Groupe Interalcool Rhône Alpes

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Chevry - estime ...

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A propos de l'estime de soi

Intervention au Groupe Interalcool, 4 avril 2003

Pascale Chevry

 

Ce thème de l'estime de soi peut être abordé de différentes façons, dans sa complexité et sa richesse d'approche. Pour l'enfant, dans sa constitution de sa personne, il se situe au carrefour de différents types de maturation, cognitive, psychoaffective, ... . Il est le résultat de plusieurs facteurs comme la tolérance à la frustration, la capacité d'anticipation, le vécu des émotions et des affects, etc. Il n'est guère défini clairement sur le plan psychanalytique et dépasse largement ce regard.

Dans la relation avec une personne alcoolodépendante, l'alcool se place en filtre, prisme ou écran, entre l'individu et l'autre. Et cela dans les deux sens : comme pour l'enfant qui joue à cache-cache : « Je me cache les yeux, tu ne me vois plus ». « Je bois, vous ne voyez plus mon mal-être, ma souffrance. » L'alcool est alors désigné, l'objet d'attaque directe, du sujet ou de l'entourage.

Jeu de cache-cache pour l'enfant, jeu de l'alcool pour l'adulte ?

Une parenthèse, dans son recueil de poèmes, « Jeux de mots », Jean Colombo aborde le « jeu de l'alcool », le jeu de l'image, le jeu de l'autre.

Ce jeu de l'alcool amène l'autre à réagir, il est mobilisateur. La personne interpelle l'autre par son regard., dans sa fonction, dans son individualité.

Par la reconnaissance de l'autre, où se situe le regard de l'autre sur soi, s'introduit alors la reconnaissance de soi. Dans la prime enfance, la reconnaissance de l'autre est plus précoce que la reconnaissance de soi : l'enfant sourit à l'autre avant de se sourire dans le miroir.

Lorsque l'adulte ne peut plus se sourire dans le miroir, il cherchera alors le regard de l'autre.

L'estime de soi présuppose la reconnaissance de soi, par la reconnaissance de l'autre. C'est ici que je situe les actions d'aide et de soutien, de médiations, de thérapie, chacun à son niveau d'intervention. Quelques actions vont être développées dans cette rencontre ce matin.

Lorsque les membres du bureau du Groupe Interalcool m'ont proposé d'intervenir sur ce thème, j'ai de suite pensé à Mr Léon A., pour lequel en filigrane, tout au long de son suivi, cet élément est essentiel. Il a accepté que j'évoque son cheminement et je le remercie.

 

Mr Léon A., 56 ans, hospitalisé à sa demande dans un contexte d'alcoolisations répétées aggravées par de multiples pertes successives : perte de sa compagne, qui a eu pour conséquence la perte de son logement. Vie difficile dans un garage d'où s'en suit un licenciement. Je le rencontre la première fois en service de gastro-entérologie où il est envoyé pour sevrage par un médecin généraliste, alors qu'il vit encore dans son garage (en hiver), et a perdu son travail.

Lors d'un premier contact, Mr Léon A. se présentait comme très souriant, jovial, peu communiquant, soulagé d'être entre de bonnes mains. Il était prévu pour lui une prise en charge en centre de cure alcool. Il n'y avait alors que peu de place à la verbalisation de son histoire et même une réticence à l'approche psychothérapique. Sans alcool, il va bien dit-il. Pas de demande de suivi, excepté cette prise en charge dans le service de gastro-entérologie, qui le comble complètement.

 

A postériori, je peux dire qu'il bénéficiait alors enfin d'une reconnaissance alors qu'il était en lutte depuis deux ans pour en obtenir une, au niveau conjugale, professionnelle, sociale. Il se sentait soulagé, quasi-euphorique, d'où son sourire.

 

Trois semaines suivantes, je suis rappelée par le service, l'interne inquiète précisait alors : « Mr doit attendre un mois et demi avant de partir en cure, mais on ne peut le lâcher à l'extérieur car il est suicidaire, il se lève la nuit et erre dans les étages supérieurs, que faire ? »

 

La disparition du symptôme alcoolisation excessive avait fait place à l'apparition d'idées suicidaires majeures, lié à un syndrome anxiodépressif ancien, laissé en veilleuse lors de la période d'alcoolisation et d'hyperactivité professionnelle.

