Groupe Interalcool Rhône Alpes

réfléchit, échange, publie...

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille

Munier - groupe...

Imprimer PDF

L’approche groupale en addictologie

Michèle Munier, psychologue, Clinique Les Bruyères à Létra

Suivi d'une Table ronde

PERTINENCE ET SPECIFICITE DES GROUPES DE PAROLE DANS LA PRISE EN CHARGE DES ADDICTIONS

La thérapie de groupe

Peu d'études et d'évaluations de cette prise en charge ont été réalisées, et, d’un point de vue épidémiologique, il n'a pas été mis en évidence d'efficacité particulière de cette technique par comparaison avec d'autres dans le traitement de l'addiction, comme le montre l’expertise collective de l'Inserm de 2004 sur l'efficacité des psychothérapies, et la conférence de consensus "modalités de la prise en charge du patient alcoolodépendant après sevrage", 2001.

D’un point de vue clinique en revanche, beaucoup d’auteurs ont écrit sur l’intérêt du groupe dans la prise en charge des addictions, (Descombey, Vachon France, Monjauze, Gomez,), et nous pouvons faire un premier constat : il semble y avoir un accord professionnel pour en reconnaître l'intérêt thérapeutique, la plupart des institutions de soins les proposent, avec des résultats variables, souvent affichés comme prometteurs mais rarement évalués.

Les thérapies de groupes sont présentes à toutes les étapes de la prise en charge des addictions, comme un élément fondamental dans le traitement, souvent empiriquement, sans qu'il soit possible de repérer exactement les références théoriques qui sous tendent les pratiques, et que l’on se contente souvent d’un pragmatique "ça marche" .

Il est cependant remarquable de constater que autant la littérature sur la thérapie de groupe dans la prise en charge des addictions est importante en ce qui concerne l’alcoolisme, et dans une moindre mesure les troubles des conduites alimentaires, le tabac, ou les addictions sans drogues, il n’existe que très peu de références bibliographiques sur la prise en charge groupale des toxicomanes, qui reste très peu expérimentée, sauf en résidentiel.

Les théoriciens du groupe, comme Kaes et Anzieu, ont décrit et conceptualisé les différents types de groupe, et les processus à l’oeuvre dans le cadre groupal et plusieurs auteurs cliniciens ont élaboré sur leur applications pratiques dans le cadre du soin, notamment des addictions à partir des hypothèses de la psychogenèse de l’addiction ; (Mc Douglall, Jeammet, Darcourt, Monjauze, pour ne citer qu’eux)

LES DIFFERENTS TYPES DE GROUPE

On distinguera :

Les groupes d’entraide, ou "auto-support" sur le modèle des Alcooliques Anonymes, Narcotiques Anonymes, Gamblers Anonymes où le discours a souvent une fonction compensatrice et conjuratoire, discours collectif et anonyme qui préserve le narcissisme encore fragile de la confrontation à l'altérité, et prothèse identitaire transitoire indispensable dans la reconstruction narcissique.

Les groupes de discussion et d’accompagnement sans optique thérapeutique mais qui de fait, a des effets thérapeutiques (groupe moins structuré, ouvert où l’on vient parler de ses problèmes et où l’animateur n’est pas forcément psychothérapeute).

Les groupes de travail, qui se structurent autour d'une tache collective ou l'accomplissement d'un projet commun, et où prédomine le processus secondaire que l’on retrouve dans beaucoup d’institutions, y compris pour toxicomanes en résidentiel.

Et les groupes thérapeutiques qui poursuivent une intentionnalité thérapeutique de transformation de certains processus psychiques et proposent un espace d'expérience permettant d'activer ce processus de transformation.

Ces groupes nécessitent des thérapeutes, formés aux techniques utilisées, aux processus groupaux et à la psychopathologie des addictions, tous ses éléments devant être pris en compte pour une efficience maximale.

Parmi ceux-ci, Les professionnels s’accordent à dire que tous ces types de groupe, ont leur place à chaque étape de l’évolution du patient, (prise de conscience, rupture avec le comportement d’addiction, stabilisation de la conduite, lien avec son histoire personnelle, maintien de la vigilance ...) en sachant que, même si la relation thérapeutique commence dès la première rencontre, le travail psychothérapique à proprement parler ne commencera qu'après l'arrêt de l’intoxication, le syndrome toxique et de dépendance n'étant pas propice au travail sur soi. (Vachon -France).

