Groupe Interalcool Rhône Alpes

réfléchit, échange, publie...

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille

Mouchet - Abstinence...

Imprimer PDF






Yves MOUCHET - de l'association VIE LIBRE


Il n'est pas possible d'évoquer l'abstinence sans aborder la maladie et l'addiction car elles nous obligent, nous contraignent à cette position extrémiste.
Seule l'abstinence totale et sans faille permet d'endiguer la maladie alcoolique et nous ne connaissons aucune autre alternative viable.
Une fois le déni évacué et le sevrage physique réussi, il reste un long chemin à parcourir avec l'aide du personnel médical et des associations.

1 - L'ABSTINENCE EST UN BUT : le malade entre en résistance.


La première étape n'est pas la plus simple, lorsqu'il s'agit de revenir dans le quotidien tant l'alcool reste omniprésent dans la vie de tous les jours.
Les sollicitations sont nombreuses, les tentations constantes, les envies tenaces et vivaces...
L'abstinence est alors une obligation, un objectif, un but impératif et il s'agit de le tenir à court terme.
On compte d'abord en heures, puis en journées, avant les semaines, les mois, les semestres et pour finir les années.
Pour moi cette étape a duré environ deux ans alors que j'étais sorti de cure gonflé à bloc, mais cette énergie s'étiole petit à petit.
Le stock d'optimisme se dégonfle comme un ballon de baudruche et se réduit à peau de chagrin au bout de six mois.
On s'habitue au bien-être et aux avantages procurés par l'abstinence et on doit se colleter au présent avec les ardoises du passé qui remontent à la surface : personne n'efface le passé du malade alcoolique et il faut assumer les factures tant financières que morales. Pas si simple...

Parfois, on est tenté de jeter l’éponge car on ne mesure pas toujours les bénéfices de la vie sans alcool par rapport aux efforts consentis.
Le cerveau réclame l'alcool à cor et à cri pour apaiser les tensions et parce que c'est le seul moyen de défense ou d'évasion qu'on utilisait jusque là.
C'est l'époque où les associations ont un rôle essentiel pour maintenir et renforcer le malade dans sa volonté de résister coûte que coûte. Chacun y va de son petit conseil, de sa réflexion amicale visant à la revalorisation du parcours et donc du malade.

La vie des permanences jalonne celle du convalescent qui attend avec impatience la prochaine rencontre et s'oblige à tenir jusque là, par respect pour le groupe. En plus il y a aussi ces listes de téléphone et ces personnes que tu peux appeler si tu vas trop mal pour leur parler, vider ton sac, sans jamais être jugé et recevoir toujours du soutien en retour. Le respect strict de la confidentialité permet les aveux les plus intimes. Cette chaîne d'amitié reste un atout majeur et n'a pas de prix ; c'est la force du groupe et son expérience au service de l'individu. En parallèle il est possible de consulter un addictologue ou un psy si nécessaire.

2 - LE BUT DEVIENT UN ITINÉRAIRE : le malade entre en résilience


Avec le temps, les envies s'estompent, les sollicitations se font moins pressantes et pesantes pour peu que l'on revendique son statut de malade alcoolique. Petit à petit on s'aperçoit que l’abstinence n'est plus un but ni un objectif mais un moyen, un itinéraire pour aller plus loin, pour se réaliser davantage.
Riche de nos deux années de combat, on se sait capable de résister, on se sent moins fragile, plus confiant et non sans raison. La timidité s'estompe, les doutes s'effacent d'eux-mêmes, l'estime de soi et l'amour propre regagnent du terrain si bien que même les échecs ou les déceptions ne nous terrassent plus.
Nous avons appris à rebondir et tirons une force incroyable de cette victoire face à l'alcool, sans pour autant fanfaronner. En effet nous savons rester humbles et nous remettre en question de façon permanente car nous restons buveurs guéris en rémission.

