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Vulin - arthérapie/danse...

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L'expérience du corps et du groupe face à l'addiction au travers

d'un atelier d'art-thérapie/danse

Marie-Béatrice Vulin, Art thérapeute au CSAPA du Centre Jonathan à Villefranche S/Saône - juin 2012


Historique et élaboration du projet

En 2008, à Villefranche sur Saône, le projet d’un atelier d’art-thérapie réunissant des patients toxicomanes venant du centre Jonathan et des patients de l’ANPAA s’est élaboré grâce à la rencontre d’un stagiaire danse/thérapeute et d’un médecin qui intervenait dans ces deux structures.

L’intérêt portait sur l’élargissement de la prise en charge par l’implication du corps et de sa capacité expressive. Elle pouvait être une alternative ou un complément à une prise en charge thérapeutique verbale.
Des soignants ont participé à ces ateliers. A la fin du stage de danse thérapeute, ils ont eu envie de continuer. Certains patients ont aussi émis ce désir. Le stagiaire n’a pas pu continuer. J’ai pris le relais à ce moment-là.

En 2009, Les directeurs de l’ANPAA et du centre Jonathan ont travaillé ensemble pour faire une demande de subvention spécifique.

Peut-être y avait-il un désir des deux structures de se rapprocher avant la mise en place des CSAPA ? Des réunions avec les deux équipes ont été nécessaires pour élaborer le projet.

L’atelier a eu lieu dans un studio de danse à Villefranche S/S. Ce lieu extérieur aux deux institutions marquait une volonté de conduire les patients vers une activité à l’extérieur.

Les comptes-rendus avec l’art-thérapeute et les équipes avaient lieu 1 à 2 fois par an. Ils portaient plus sur la dynamique du groupe que sur l’aspect clinique individuel. Ceci dans un souci de maintenir une sphère d’ordre privé pour les patients même si l’atelier était encadré par les institutions.

La présence en alternance d’une co-animatrice de chacune des institutions tous les 6 mois a assuré un maintien du lien avec les patients et les institutions.

Les ateliers avaient lieu un lundi sur deux de 17h à 18h30 au studio Alma à Villefranche S/S. Ils ont pris fin en juin 2011.

Le projet de l’atelier d’art-thérapie et fréquentation

L’atelier « corps et mouvement » vient du constat des soignants que bien souvent la dimension corporelle est, pour les patients, un lieu douloureux, honteux, figé. L’expression verbale est bloquée ou limitée. Certains se trouvent dans un grand isolement.

Comment alors favoriser une mise en mouvement qui permettrait au patient de s’éprouver autrement ?

L’atelier « corps et mouvement » engage l’expérience corporelle à devenir support de vitalité et d’expressivité. Le groupe contient. Il est aussi une ressource relationnelle. La médiation invite le sujet à devenir acteur dans un espace/temps commun partagé avec d’autres.

L’atelier s’adresse à des personnes qui ont commencé un travail thérapeutique visant à sortir de la dépendance aux produits. L’approche corporelle peut être une dimension dont elles se saisissent pour traverser des sentiments de honte, de non appartenance, pour affronter le regard des autres, pour sentir du plaisir et faire l’expérience de se sentir exister avec les autres.

Vivre ses situations dans un espace sécurisé peut leur permettre de développer une sécurité interne utile dans d’autres situations.

Les soignants des deux structures indiquent ou conseillent l’atelier aux patients qu’ils estiment en avoir besoin. Les troubles énoncés plus haut servent de paramètres à leurs indications. Il y aussi une affiche dans la salle d’attente. Les patients peuvent ainsi eux-mêmes interpeller les soignants.

L’addiction n’est pas au centre de l’atelier. Les participants l’évoquent peu. Ils mettent en avant leurs douleurs physiques, leurs difficultés à accepter leur corps, leur besoin de se mettre en mouvement, de sortir de l’isolement… Les participants sont plutôt dans une recherche de mieux être.
Ainsi l’atelier se centre sur ce qui réunit et sur un désir commun même si la particularité de chacun est prise en compte.

Néanmoins nous avons repéré que les personnes dépendantes à l’alcool montrent un désir de groupe plus évident que les personnes dépendantes aux drogues. Cependant ce désir peut devenir fusionnel, résister à la différenciation et s’étouffer. Alors que les personnes toxicomanes sont plutôt dans un mouvement de retrait et une recherche de sensations internes.
Ces deux mouvements se sont révélés complémentaires et une ressource pour la dynamique de groupe. Ceci particulièrement avec les personnes restant au moins 3 mois à l’atelier.

Les ruptures ont été fréquentes. Les personnes partaient sans avertir la plupart du temps.
Certaines sont revenues quelque temps plus tard. Le groupe a eu la capacité de les accueillir facilement. Elles faisaient ainsi l’expérience que leur présence a un impact sur le groupe, qu’elles gardent une place malgré leur absence. Ceci a créé pour certains participants un sentiment d’appartenance au groupe.

Nous avons aussi constaté que les sollicitations des co-animatrices se sont avérées essentielles pour ce mouvement d’aller et venue, pour soutenir la présence des participants.

L’investissement seul des participants ne semble pas suffisant s’il n’est pas suffisamment étayé.

En alcoologie, la fréquentation s’est peu à peu effilochée alors qu’au début elle était majoritaire et offrait un noyau dur régulier. Certains ont dû arrêter pour des raisons de santé, de famille, de rechute, de désintérêt…

J’ai appris qu’après leur passage à l’atelier, certaines ont pu investir une activité corporelle à l’extérieur non thérapeutique.