Ils sont par ailleurs complémentaires, et leur efficacité en est renforcée, l'étude de Denis et Page (2003) sur le suivi psychothérapique associé à l'appartenance à un groupe d'entraide en est une illustration.

Comme l’a écrit Kaes, le dénominateur commun est le cadre groupal dont l’intérêt dans le traitement des addictions est lié aux propriétés de l’Appareil psychique groupal (APG) et les différences sont plutôt liées à la diversité des cadres et des dispositifs thérapeutiques utilisés.

En addictologie, toutes les techniques ont leur valeur, et sont complémentaires dans leur approche (psychothérapie analytique, approche systémique, PNL, AT, TCC, qui prennent une place de plus en plus centrale actuellement… avec ou sans médiations) et les règles souvent communes (assiduité, verbalisation, abstinence, discrétion.

Comme le souligne Descombey, (1999) l’important est la cohérence entre :

¨   Le cadre conceptuel,

¨   L’intentionnalité du projet thérapeutique,

¨   Les processus que l’on cherche à favoriser (motivation au changement, travail sur le comportement, travail sur la pathologie du lien, sur les processus de socialisation et habiletés relationnelles, les aménagements secondaires partiels communs aux addictions, et la relance de l’élaboration psychique, ou sur les mécanismes de défense et l’élaboration des conflits)

¨   La population accueillie, où il semble que l’homogénéité du groupe soit un facteur important : soit groupe construit autour d’un produit ou d’un comportement. D’où les difficultés des groupes mixtes (addictions /troubles de l’humeur, et dans une moindre mesure alcooliques/toxicomanes/troubles des comportements alimentaires par exemple). Dans ce cas, les identifications sont susceptibles de jouer un rôle plus de défense que de moteur dans la dynamique et compliquent la tache du thérapeute sauf si l’on interrompt le système d’identifications réciproques au profit d’un travail sur la conduite de dépendance, puis le sens et la fonction de la conduite dans l’économie psychique. (Jeammet 1997).

¨   Les critères d’inclusions doivent aussi tenir compte de l’état somato-psychique des patients et de leurs capacités cognitives. - et le dispositif (qui intègre des facteurs aussi différents que les contraintes du cadre institutionnel, le nombre et la formation des thérapeutes, le nombre de patients, groupes fermés ou ouverts, le temps et la fréquence, le lieu, le matériel et les techniques).

Le dispositif -cadre représente les règles et les contraintes pour que le processus élaboratif puisse avoir lieu.

L’intentionnalité thérapeutique

Les hypothèses psychogénétiques et l’approche économique de l’addiction mettent en évidence une défaillance des phénomènes transitionnels. Un déficit de la fonction symbolique, du processus de différenciation, et des failles narcissiques précoces avec un fonctionnement clivé et un accrochage à l’objet réel au détriment de l’objet "subtil" , condamne le sujet à la répétition inlassable pour faire face à son angoisse. (Darcourt, Jeammet, Mac Dougall, Monjauze).

L’objet d’addiction est un objet concret extérieur incorporé et détruit, en place d’un objet subtil intériorisé, qui fait du sujet addicté un être de besoin et non un sujet désirant. Défaillance de l’imaginaire et de la fonction symbolique au profit d’une compulsion de répétition dans le registre comportemental.

Aliénation à un objet et relation d’emprise sur l’objet et non plus satisfaction hallucination fantasmatique, l’intentionnalité thérapeutique est donc de permettre la relance des processus secondaires court-circuité par la circularité de l’addiction.

La démarche addictive constitue un court circuit de la pensée, de l'élaboration et de la fantasmatisation. L’objectif thérapeutique final est, par la parole, de relancer le travail du préconscient, le travail d’élaboration et de liaison, afin de sortir de la compulsion de répétition et du registre comportemental, du passage à l'acte direct dans l'addiction, dans la réalité, des conflits psychiques évités et déniés.

Primat de l’agir, fuite vers des investissements massifs, indifférenciés, a-conflictuels, non intégration de l’ambivalence, difficultés identificatoires, et déficit de l’intériorisation au profit de l’introjection. : Pas d’aménagements possibles de la réalité "le mieux possible" . On est dans le "tout ou rien" opposition moi/idéal idéal du moi La plupart des auteurs, (Monjauze, Desbombey, Gomez, Jeammet) s'accordent à dire qu'il est prioritaire de renforcer en premier lieu la part préservée du sujet pour permettre la sédation des angoisses, le sujet pouvant alors faire le lien entre sa conduite addictive et le trauma psychique.