 

Pour Mr Léon A., il s'avère difficile de prendre le temps des décisions conjointes de soins pour lui : Parce que les demandes ont été surtout la prise en charge institutionnelle, court-circuitant les moments d'élaboration, annulés par les situations d'urgence : se succèdent alors hospitalisations, centre de cure, unité séquentielle :

 

Dans un premier temps Mr Léon A. fait une cure courte au Centre Groddeck de Grenoble. Il souhaite faire la cure complète de 5 semaines. Trop fragile pour attendre sans support institutionnel, il bénéficie alors de la prise en charge d'une unité séquentielle : 4 jours et demi par semaine et un week-end prolongé chez son ex-compagne. Beaucoup plus tard, il dira avoir souffert du tabagisme passif (confirmé par le médecin responsable de l'Unité : il n'arrive pas à faire installer un extracteur de fumée par sa direction). Ce rapprochement avec sa compagne le soulage dans un premier temps puis le déstabilise à nouveau, lorsqu'il se rend compte qu'au niveau conjugal "rien ne sera comme avant", et que son amie ne met pas seulement en avant les alcoolisations pour expliquer sa distance et volonté de séparation.

 

Il s'agit bien là d'une trop grande différence entre le MOI (faible ou affaibli) et l'Idéal du Moi (Il s'imagine assez fort pour continuer une vie conjugale, puisqu'il a arrêté les alcoolisations). Cette différence renforce un conflit intra-psychique peu gérable pour le patient, qui amène à sa déstabilisation narcissique, dépression, la tendance à la reprise d'alcool. En thérapie, il aborde alors la notion de dépendance affective et sociale qu'il a développé depuis plus de dix ans avec sa compagne.

 

Il part alors faire sa cure à Groddeck : le psychologue me dira de ce séjour « Quand on les prend à Groddeck, c'est pour les patients comme lui un laminoir ». Il est heureux de ce séjour, car il a pu s'affirmer et s' y redécouvrir son histoire propre. Lui-même en dira une année plus tard qu'il ne veut y retourner car "on y cherche trop loin le pourquoi de chaque chose".

Ensuite, Mr Léon A. vient en consultation au CMP, mais toujours quand il va bien, cessant le suivi dès qu'il va plus mal, dans un vécu de honte et de manque d'estime de soi (« je ne veux pas vous embêter »). Il retient généralement ses affects le plus longtemps possible, puis se met en colère et « tout se casse la figure ». Réalcoolisation importante alors. Il exprime des réticences à faire appel à ses frères et soeurs et aussi à ses enfants.

 

Dans ces relations avec les autres, il existe toujours une fluctuation de l'estime de soi : quand il demande des soins ou de l'aide, il le vit avec honte, et l'estime de soi diminue. Quand sa famille et sa compagne se montrent lointains, il le vit avec honte et leur reproche à la fois.

 

Pour lui, après une période où il est « perdu de vue », une belle soeur et son frère me contactent et lui impose une reprise de suivi. Une ouverture thérapeutique semble se concrétiser dès lors que sa famille se mobilise : les troubles de la communication intra-familiale et des violences antérieures sortant partiellement du non-dit. Dans sa famille il est hébergé un temps, mais sa fierté et son besoin d'autonomie, et les difficultés de communication le rendent régressés sur un mode psychotique : retrait, étrangeté, perte de repère temporel, trouble de mémoire et concentration graves, contact psychotique...et départ impulsif de chez son frère, en voiture, alcoolisé. S'ensuit une ré hospitalisation de 48 h,...et des pertes supplémentaires (voiture, permis). A la suite des interventions de sa famille, monsieur Léon A. est ré hospitalisé en service de gastro-entérologie. Là, il accepte d'aller en centre de post-cure trois mois pour réapprendre à vivre sans alcool. Il attendra en clinique psychiatrique pendant deux mois cette post-cure, durant lesquels les signes de régression psychique sur un mode psychotique vont s'amender.

 

En Clinique psychiatrique, il dit ne faire pas grand-chose d'autre que d'attendre, mais surtout il est reconnu dans ses problématiques et son mal-être actuelles., et il ne se ré-aggrave pas.

