Groupe Interalcool Rhône Alpes

réfléchit, échange, publie...

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille

Lacroix-Cormier - Urgences

Imprimer PDF

"Addictologie et urgenceS"

Dr Pascale Lacroix-Cormier, médecin de l’équipe mobile du Réseau Rue/Hôpital ; expérience de 8 ans en tant que médecin urgentiste aux hôpitaux de la Croix-Rousse et St Joseph-St Luc

 

BREVE PRESENTATION

Je suis médecin généraliste depuis plus de 18 ans.
J’ai découvert l’alcoologie lors de mon premier stage d’interne au CHG de Roanne dans le service de médecine interne du Dr Malhuret. Ce service possédait une unité d’alcoologie pour des sevrages alcool.
Intéressée par ce domaine que je méconnaissais totalement et qui ne nous était pas enseignée en faculté de médecine, j’ai fait un diplôme universitaire d’alcoologie à Lyon et finalement présenté ma thèse sur le sujet suivant : la prise en charge du malade alcoolique par le médecin généraliste en fonction de son vécu personnel, professionnel et familial.

C’est après ma thèse que Michel Kairo m’a proposé via une amie commune, de venir au Groupe Interalcool. Je crois que cela fait 15 ans maintenant !
J’ai travaillé dans deux services d’urgences lyonnais pendant près de 8 ans : au SMU de St Joseph-St Luc, un peu à N1 à HEH et plus de 6 ans au SAU de l'hôpital de la Croix Rousse qui se créait. J’ai également eu, à cette époque, une activité de médecin du sport.
Fin 2001, 4 enfants plus tard, je décidais de quitter les urgences pour d’autres horizons : l’équipe mobile du RSRH : nous avons un statut de PASS mobile c'est-à-dire que nous sommes une équipe médico-sociale d’accompagnement vers le soin des personnes en très grande précarité. Nous sommes rattachés à St Joseph-St Luc.
Je suis donc passée d’une médecine hautement technique, rapide et efficace à une médecine dite sociale, où prendre le temps compte et où l’obligation de résultats n’est plus la priorité. C’est un travail de création ou de reconstruction du lien (à l’autre) avec une population qui n’en a pas ou plus, un travail où le "prendre soin" espère amener un jour, si le patient en est d’accord, un projet de soin.

Travailler sur addictologie et urgences, c’est parcourir de nouveau mes deux vies professionnelles et relire à distance les rapports au temps, à la temporalité et à ma propre définition de l’urgence, des urgences et des urgences en addictologie.

L’URGENCE, LES URGENCES

En grec "urgeus" : pressé.
Malgré des réflexions séculaires (en effet, Hippocrate essayait déjà au Vème siècle avant JC de définir l’urgence…), il est intéressant d’en rechercher la définition médicale et/ou administrative.
Je crois qu’il est licite de définir l’urgence comme la perception d’une situation empirant ou susceptible de le faire sans intervention médicale ou même avec !
L’appréciation de l’urgence est instantanée et appartient autant à la victime qu’au soignant.
Quelques chiffres : depuis les années 2000, les services d’urgences hospitaliers ont accueilli plus de 10 millions de patients et les centres ont régulé plus de 11 millions d’appels.
Le concept d’urgence est très hétérogène et peut s’expliquer par la variation de quatre critères principaux :

Flux de situations considérées comme urgentes : dans les services d’urgences, l’IAO côte le degré de gravité de la pathologie suspectée à l’arrivée du patient et ainsi détermine l’ordre de passage des patients,
Type de pathologie rencontrée :
-    Pathologie médicale : urgence vraie, urgence ressentie.
-    Pathologie médico-sociale : Personnes âgées, précarité, addiction, détresse psychologique.
La nécessité de prodiguer des soins techniques de qualité avec précocité.
Faible pourcentage de détresse grave aux urgences.
L’intervention d’un service mobile (SAMU, Pompiers), la proximité de matériel ou /et de structures adaptés à la situation (plateau médico-technique)
Les situations urgentes sont souvent d’une grande complexité : la technicité, les méthodes de soin vis-à-vis du pronostic vital, laissent une grande part à la composante purement technique de la prise en charge de la situation et efface souvent le caractère unique de chacune d’elles.
D’autre part, la dimension socio-économique de l’urgence ne doit pas être oubliée : c’est le propre de nos sociétés occidentales de donner une importance considérable à l’urgence et à sa prise en charge. Ce phénomène est largement amplifié par les médias.
Pour certains, vont et sont adressés aux urgences, tout ce qui dérange et encombre : résolution de tous problèmes médicaux, psychiatriques et sociaux. Mais ceci a un coût non négligeable dans la gestion économique de la santé.