Il s'agit d'obtenir avant tout une réfection narcissique faute de quoi aucune thérapie individuelle ne pourra aller plus loin : "sans l’objet je ne suis rien" , sentiment de vide, d’inexistence douloureuse.

Cette première approche vise à maintenir la stabilisation de la conduite addictive, la reprise de la communication, et l'amélioration des capacités relationnelles.

La résolution du syndrome a-motivationnel, facilite la relance des processus psychiques secondaires, pour des sujets en panne dans leur symbolisation primaire grâce à un processus de transformation des contenus psychiques, et notamment des éléments bêta en éléments alpha. (Jeammet).

Les affects vécus comme traumatiques, au sens de l’incapacité d’élaboration de l’afflux d’excitation pouvant être métabolisés en appui sur la fonction contenante et pare excitation du groupe.

Le mode d’entrée dans la dynamique de groupe est donc de partir de là où en sont les patients (le vécu de la dépendance) avec un ancrage dans la réalité et un travail sur les comportements toxicomaniaques.

Ce qui caractérise l’approche addictive, c’est ce que Bergeret appelle : "la rupture", véritable clivage fonctionnel du Moi, entre un moi drogue et un moi non-drogue.

En effet, c’est de ce clivage fonctionnel, qui naît de la dépendance, que dépendra la majeure partie de la difficulté d’observance thérapeutique et de continuité relationnelle soignante.

les troubles psycho comportementaux secondaires qui en découlent : importance du registre comportemental, déni, dissociation adaptative, clivage, régression psychique vers des mécanismes de défenses archaïques, dépressivité, intolérance aux frustrations, déficit en expérience et en satisfaction.

Pour le sujet addicté, la conduite addictive ou le produit sont investis comme un étayage puissant pour le moi, aussi, pour y renoncer, il faut pouvoir s’appuyer sur un étayage autre, aussi puissant, en attendant de pouvoir fonctionner de façon plus autonome.

Pour KAES le développement psychique du nourrisson se fait par étayages multiples, "l’histoire du sujet est celle de ses étayages" (les personnes les institutions et les situations).

Parmi tous ces étayages on distingue quatre étayages fondamentaux :

• Le corps.

• La mère.

• L'autre, le tiers, le groupe.

• Le moi.

A l’étape de la rupture avec le produit, pour des patients en désétayage massif et en détresse psychique, il semble que le soin, se doit répondre sur ces 4 points :

POURQUOI LE GROUPE

Face au recours prévalant à l’agir et au corps, l’intentionnalité thérapeutique est donc de permettre la relance des processus secondaires, court-circuitée par la circularité de l’addiction

Face à la pathologie du lien, aménager la relation thérapeutique pour qu’elle ne se pervertisse pas sur le mode addictif avec le risque d’emprise et de rupture ?

Comment situer le projet de soin comme un accompagnement du processus de séparation individuation en panne ?

Les conséquences thérapeutiques

. Psychothérapie synchronique et diachronique.

. Approche comportementaliste et associative.

. Intérêt de la psychothérapie de groupe.

Le groupe pourrait assurer ce passage, cette fonction transitionnelle entre un objet d'étayage externe et un espace intrapsychique, introduisant la parole et la distance (Gomez, 2000) et permettant d’aménager la distance relationnelle, un étayage transitionnel, un "moi -peau" provisoire" pour un sujet qui abandonne son seul moyen de rétablir son homéostasie interne, et est confronté aux angoisses d'anéantissement.

Le cadre groupal permet :

¨   Le travail sur les mécanismes adaptatifs issus du clivage du moi en moi/drogue et moi /non drogue en appui sur le moment idéologique.

¨   Le travail sur aménagements économiques secondaires partiels aux addictions.

¨   La relance du préconscient et des processus secondaires.

L’intérêt thérapeutique du groupe de parole dans la relance des processus psychiques

La pertinence et la spécificité du groupe dans la prise en charge des addictions sont liées aux propriétés de l’Appareil Psychique Groupal et du cadre groupal, décrit dans les travaux de R. KAES et D. ANZIEU.

Caractéristiques de l’Appareil Psychique Groupal

Décrit par Kaës, l'APG a des caractéristiques indépendantes de la nature des participants, et quel que soit le type, la nature et la taille du groupe, on retrouvera les mêmes processus groupaux.