Nous avons tous en mémoire des cas de rechute de malades après des années d'abstinence. Nous avons tous ce monstre tentaculaire dans nos entrailles, cette pieuvre qui ne demande qu'à sortir des profondeurs à la première goutte d'alcool pour nous posséder à nouveau. Mais nous avons aussi le souvenir de tous les ennuis générés par notre alcoolisme. On se visualise la balance de Roberval avec les deux plateaux : d'un côté les bienfaits de l'alcool, de l'autre les méfaits tellement plus lourds et nombreux que même la balance en sursaute. Le choix est vite fait et la tentation repoussée : le fléau de la balance contre le fléau alcool...

L’abstinence heureuse ne protège pas des coups durs ni des accidents de la vie hélas, mais elle permet de les vivre plus sereinement et de relativiser, tout en acceptant de faire face. Par la force des choses on devient philosophe et raisonnable, on devient en capacité d’appréhender les instants de bonheur fragiles et fugaces.

3 - LES CLÉS POUR VIVRE UNE ABSTINENCE HEUREUSE


◊Tant que l'abstinence est un but, il faut rester égoïste et centré sur soi, pour ne pas brûler les étapes.
◊Attendre de terminer sa phase de reconstruction avant de vouloir aider les autres.
◊Eviter de remplacer une addiction par une autre (hyperactivité, etc…)
◊Solliciter l'aide des associations et du corps médical.
◊Assumer et revendiquer le fait d'être malade alcoolique.
◊Rester à l’affût de ses envies, de ses ambitions pour mieux se réaliser.
◊Etre fier de soi et de son parcours. Gagner en amour-propre.
◊Apprendre à gérer et à maîtriser ses émotions (attention les émotions positives sont tout aussi dangereuses que les émotions négatives).
◊Ne jamais oublier car l'oubli est le premier pas vers la rechute.
◊S'ouvrir sur la vie et sur les autres…

 

Bientôt vingt ans que je chemine sur le chemin de l'abstinence et j'y rencontre beaucoup de similitude avec le Tour de France cycliste.
Souvent, je la vis tranquille, bien planqué au beau milieu du peloton, car mieux vaut garder ses forces et ne pas jouer l'échappée solitaire, juste pour faire le beau et montrer le maillot.
Savoir rester humble et préserver ses forces pour tenir dans la durée est une des clés de la réussite.
Mon but n'est pas de gagner un jour pour ensuite abandonner car je veux aller au bout du bout.
Si certaines étapes sont faciles et pépères, d'autres sont parfois plus agitées, avec des attaques : là, c'est parfois mon équipe de Vie Libre qui roule pour moi et me ramène au train car les collègues y sont toujours disponibles pour aider, conseiller et rassurer. Dans les étapes difficiles, leur soutien est permanent et lors des incidents de vie (décès, galères en tous genres, etc...) comme de course (crevaisons, sauts de chaîne, etc…) ils m'entourent et deviennent ma garde rapprochée.
Il y a des jours où je me sens en pleine bourre : rien ne m'arrête, ça roule tout seul, mais c'est alors qu'il faut rester prudent et en garder sous la pédale pour le lendemain. En effet, il y a aussi des jours plus sombres où les jambes et la tête sont lourdes, où tout nous pèse avec des remises en cause, le blues, les coups de mou, alors il faut taper dans la réserve et appeler les copains à la rescousse pour ne pas lâcher prise.
Tenir vaille que vaille !
Je ne suis pas meilleur coureur que les autres et je n'ai pas un potentiel physique ou psychique extraordinaire, sinon je n'aurais jamais été malade alcoolique. Je ne suis qu'un homme ordinaire, n'ayant pour force que l'écoute et l'amitié mais j'ai appris à rester humble, à m'économiser pour viser le long terme, à m'entourer et à utiliser toutes les alliances possibles pour faciliter les choses.
S'ouvrir sur la vie, s'ouvrir sur les autres et sourire aux soucis qui se font plus petits !

Mise à jour le Vendredi, 07 Décembre 2012 16:07