PRESENTATION DE RuptureS : ORIENTATION DES PERSONNES POLYDEPENDANTES
Martial BOUZID, Intervenant de Prévention Santé - Alcoologue - février 2003
Depuis une dizaine d’années, la consommation d’alcool associée à d’autres substances licites (médicaments, substituts aux opiacés) et illicites augmente d’une façon dramatique chez les SDF autant que chez les jeunes individus en errance.
Ainsi, nous pouvons définir 2 types de consommateurs :
1) Les alcooliques « purs et durs » qui sont plus âgés, et pour qui l’idée de sevrage est quelque chose d’illusoire, fréquentent des réseaux socio-associatifs pour leur subsistance et sont ancrés à un lieu déterminé relativement sédentarisé. Seules des émergences pathologiques graves les contraignent à se rapprocher des structures d’urgence, puis, une fois leurs douleurs somatiques disparues s’en vont rejoindre la rue.
Pour eux, l’alcool-boisson a laissé la place à l’alcool nécessité. Boire constitue un élément essentiel de la survie dans la rue. Leurs passages dans les structures de soins leur permettent de « reprendre leur souffle » mais ils n’espèrent rien de la vie qui les attend et ont abandonné depuis longtemps la réflexion sur le plus petit projet de vie. Leur histoire intime associée à l’alcoolisme les a conduits là où ils en sont, et ils l’acceptent presque comme une « punition » méritée dont ils n’entrevoient pas l’issue et qu’ils pensent avec beaucoup de pudeur ne pas « mériter ».
2) Les polydépendants (alcool + médicaments + substances illicites + produits de substitution aux opiacés.
Ces personnes ont entre 20 et 35 ans. Pour elles, le problème est bien plus complexe. La substance psychoactive sur le marché de la substitution aux opiacés qui, sans conteste, nous pose le plus de problèmes à l’heure actuelle est le Subutex®. Ce médicament, d’accès facile (n’importe quel médecin généraliste peut le prescrire), élaboré pour être utilisé en sublingual, est fréquemment détourné de son indication car souvent injecté avec les risques que l’on imagine (abcès, nécroses et quelquefois amputations).
Mais ce médicament, revendu dans le cadre lucratif du deal, devient trop souvent pour les jeunes sujets le premier contact avec les opiacés, et, totalement ignorants de la façon dont cette molécule doit être consommée, encouragés par leurs « fournisseurs », c’est bien souvent sous forme d’injection que ces jeunes gens s’administrent le produit.
Insatisfaits des « effets attendus », c’est avec de l’alcool qu’ils vont faire « monter le subu », l’alcool servant au départ d’adjuvant au Subutex®, puis très rapidement et à leur insu, l’alcool va servir de fil conducteur et destructeur de leur organisme. Alors interviendront ensuite les médicaments (licites) puis les produits de synthèse et autres toxiques de plus en plus « hard ». Mais le produit qui va imposer sa loi chez ces jeunes individus va, dans 85 % des cas, être l’alcool.
Ce type d’usagers de la Boutique de RuptureS nous pose un véritable problème. Ils sont jeunes – moyenne 23 ans – sont déstructurés socialement et psychologiquement – et il nous est très difficile de créer un lien avec eux. Ils souffrent (dans leur tête et dans leur corps) mais ont du mal à s’exprimer et nous devons avec une extrême délicatesse aller vers eux, avec des gestes et mots rassurants, non inquisiteurs, en leur épargnant de déposer leur histoire. En effet, notre seul but est de les faire s’occuper de leur corps qui se décrépite alors qu’ils ont à peine 20 ans pour la plupart, et lorsque, miracle !!! ils acceptent qu’on les aide, notre enthousiasme s’éteint vite car s’ensuit immédiatement une question que nous, IPS, Infirmiers, Alcoologues, Sociologues, nous nous posons : « Où allons nous orienter cette personne ? ». Nous pensons immédiatement à l’Hôpital de l’Arbresle et à son équipe pluridisciplinaire. Or, les 2 ou 3 lits de cette structure, qui nous aide depuis 1995, ne sont-ils pas déjà occupés ? Combien de temps va-t-il falloir attendre ? Et en attendant, vers qui allons-nous orienter ce sujet ? Aujourd’hui, cette personne en souffrance a fait un effort surhumain en déposant sa demande. Mais qu’en sera-t-il demain ? Elle aura peut-être disparu pour plusieurs mois, et reviendra encore plus meurtrie, plus vulnérable… Que lui offrirons-nous alors ?
Et le discours, nous le connaissons : « Aidez-moi à me séparer de l’alcool, cette saloperie est en train de me tuer… » Dans ces cas de polydépendances, c’est toujours de produit là qui « tue » la personne. Même si elle y a associé d’autres psychotropes. A cet âge où la maturité est incomplète, la gestion du produit lui échappe complètement.
Les structures d’accueil pour cet exemple de polytoxicomanie nous font complètement défaut. En l’état actuel de nos recherches de partenaires acceptant des polytoxicomanes (hors tabac et médicaments), l’accès à des lieux ressources nous fait cruellement défaut. Nous savons que nous pouvons compter sur l’Unité de l’Arbresle, et depuis le 10 décembre 2002, le C.M.A. de Saint-Galmier en la représentation de son Directeur. Le Docteur Ch. DIGONNET a accepté d’accueillir quelques polytoxicomanes dans son centre de post-cures. C’est un plus encourageant, mais cela ne suffira pas, c’est une vérité immuable.
Alors je vous demande humblement que s’élargisse l’éventail de nos partenaires pour pouvoir, à un moment ou à un autre du processus d’accompagnement aux soins, solliciter ceux qui auront « franchi le pas » afin de nous aider, nous travailleur sociaux, à étayer, assister et prendre en charge les soins pour les usagers polydépendants qui, soyez en sûrs, vont venir grossir de plus en plus les rangs de leurs congénères souffrant du mal de notre temps et qui les décime un peu plus chaque jour.
Mon vœux le plus cher : ne plus entendre un médecin Directeur d’un centre d’alcoologie réputé me dire : « je ne peux pas prendre votre malade car il fume du cannabis, mais si d’ici un an il n’a rien fumé, alors nous pourrons l’accepter… » Ce jour-là, je me suis senti humilié.
Chaque fois que nous avons un entretien post-hospitalisation avec un de nos usagers, nous l’exhortons à jouer la sincérité avec le Médecin qui devra le recevoir. Alors, il a une telle foi en nous, que dans le cabinet médical, il est sincère, dit tout… puis se fait refouler.
Allons-nous devoir désormais encourager les personnes à ne rien révéler d’autre que leur problème alcoolopathie ? Personnellement, j’en serais navré…