Véritable "appareil à penser les pensées", il est le résultat de l’intrapsychique de chacun et de la vie propre du groupe, il ne se résume pas à la somme des parties qui le constitue mais constitue une entité indépendante avec un fonctionnement qui lui est propre.

Cet espace commun permet le balancement entre l’activité propre du sujet (espace intrapsychique individuel -je- "ça m’appartient en propre") et l’intersubjectivité groupale, le groupe prenant alors la place de sujet ("nous").

On passe ainsi de :

¨   l’isomorphie : semblable, où l’altérité n’a pas sa place "tous pareils". Période d’indifférenciation, ou le groupe s'individualise au dépend de l'identité de chaque membre, à

¨   l’homomorphie : où l’altérité reprend sa place "semblable mais différent" . Le sujet se différencie, tout en reconnaissant l’appartenance au groupe, et expérimente différents mode de relations aux autres (paternelle, maternelle, fraternelle, conflits, identifications, alliances...), et une parole personnelle peut exister.

Il ne s’agit pas d’une thérapie de groupe mais d’une thérapie dans et par le groupe, ou il va être possible de s'appuyer sur les fonctions du cadre et de l’APG pour d’une thérapie focalisée sur le comportement addictif, et accéder ensuite à une élaboration secondaire de la conduite.

Fonction du cadre groupal dans la problématique addictive

Le cadre groupal doit fonctionner comme une structure d'étayage de l'activité symbolisante en permettant la liaison et la transformation des éléments psychiques qui reviendront dans l'espace psychique individuel après transformation par le processus groupal.

Dans la prise en charge des addictions ces fonctions vont permettre la relance des processus secondaires, par un travail spécifique sur les aménagements économiques partiels secondaires à l’oeuvre dans les conduites addictives (Jeammet, Monjauze, Mac Dougall).

Fonction limitante : le cadre est garant de l’espace psychique individuel ou groupal. Il délimite l’interne et l’externe par une enveloppe protectrice, et assure la permanence de l'objet, réassurance face aux alternances de paradis fusionnel apaisant tout besoin et d’inexistence douloureuse de du manque.

Fonction de contenance et pare excitation : grâce à l’"enveloppe groupale" qui double le moi individuel d’une enveloppe intersubjective, plus souple, et qui, par sa stabilité, contient les objets internes et les processus qui se déroulent pendant la séance il permet de rendre supportable la confrontation à la réalité interne et externe, déniée, évitée dans le recours à l’addiction. : Filet de lien, le groupe a une fonction de régulateur et amortit les projections de chacun en mettant à distance les aspects traumatiques. Il permet d’expérimenter la relation en toute sécurité. (Supporter l’attaque du lien sans la rupture).Il y a une limite à la pulsion, et la pulsion peut trouver alors une autre voie d'expression que le passage à l'acte, la rupture....

Effet renarcissisant et fonction d’étayage : le cadre groupal permet un appui anaclitique sur l’autre.

L’effet d’illusion groupale renforce le sentiment d’appartenance ; il favorise la déculpabilisation par l’identification, la réassurance narcissique et l'accès à une image de soi plus valorisée.

C’est le temps du "on est bien ensemble".

puis du "on fait bien ensemble" qui renvoie à la fonction de transformation.

Fonction de transformation : chacun prête au groupe "son appareil à penser les pensées" (préconscient) : cela produit un effet de relance : le premier s’exprime, le second reprend, le troisième interprète …… et le quatrième conteste…"le moulin de l'APG transforme le grain de chacun en farine" , qui pourra ensuite être utilisée par chacun pour construire ses propres représentations.

Chacun progresse ainsi par prises de conscience successives.

Fonction de transitionnalité et de coétayage : il est lié à la spatialité du groupe ; pour les sujets dépendants, le face à face est souvent vécu comme persécutoire, lieu d’affrontement narcissique avec le thérapeute : grâce à la disfraction du transfert, le groupe évite une spécularité trop massive (qui pourrait mettre l’enveloppe narcissique en danger) et le transfert massif, indifférencié et idéalisant.

Une idée peut être traitée en devenant l’objet du groupe.

C’est la notion de bonne distance qui permet de s’exclure sans rompre où de rompre sans s’exclure.

Cela laisse libre choix aux mécanismes de défense et permet l’interprétation par la "bande". ("En quoi ce qui concerne le groupe m’appartient à moi ?")

Cela permet à chacun de se réapproprier ou pas ce qui est exprimé par les autres. (Fonction de différenciation et d'organisation).