Le groupe a été majoritairement féminin mais les hommes sont arrivés à trouver une place. Il est arrivé qu’il y ait des périodes avec une parité et des périodes où les hommes étaient majoritaires (petit groupe). Cette mixité a donné de la vitalité à l’atelier.

Déroulement et observations

Les séances s’adaptent à la mobilité physique et psychique de chacun et accompagne une dynamique soutenante, contenante et douce dans laquelle l’expérience de chacun est singulière tout en participant à un ensemble.

Les approches principales viennent de la danse contemporaine et la danse improvisée et de pratiques somatiques comme le body mind centering.

La danse contemporaine a la spécificité de mettre en lien les perceptions, le mouvement et l’expression dans l’espace. La danse improvisée invente une pratique et des structures de composition spontanées qui engagent l’écoute, la conscience de soi et de son environnement, la mobilité, l’interaction.

Un atelier « type » commence avec un cercle et un premier état des lieux physique et/ou psychique. Il se poursuit avec un échauffement puis des propositions d’exploration en mouvement sur une partie du corps, l’espace, des rythmes différents… Il se termine par des propositions d’expression créative en duo, trio ou en groupe selon la séance et les participants. Un temps d’échange sur l’expérience vécue pendant l’atelier clôt la séance.

Souvent les douleurs, les peurs sont massives et font barrage à d’autres perceptions jusqu’au découragement. Aussi l’atelier mise sur la mobilité de chacun même réduite. La dimension essentielle de l’atelier est l’accès au plaisir, l’expression, la relation. Sans devenir une injonction, le plaisir est un indicateur précieux sur ce que se permet un patient, la liberté qu’il se donne.
Le mouvement permet d’apprivoiser ses sensations, de faire circuler les émotions et finalement ne pas s’y agripper

Avec le temps, les participants assidus ont développé une perception plus fine de leurs éprouvés corporels.

Un autre effet de cet atelier a été de sortir de l’isolement. Pour certains patients l’atelier leur donnait un but de sortie dans leur journée ou leur semaine.

L’interaction avec les autres mobilise une alternance d’aller vers ou de retrait. Cela demande de sortir de « sa bulle » mais aussi de la construire. Le cadre et les consignes sécurisent et rendent possible ce mouvement d’aller-retour. Ils limitent le sentiment d’exclusion.

Alors même si fortement anxiogène, retrouver le groupe était une expérience qui permettait d’éprouver autrement la relation.

Exemple de consignes pour un duo :

Jeu de statues : A prend un pose, B regarde puis se place par rapport à cette statue, A sort, regarde et trouve une nouvelle place par rapport à B etc…. le rythme peut s’accélérer.

Dans cette proposition le regard est sollicité et on ne peut rien faire sans l’autre. Cela donne lieu pourtant à des impasses, des « oublis ». C’est à partir de là que nous pouvons intervenir ou pas selon ce qu’il se passe.

Le temps de parole est plus ou moins investi. Il est souvent difficile de nommer ce qui a été éprouvé peut être par :

Absence de traces de l’expérience.
L’expérience n’a pas encore de mots ou pas de mots pour le dire.
Peur de dire son expérience comme si la partager avec d’autres ravive la honte.

Sur le moment ou dans l’après coup, lorsqu’un mot, une phrase, une image se relient à l’expérience, nous pouvons imaginer que quelque chose de neuf s’intègre au schéma corporel ou au regard sur soi que pose la personne.

Conclusion

La baisse de fréquentation a amené l’équipe à se demander comment travailler autrement ?
Comment soutenir l’engagement ?

- besoin de réunions plus régulières entre l’art-thérapeute et l’équipe de soin,
- une communication plus efficace,
- une périodicité hebdomadaire,
- un lieu plus identifié au soin.

Ces questions sont restées ouvertes puisque l’équipe de l’ANPAA a décidé d’arrêter fin juin 2011 pour se recentrer sur ses activités en interne.

L’atelier continue avec le centre Jonathan une fois par semaine sauf les vacances scolaires. La périodicité me semble plus ajustée. La fréquentation reste faible mais cela semble inhérent à l’ambulatoire : comment maintenir une permanence pouvant supporter l’impermanence et donc une grande fluctuation du groupe ? Jusqu’à quelles limites ?

Nous avons rajouté la médiation de l’écriture créative. Elle permet de laisser une trace sensible de l’expérience en mouvement, de donner des mots, de profiter de ceux des autres, de poursuivre l’expression de soi sur un autre mode, un peu plus distancié. Il tente d’articuler ce passage d’une trace de l’expérience corporelle à la trace des mots.

Quelques questions et réflexions des auditeurs après mon intervention :

Comment les éléments et les observations peuvent être ramenés à l’équipe ?
Comment faire exister l’atelier dans la prise en charge globale ?

Les équipes ont besoin d’un temps long d’intégration de l’atelier.

Comment les soignants supportent-ils de ne pas savoir ou de ne pas comprendre ? Chaque soignant a une représentation du corps et un vécu très singulier : peur, répulsion, désir…

La différence des profils (alcoolodépendants et toxicomanes) interroge. Je peux répondre que les participants se retrouvaient autour d’une chose commune qui n’avait pas à voir directement avec l’alcool ou les drogues. Dans ce temps spécifique et pourtant en lien avec leur addiction, se produisait peut-être une désidentification au produit.

Mise à jour le Jeudi, 19 Juillet 2012 14:48