogatoire :

Ex : « Tu es en retard à la maison, c'est sûrement parce que tu as encore bu ».

Il est important d'être capable de répondre à la critique pour faciliter une communication efficace et non conflictuelle.

Parfois les critiques en rapport avec l'alcool mettent l'accent sur les évènements du passé ou sur leurs conséquences négatives.

Par exemple : « Pendant toutes ces années où tu buvais, tu étais une personne épouvantable, tu perturbais la maison, la famille, tu nous as fait des dettes ».

En début de période d'abstinence, les critiques en rapport avec l'alcool peuvent être occasionnées par d'autres comportements qui n'ont pas de liens directs avec l'alcool mais qui perturbent l'entourage.

Ex : Votre conjoint est énervé parce que vous avez tendance à vous isoler après le travail ou après avoir montré un peu de nervosité.

Il faut donc savoir répondre à ces critiques.

EN PRATIQUE :

1- Trouvez un aspect sur lequel vous pouvez être d'accord :

Ex : Tu es en retard à la maison, je suis sûr que tu es retourné boire.

Vous pouvez répondre : Tu as raison, je suis en retard aujourd'hui, je vois que çà t'inquiète.

2- Cherchez un compromis raisonnable :

Ex : Vous pouvez répondre dans la même situation.

« Tu es inquiète parce que tu penses que j'ai bu. J'aimerai bien que tu me dises simplement que tu es contrariée, que tu me le dises calmement au lieu de tout de suite conclure et m'accuser ».

EXERCICE PRATIQUE : JEUX DE RÔLE

On pourra prendre différentes situations : confrontation avec un employeur, un collègue de travail, un époux, un conjoint, un parent en prenant soin de faire différentes critiques constructives versus destructives, de faire des critiques appropriées versus des critiques affrontées, de faire des critiques centrées sur un possible épisode récent de prise de boisson, versus des critiques en rapport avec des épisodes passés de boisson.

A la fin de la séance, nous remettons toujours une feuille reprenant les grandes idées de la séance : Séance : Recevoir des critiques liées à l’alcool

Quand vous êtes l'objet de critiques par rapport à votre consommation d'alcool,

souvenez-vous :

1) Ne vous mettez pas sur la défensive. Ne conflictualisez pas, ne contre-attaquez pas.

2) Trouvez un aspect de la critique sur lequel vous pouvez être d'accord.

3) Posez des questions afin de clarifier.

4) Trouvez un compromis raisonnable en demandant à celui qui critique d'exprimer calmement ses soucis, en vous engageant à tenir informé votre interlocuteur de vos sensations, de vos humeurs, de vos activités et de vos rechutes si elles surviennent.

Tâche assignée :

Imaginez la situation personnelle suivante :

Vous retournez à la maison après une longue journée de travail. Vous êtes sobre depuis environ 3 mois, vous n'avez pas bu d'alcool, cependant, vos yeux sont rouges, vous vous sentez un peu déprimé, irritable. Votre conjoint se rapproche de vous, respire votre haleine et vous dit : Tu n'as pas bu aujourd'hui, n'est ce pas ?

Décrivez votre réponse :

Atelier relaxation : Trois séances par semaine

Cet atelier a pour but, de donner aux patients des techniques de relaxation, mais aussi de le mettre en état de relaxation dans des situations à risque. Ce programme s’étend sur quatre semaines et se décompose ainsi :

Première semaine : Travail autour de la respiration et de la verticalité.

Deuxième semaine : Travail autour du schéma corporel et de l’éducation de l’attention

-          présence à soi-même

-          l’unité corporelle

Troisième semaine :

Approfondissement des techniques de relaxation rapide : Méthode de Jacobson, Méthode Schultz

Association à des exercices en état sophronique ; visualisation positive de soi sans alcool.

Quatrième et 5ème semaine : Articulation avec l’atelier TCC.

Atelier d’information sur la maladie alcoolique : Une séance par semaine

Cet atelier a pour but d’informer le patient sur les conséquences somatiques et psychiatriques de la consommation d’alcool.

Atelier 1 : Cet atelier est consacré aux données épidémiologiques de l’alcoolisme

Atelier 2 : Cet atelier est consacré aux conséquences somatiques de l’alcoolisme chronique

Atelier 3 : Cet atelier est consacré au métabolisme de l’alcool, et à la dangerosité de l’association alcool-médicaments

Atelier 4 : Cet atelier est consacré à la rechute, et à la différence rechute réalcoolisation

Atelier 5 : Cet atelier est consacré à l’intrication alcool, symptomatologie dépressive/anxiété

Atelier 6 : Il nous a semblé important de favoriser le sevrage tabagique. Un atelier est donc consacré à ce thème, avec évaluation de la dépendance tabagique et description des techniques de sevrage.

Atelier diététique : Une séance par semaine

Les buts : apprentissage d’une certaine hygiène de vie alimentaire, ré apprentissage du goût et des saveurs complètement faussées par l’alcool.

Cet atelier, animé par une diététicienne, est composé de 4 modules :

Module 1 : découverte des 4 saveurs, éducation nutritionnelle sur les boissons (le degré d’alcool, le trajet de l’alcool…)

Module 2 : comment réaliser une alimentation sans alcool ? Comment manger à l’extérieur de chez soi ? Savoir lire une carte des menus.

Module 3 : Equilibre alimentaire, comment palier les conséquences de l’alcoolisation chronique.

Module 4 : Réalisation de cocktails. Comment recevoir en société ?

Travail individuel :

Un travail individuel est réalisé avec un(e) infirmier(ère) référente. Ce travail est d’une durée d’une heure et demi par semaine.

Ce travail a plusieurs buts : asseoir de le patient dans un état de motivation à l’abstinence totale (entretiens motivationnels, avantages/inconvénients à consommer/arrêter de boire de l’alcool), analyse des situations à risque de réalcoolisation et élaboration de stratégies de lutte pour le maintien de l’abstinence. Tout ce travail s’appuie sur l’analyse fonctionnelle des situations à risque avec recherche des émotions et des pensées automatiques.

Autres activités :

  • Atelier d’ergothérapie : animé par une ergothérapeute. Le travail est articulé sur la terre (1 fois/semaine).
  • Rencontre avec les associations d’entraide (1 fois/semaine) : Les associations participant sont : Alcooliques Anonymes, Vie libre, Alcool Assistance/Croix d’Or, Croix Bleue, Amitié PTT, Centre de Prévention de l’Alcoolisme.
  • Atelier vidéo (1 fois/semaine) : Activité groupale de projection des films Phare.

Evaluation du patient :

Chaque patient est évalué au cours de son séjour. Il s’agit d’une auto-évaluation. Le sujet doit remplir un questionnaire sur les habitudes de prises de boissons alcoolisées, un questionnaire de personnalité d’Eysenck, un questionnaire de dépression de Beck, un questionnaire de qualité de vie, un questionnaire des phobies.

Mise à jour le Lundi, 02 Janvier 2012 17:29