Il est possible d'éviter ainsi l'écueil de la relation d'emprise, le collage, l'affrontement ....biais relationnels classique dans la prise en charge des sujets addicts et rendre tolérable l’appétence objectale, en évitant le risque de la rupture thérapeutique.

Le patient n’est pas directement sur le devant de la scène et le thérapeute ne se confronte pas directement au déni et sort ainsi du rapport de force, et du risque d’être entraîné contre-transférentiellement du coté de l’agir, de l’opératoire, et des contre attitudes négatives .Il peut ainsi faire preuve d’empathie : ni séducteur, ni incestueux, ni rejetant, ni hyper protecteur, ni contradictoire, a l’inverse de ce qui a souvent été vécu dans l’histoire du patient.

Effet de psychodramatisation : Les conflits sont mis en forme, en scène dans l'espace groupal et apparaît une mise en sens de la réalité psychique individuelle. Avec une possibilité de prise de conscience des éléments inconscients du vécu émotionnel propre à chacun par l’interprétation des interactions, ou ce qui se vit est nommé, et l’expérimentation d’autres modalités relationnelles pour le thérapeute.

Fonction d'orientation des conduites : "les fonctions de l'APG sont, in fine, ordonnées à l'accomplissement du désir inconscient des sujets, ou destinées à les en défendre. En tant que tel, l'APG oriente, canalise, gère, représente les conduites favorables à sa constance et à son équilibre, en suscitant des compromis avec les exigences propres à ses sujets constituants."(Kaes, 1993).

On voit bien ici l'intérêt du cadre groupal pour "le changement de norme" pour les conduites addictives et son maintien durable, notamment dans les groupes "Auto-Support" permettant une bonne adhésion et un maintien à long terme plus efficace de la nouvelle norme, qui n'est plus facteur d'exclusion mais d'appartenance sociale, et valeur identitaire.

Les différentes phases du groupe

Phase schizo-paranoïde : période initiale c’est le temps de la rencontre.

Le groupe provoque un remaniement identitaire, des angoisses archaïques et la menace d’une perte d’identité et d'éclatement des défenses (fantasmes qui font régresser le groupe à des phases archaïques, position schizoparanoïde et dépressive de M.Klein). Angoisses d’annihilation et de vide (silence), de morcellement (éclatement du groupe), vécu persécutoire de la parole ("je n’ai rien à dire"), et de la relation ("si ils croient que je vais leur raconter ma vie ! ")

C’est le règne du clivage et de la projection, de l’identification projective, classique du fonctionnement limite. Le mauvais objet c’est l’autre, le thérapeute, ou le sujet.

Le rôle du thérapeute, "neutre et bienveillant", ni surmoïque, ni indifférent, est de permettre de dépasser ce qui marque les difficultés d’ouverture du moi, de faire souvent "l'avance de la parole", nommer les affects, assurant ainsi la fonction maternelle "alpha" soutenir une pensée "méta" et sortir d’un système perceptif parasité par l’émergence des processus primaires.

Cette phase implique interactivité et soutien de la part du thérapeute qui utilise la transitionnalité du groupe pour créer l’alliance thérapeutique, surmonter la destructivité liée au clivage (externe par l’agressivité ou interne par la dépression) qui compromet la continuité du lien, et entrer dans la phase suivante.

Dans le temps de l’appartenance on distingue :

Le moment fantasmatique : porte d’entrée dans le temps de l’appartenance qui doit donner à chacun le désir de s'investir dans le travail groupal.

Temps médiateur entre la réalité intrapsychique et l’altérité inquiétante que représente la réalité externe (l’objet groupe et chacun des participants) : il s’agit de trouver un point commun qui donne une assise et une ébauche à l’APG. Dans l’expérience addictive, chacun reconnaît chez l’autre sa propre expérience, et le moment fantasmatique débouche sur le moment idéologique.

Le moment idéologique "tous frères".

Elle se caractérise par la phase d’illusion groupale (isomorphie) qui est en fait une défense hypomaniaque contre les angoisses de la phase précédente et renvoie à la toute-puissance narcissique.

Face à la menace contre le narcissisme individuel, l'illusion groupale se défend par la constitution d'un narcissisme groupal à partir des identifications réciproques.