 

En post-cure, il réapprend l'autonomie, la vie collective. « En post-cure , la vie collective était un peu dure au début, j'ai compris l'importance du dialogue, il y a beaucoup de groupe de dialogue, on se sent moins isolé ». « En post-cure , j'ai appris à me débrouiller tout seul ». Là, il parvient à trouver des solutions d'hébergement social avec l'aide d'une assistante sociale, mais très difficilement, car ses prises en charge psychiatriques et alcoologiques le font refuser dans les commissions d'attribution d'hébergement sociaux... Il vit mal ces multiples recherches d'hébergement social, et seule la persévérance d' l'assistante sociale du centre de post-cure, qui téléphone aux nombreux partenaires médico-sociaux de la ville de Mr Léon, permettra de trouver une solution "honorable": Enfin il est accepté dans un hébergement social où il a un studio, personnel, ce qu'il n'avait pas connu depuis deux ans.

Ce qui est en jeu dans cette recherche est le maintien de l'estime de soi, mais cette fois ci au travers de la reconnaissance sociale. A ce moment, il comprend qu'il doit être l'acteur principal de ses démarches.

 

Il revient au CMPA puis aussi au CATTP pour un suivi de consolidation où il va dans un groupe de parole bi-mensuel. Il participe également à un groupe de parole dans un centre d'alcoologies il est suivi par une éducatrice de ce Centre mais il regrette que ce ne soit que mensuel et « on y parle que d'alcool ».

D'un contact avec une association d'entraide, il dira « cela ne m'a pas emballé ».

A cette période, il n'a plus besoin d'alcool et ne prend qu'un anxiolytique mineur le soir, prescrit par un médecin généraliste.

Des troubles du sommeil apparu dans une période où j'étais soi-disant moi-même en congé (mes congés d'été ne durent pas trois mois)...le font contacter un psychiatre libéral pour le traitement médicamenteux avec reprise de neuroleptiques. Je le vois alors tous les trois mois, à sa demande, ce qui représente pour nous le minimum d'entretiens individuels pour une personne venant régulièrement aux activités du CATTP.

Quelques mois plus tard, il reprend quelques fois de l'alcool, surtout le week-end, et le directeur du foyer me contacte car s'inquiète. Il n'y a pas d'éducateur dans ce foyer pendant plusieurs mois et il n'y trouve pas le soutien éducatif que le seul directeur ne peut assumer. Je refuse alors un entretien conjoint au profit d'un renforcement du travail actuel, car Mr L. m'a dit la confiance et l'estime qu'il a pour ce directeur, dont il suit grandement les recommandations.

 

Il poursuit les groupes de parole où sa mine grise et jaune inquiète les infirmières du CATTP. Je lui propose alors un rendez-vous en avance sur le suivant prévu à l'avance. Entre temps, il est hospitalisé en urgence suite à un malaise avec chute de fatigue sur la Voie Publique. Le médecin de l'Unité d'Hospitalisation Courte souhaiterait le faire sortir mais devant des enzymes hépatiques très perturbées, il est muté en service de Gastro-Entérologie de nouveau où un diagnostic d'hépatite médicamenteuse et alcoolique est posé. Je suis amenée à le revoir en tant que psychiatre de liaison : nous convenons d'arrêt complet de l'alcool et des neuroleptiques, et de tout psychotrope, suivi d'une proposition de soins en Centre de Jour, deux fois par semaine. Il tolère les difficultés d'endormissement et ses rêves changent au profit de rêves plus agréables. Des souvenirs agréables réapparaissent sur le mode de plaisir et non de pertes. Il se projète dans le futur de nouveau.

Par la suite, il met en place rapidement sa participation à plusieurs groupe de parole, groupe à médiations diverses, et à un groupe "Démarches" aux Centre de Jour, CATTP, et centre d'alcoologie. Ses démarches de recherche d'appartement aboutissent parallèlement, et il est toujours suivi au CMPA, où il se pose la question de la reprise d'un travail à mi-temps.

 

A la description chronologique de sa situation, je m'aperçois combien l'estime de soi, la renarcissisation, le regard des autres, ont été, et sont toujours pour Mr Léon, les éléments essentiels de son suivi psychothérapique, social et institutionnel.

 

A partir de cette reconnaissance de soi, l'estime de soi va pouvoir éventuellement se retravailler, et se développer à nouveau plus harmonieusement.

 

 

Un pédopsychiatre canadien, Claude Jolicoeur, donne une explication analogique de l'estime de soi : « A plusieurs égards, l'on pourrait comparer la structure de l'estime de soi à celle du voilier qui, par sa quille (les contraintes), fournit une stabilité négative indispensable, pendant que la coque (la force de caractère) fournit une stabilité positive et que les voiles (les talents), le mouvement vers l'avant, le tout nécessaire à la cohérence de l'ensemble. »

Mise à jour le Samedi, 18 Septembre 2010 23:07