LE TEMPS, LA TEMPORALITE

La temporalité peut être définie par le caractère de ce qui existe dans le temps.
Le caractère irréversible du temps qui passe lui donne une valeur particulière y compris pécuniaire : "le temps, c’est de l’argent".
Le temps est une ressource naturelle non renouvelable où la notion de durabilité a pris la place de soutenabilité. Il est à noter que l’être humain est le seul être vivant à regretter le passé et à espérer en l’avenir.

La temporalité a un usage diversifié selon :
-   sa finalité : datation (repérage dans le temps, gestion des horaires…) regard privilégié sur le passé, le présent et le futur et usage du temps pour agir.
-   selon son domaine d’application : grande variation selon le domaine où l’on se situe : astronomie, géologie, archéologie, histoire, géopolitique, informatique, communication, sciences et médecine.
La temporalité a un usage différent selon les civilisations et les époques : dans certaines langues, la grammaire ignore la conjugaison au futur et au passé.

ET L’ADDICTOLOGIE DANS TOUT CA ?

Aux urgences, il y a le cadre des urgences : un cadre avec ses codes parfois déroutants qui mettent en jeu différentes composantes.
-    l’attente et la patience du malade appelé "patient".
-    une temporalité différente de celle de la prise en charge en addictologie.
-    urgence addictologique : urgence psycho-sociale  par opposition aux vraies urgences avec le geste technique qui sauve. "Je guéris" par opposition à "je soigne" ou "je prends soin".
-    l’urgentiste : peu intéressé globalement par ce type de prise en charge de santé publique, psycho-sociale : avis psychiatre, avis assistante sociale….


La prise en charge addictologique aux urgences

•   Les urgences addictologiques :
Intoxication aiguë grave.
Overdose.
Syndrome de manque : préDT, manque en opiacés…
Perception d’une rechute imminente.

•    Les urgences somatiques en lien avec une addiction :
Hémorragie digestive.
Pancréatite aiguë.
Hépatite alcoolique aiguë.
AVP, Poly-traumatologie (dont neurologique : HED, HSD).
Infectieuses : abcès, endocardite, complications graves de VIH ou VHC…

•   Les urgences liées à la prise de produit
Troubles du comportement, agitation, agressivité.
Etat maniaque, état délirant.
Tentative de suicide.

•   Les urgences sociales
Grande précarité, SDF.
Précarité affective, sociale, professionnelle.
Cumul de pertes (logement, emploi, conjoint, réseau social et amical…).

Parfois, ces urgences ne sont pas de vraies urgences mais sont ressenties comme telles par :
•    Le patient,
•    Le conjoint, la famille,
•    Le travailleur social,
•    L’employeur,
•    La justice…

Dans tous les cas, la consultation en urgence et aux urgences a pour but de préserver l’intégrité physique et psychique du patient.

Quid de la demande de sevrage aux urgences ? La demande puis la proposition de sevrage ne me semble pas complètement légitime aux urgences dans le sens où le patient doit pouvoir, en urgence, s’engager dans un travail long et coûteux émotionnellement.
Il ne faut pas pour autant dire NON absolument à toute demande de sevrage en urgence car pour certains patients, venir aux urgences est la seule manière d’entrer dans le soin : préserver l’alliance thérapeutique et discuter du sevrage en accord avec la patient : faire avec lui, pour lui et non à côté de lui ou à sa place, entraîner une prise de conscience des pertes liées au comportement addictif, des conséquences de ce comportement et de l’addiction sur sa vie et sa santé me paraît un bon préambule.

Est-il donc urgent d’attendre ? Olivier Lejeune va maintenant aborder ce sujet avec vous.
"Qui a le temps a la vie", dit-on.

Cervantes disait aussi : "il faut donner du temps au temps"
Beaucoup de nos écrivains ont écrit sur le temps : pour conclure, je vous confierai cette phrase de Paul Morand que j’affectionne, et qui reste à méditer dans nos sociétés où tout va vite: "Que de temps perdu à vouloir en gagner".

Mise à jour le Vendredi, 04 Janvier 2013 15:20