Cette phase voit l’apparition d’une activité idéologique qui cherche à supprimer toute différence individuelle pour exister en tant que groupe, d’une pensée commune où le mauvais objet est projeté à l’extérieur (déni, projection clivage) mais cette fois pour protéger la cohérence de l’appareil psychique groupal et d’un repli narcissique ("on est les meilleurs, on est tous pareils, on se reconnaît", "les autres ne nous comprennent pas", "on est un bon groupe.").C'est le temps du "on est bien ensemble."

Le moi idéal groupal se substitue au moi individuel (fonctionnement idéalisé) et la réalité est évacuée au profit d’une représentation commune qui nie les différences individuelles mais qui permet l'accès au travail sur les comportements de dépendance. Travail motivationnel sur l’ambivalence, prise de conscience et intégrations des mécanismes communs et reconnaissance par chacun de sa problématique addictive.

Cette phase mobilise aussi les énergies individuelles sur les objectifs communs plus élaborés que ceux visés par la conduite addictive, et renforce le sentiment de compétence pour réussir à les atteindre, avec souvent un sentiment d'euphorie et de toute puissance.

Le moment figuratif transitionnel : "oui, mais tous différents" .

C’est la phase de différenciation mais aussi la phase de pensée et de travail du préconscient groupal grâce à une réorganisation des identifications à partir des identifications spéculaires.

Le groupe peut exister avec des individus différenciés fonctionnant de façon homomorphe. Il présente alors des capacités d'entraide et de travail efficaces. Les solutions sont élaborées ensemble, en gardant à l'esprit que ce qui est découvert par le groupe lui-même, et non énoncé de l’extérieur comme loi, sera investit comme le plus efficace, et introjectées dans l'espace psychique individuel qui se construit par étayage sur le groupe.

Le groupe élabore (fonction "alpha") et avance en commun de manière transitionnelle par co-étayage, de façon plus différenciée et plus subjectivée que dans la phase précédente par le biais d’un début d’exploration des histoires de chacun, mais à partir de thèmes communs (le vécu toxicomaniaque, le mode d’entrée dans l’addiction, la fonction du produit) Chacun peut se positionner et prendre sa place de sujet dans l’interaction. (Phase du balancement entre le "nous" et le "je").

Dans cette phase on travaille sur la problématique essentiellement groupale à partir de thèmes communs, mais pour s’intéresser à l’individu, avec un accès à l'ambivalence et au renforcement du narcissisme individuel.

Il y a une interaction individu / groupe où les interventions sur le groupe produisent un effet sur chacun des membres et où une intervention sur l’individu a un impact sur le groupe.

Cette phase annonce et introduit la fin du groupe et l’apparition du moment de la séparation :

le moment mythopoïétique : "à chacun son manque, à chacun son histoire".

C’est le temps de la désillusion et de l’effondrement du mythe du groupe. Cette phase de dépression et de subjectivation introduit la phase de séparation où chacun repense à son histoire et retourne aux éléments de réalité.

C’est l’instant où l’espace psychique individuel se différencie de nouveau l’espace psychique groupal.

C’est le temps du deuil de l’objet groupe et le renoncement à la position idéologique : il permet l’accès à l’ambivalence et à une position de sujet différencié, ainsi qu’à une reprise d’une activité symbolique.

Elle s’accompagne souvent de peur, d’angoisse d’abandon, d’agressivité contre les thérapeutes ou l’institution, de frustration, de dépression, d’idéalisation, incapacité à vivre la séparation.

Angoisse massive avec risque de l’urgence de la réparation perceptive, et du besoin de l’objet pour de sentir exister et non pas désirant, objet toujours à disposition, maîtrisable, sans confrontation à l’altérité.

Pour survivre à la séparation il est important d’introjecter l’objet interne groupe qui devient alors partie prenante de l’Appareil Psychique Individuel (API) et qui permet d’expérimenter sa propre capacité à rêver, à penser, à être seul, dans un lien symbolique à l'autre, qui pourra éventuellement être réactivé soit de façon interne soit par un groupe réel.

C’est souvent dans l’après-coup que l’on peut repérer l’étape où sont parvenus les patients.

En effet dans la phase de travail groupal, les phases décrites sont le reflet de la maturation de l’appareil psychique groupal et non de chaque individu.

D’autant plus que dans le cadre d’un groupe en institution, la disfraction du transfert se produit aussi entre le groupe fermé et l’institution qui elle contient la partie la plus archaïque et la plus anaclitique ce qui favorise donc un transfert plus objectal et secondarisé dans le groupe, l’anaclitisme institutionnel dégageant des capacités de verbalisation.

Ce n’est donc qu’après la fin du groupe que l’on peut faire la part de secondarisation intégrée par le patient de celle rendue possible par l’anaclitisme sur l’institution.

Assurer la continuité des étayages

Cette étape nécessite une prise en compte de la pathologie du lien : l’objet vient colmater les failles narcissiques laissées par l'inadéquation de la relation avec les premiers objets par la contrainte d’un accrochage aux objets perceptifs externes en lieu et place de la satisfaction hallucinatoire du désir (Jeammet, Mc Dougall).

Dans l’addiction, c’est l’impossibilité d’introjection qui induit la contrainte de répétition. Les étayages multiples qui relaieront le groupe :

¨   (sur le corps (suivi médical),

¨   sur le moi (suivi psychologique),

¨   sur le groupe (groupe de parole, groupe auto support), vont aider à la séparation de part la permanence et la continuité du lien qu'ils offrent et permettent de maintenir une ouverture psychothérapique et d’élaborer et de dépasser la perte de l’étayage initial.

A cette phase, il y aura ceux qui chercheront un groupe dans un registre affectif et ceux qui chercheront un travail dans le groupe, travail d’individuation qui pourra se poursuivre dans un groupe plus psychothérapique dans un premier temps et évoluer par la suite vers un travail individuel.

LES LIMITES THERAPEUTIQUES DU GROUPE

¨   L'addiction au groupe

Elle se manifeste par l’incapacité à faire le deuil du groupe, de l’objet idéal, et induit le blocage dans la phase idéologique et de narcissisme groupal. On observe alors la répétition et la mise en acte dans le soin de la psychopathologie addictive (au groupe, au soignant ou à la référence permanente au produit perdu), qui signe l’insuffisance ou l'échec de l’élaboration psychique.

¨   L’anaclitisme affectif

Ou transfert de dépendance : il est préférable toutefois à l'addiction au toxique, et peut constituer un aménagement possible de la conduite de dépendance si le transfert n'est pas trop massif et indifférencié. Un des aspects du travail consiste à réduire la valeur symbolique du produit et à déplacer la symbolisation vers des objets plus élaborés et à embrasser toutes les préoccupations existentielles du sujet.

¨   le faux self

Dans la phase de travail groupal, le sujet peut choisir de parler par généralités, se fondant dans le discours groupal, qui transitoirement lui donne un fondement identitaire. Le discours est délié du moi, et on retrouve ici la dissociation adaptative entre le discours, la pensée et l’action, classique dans la phase de "rupture" décrit chez les toxicomanes, ou le moi clivé des alcooliques.

De plus, dans le groupe, il y a peu de place pour un discours nuancé pour des patients encore aux prises avec l’ambivalence, et la reconsommation du produit est difficilement verbalisable, ou alors dans "l’après coup" lorsque le patient est a nouveau stabilisé, car elle s’oppose à la "norme groupal".

¨   la passivité

Les sujets viennent au sein du groupe chercher une réassurance affective, souvent dans la répétition du même discours, des mêmes jeux scénariques. La parole se fait alors pauvre et répétitive.

¨   Contre- indications

Surtout liées à la pathologie somatique ou psychique de certains patients, à la motivation pour la rupture avec les comportements toxicomaniaques pas suffisamment construite, et au constat de répétition stérile pour un même patient..

CONCLUSION

Grâce aux mécanismes de pensée groupale, et aux propriétés de l’APG, par stimulation et effet miroir, pour relancer les processus secondaires, on parle de l’acte (comportement) ou de l’objet (produit), on s’appuie dessus pour ouvrir sur un espace psychothérapique plus large et évoluer vers l’expression de problématiques plus subjectives (passer du "on" au "nous" au "je")

Après cette phase, le travail du groupe, dans les phases figuratives transitionnelles et mythopoïétiques doit permettre la liaison entre le vécu émotionnel et la conduite addictive : par une prise de conscience des affects déniés, évités, banalisés, et l’expérimentation d’une voie d’élaboration psychique par une aide à l’expression des conflits internes et la verbalisation des actions.

Le dispositif représente les règles, les contraintes qui doivent être respectées pour que la symbolisation puisse avoir lieu. Le cadre permet le processus et l’intentionnalité du thérapeute est donc de susciter l’associatif par la médiation d’un travail cognitif, afin de permettre aux membres du groupe de ressentir l’effet positif de la verbalisation après une phrase médiatisée autour du vécu toxicomaniaque.

L’opposition entre le cognitif et l’associatif est un faux problème : le toxicomane est l’objet d'une double compulsion, une compulsion somatique et une compulsion psychique inconsciente.

Il s’agit de déculpabiliser par le cognitif (" tous frères") et responsabiliser par l’associatif ("tous frères, mais tous différents" "à chacun ses manques"). Le cognitif seul ne marche pas, l’associatif seul n’est pas dans la réalité de la dépendance, et la complémentarité des approches est nécessaire. (Jeammet, Vachon France, Gomez, Monjauze)

De ce point de vue, le groupe représente un aménagement, une médiatisation, une ouverture du sujet à son monde interne, l’initialisation d’un travail individuel qui permet de ne pas rester sur un clivage, (déni soit de la dépendance somato-psychique, soit des conflits psychiques), un réaménagement des liens entre emprise et rupture, et un accompagnement des processus de séparation/individuation.

BIBLIOGRAPHIE

ANZIEU.D ; "le groupe et l’inconscient", Paris, Ed Dunod, 1984

DANIS.D, GACHE. P., "Psychothérapie et groupes d'entraide dans le traitement des addictions : Duos ou duel" , in revue Alcoologie et Addictologie , Vol. 25, n° 1, Paris, Ed Dunod, 2004

BOISSET.B., LEVENTAL.J.Y., "Utilisation de psychothérapies brèves de groupe chez l'alcoolodépendant : étude portant sur 390 patients, 1984-1999" in revue Alcoologie et Addictologie ,Vol. 22, n° 1, 2000

DARCOURT.J., 1994, "Economie psychique et dépendance" , in Dépendances et conduites de dépendance, Paris, Ed Masson

DESCOMBEY, J.P., Précis d’alcoologie clinique, Paris, Ed Dunod, 1994, p 134-146

GOMEZ, H., "Le groupe de parole, médiateur du lien thérapeutique" , in revue Alcoologie et Addictologie, Vol. 22, n°2, 2000

GOMEZ, H., Soigner l’alcoolique, Paris, Ed.Dunod, 1994, p 51-66

HANESSE, B., "Quels sont les acteurs et les moyens de l'accompagnement ?" in revue Alcoologie et Addictologie , Vol. 23, n° 2, 2001/6

JEAMMET, P., "Les conduites addictives, un pansement pour la psyché", in Les addictions, sous la direction de LE POULICHET (S.), Paris, Ed PUF, 2002, p 93-107

KAES, R., Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Ed Dunod, 1993

LLIGONA, A., COSTA, S., GUAL, A., MONRAS, M., "Efficacité de la thérapie de groupe chez le patient alcoolodépendant", in revue Alcoologie et Addictologie , Vol. 22, n° 4, 2000

MC DOUGALL, J., "L’économie psychique de l’addiction", in Revue Française de Psychanalyse, Paris, PUF, vol.68, 2004

MONJAUZE, M., Comprendre et accompagner le patient alcoolique. , Coll. Des pensées et des actes en santé mentale, Paris, Press Editions, 2001 ? p153-167

MONJAUZE, M., La part alcoolique du soi, Coll.Psychismes., Paris, Ed Dunod, 1999, p 249-254

REYNAUD, M., PARQUE, P. J., LAGRUE, G., Les pratiques addictives, Paris : Ed Odile Jacob, 2000

VACHERET, C., Pratiquer les médiations en groupes thérapeutiques, Coll. Psychothérapies, Paris, Ed Dunod, 2002

VACHONFRANCE, G., "Les groupes de paroles et les autres thérapies de groupe", in revue Alcoologie et Addictologie,

Vol. 23, n° 2, 2001/6

VENISSE.J.L., BAILLY.D., Addictions : quels soins ? Paris, Ed Masson, 1997

AUDITION PUBLIQUE, "Abus, dépendance, polyconsommations : stratégies de soins", sous la direction de J.L Vénisse, in revue Alcoologie et Addictologie, vol 29, N° 4, 2007

RAPPORT ANAES, "Modalités d'accompagnement du sujet alcoolodépendant après un sevrage", Conférence de consensus, 7 et 8 mars 2001, Paris, ANAES, 2001/03/7-8, p 42-51

RAPPORT INSERM, Psychothérapie, trois approches évaluées, Paris, Centre d’Expertise collective, 2004

Mise à jour le Lundi, 21 Avril 2014 14:59