La thérapie familiale systémique, une éthique relationnelle : questions et interventions en alcoologie
Cécile Planche, psychologue clinicienne
♦ Historique de la vision du symptôme : de l’individuel au systémique.
♦ Freud et la psychanalyse.
♦ Les cognitivo-comportementalistes (Eyzenck, Cottraux, Wolpe)
♦ Les humanistes (Carl Rogers ; analyse transactionnelle : Berne ; Gestalt : Perls ; Bioénergie : Reich).
♦ Les systémiciens (Ecole de Palo Alto : Bateson, Erickson, Haley, Watzlawick).
♦ Historique de la thérapie familiale
« La thérapie familiale apprivoisée » Claude Villeneuve, Angels Toharia Presses de l’Université de Montréal ERES Relations, 1997
♦ L’épistémologie systémique.
♦ Indications d’intervention systémique.
♦ Différentes approches selon les écoles et différentes techniques.
♦ Approche familiale en alcoologie.
♦ Les étapes du cycle familial.
Un thérapeute hors du commun : Milton Erickson,
Jay Haley, EPI, Desclée de Brouwer, 1984.
♦ Structure et dynamique familiale
Familles en thérapie, Salvador Minuchin,
Ed. Universitaires, 1983.
La guérison familiale, Salvador Minuchin, ESF, 1996.
Thérapie familiale structurale, principes de base, Barbara de Franck-lynch, ESF, 1986.
♦ Mythes familiaux et visions du monde
« Temps et mythe en psychothérapie familiale » Maurizio Andolfi, ESF, 1990.
♦ Approche clinique systémique en alcoologie :
Processus pré-thérapeutique envers l’entourage, conjoint, parent, ami ou collègue.
Le processus thérapeutique avec la famille et le patient.
La thérapie familiale : une éthique relationnelle
La thérapie familiale systémique a évolué de façon rapide au cours des soixante dernières années. C’est un mouvement qui a suscité beaucoup d’enthousiasme et qui a donné lieu à un foisonnement d’écoles différentes. Elle a connu aussi beaucoup de réactions négatives. Elle peut donner l’impression d’être un amalgame de notions et de techniques disparates, et il y a eu souvent confusion entre la conception systémique, les différentes approches, et les techniques utilisées.
La pensée individualiste domine dans notre monde occidental. Elle met au premier plan la responsabilité individuelle, et néglige de considérer l'interdépendance des problèmes psychologiques, héritière de la pensée psychanalytique qui s’intéresse au conflit intra-psychique. Mais l’approche systémique ne renie pas les apports psychanalytiques. Il y a peu de désaccords entre les psychanalystes et les thérapeutes familiaux. Les différences portent sur le cadre de référence théorique et sur les pratiques .
Historique de la vision du symptôme : de l’individuel au systémique
Le développement des sciences a naturellement influencé les pratiques thérapeutiques et en conséquence, la signification donnée à la maladie et au symptôme en psychopathologie a considérablement évolué. Au début du 20ème siècle, le symptôme est toujours la conséquence d’une cause organique. Le malade seul est l’objet du soin, car la maladie est en lui. Cette conception médicale pèse encore en psychiatrie traditionnelle dans les maladies mentales. Elle a été utile car elle a permis, grâce aux progrès de la chimie, de fabriquer des médicaments efficaces et d’améliorer le comportement du malade.
Freud a inventé la psychanalyse. Pour lui le Moi se construit dans la tension entre la pulsion (le ça) et l’interdit (le surmoi). Le symptôme apparaît comme un compromis entre la pulsion et son interdit ce qui fonde et révèle notre conflit intrapsychique. Nos névroses sont des conflits infantiles non résolus (on souffre des choses qui viennent de soi-même) et le symptôme actuel est l’aboutissement d’événements anciens. Toute recherche et explication s’oriente vers la compréhension du passé, ce qui est la condition préalable à tout changement dans le présent.
Le psychanalyste écoute son patient et l’amène dans son cadre de référence et l’analyse du transfert à déchiffrer la signification profonde du symptôme en reliant ses troubles présents à son histoire fantasmatique passée. Nos forces inconscientes nous dominent, leur élucidation progressive amène à la prise de conscience de notre conflit intrapsychique et à « la guérison de surcroît ». Cette approche est basée sur le principe de la causalité linéaire, car elle est soumise au temps, et sur l’étude d’un phénomène isolé du contexte. A noter, que cette approche est utile en termes de prévention et de recherche.
Les cognitivo-comportementalistes (Eyzenck, Cottraux, Wolpe) s’intéressent à la persistance d’un comportement passé vécu dans certaines circonstances. Il a eu valeur de protection, mais le contexte ayant changé, il cesse d’être adapté. Cette approche est assez pragmatique et pédagogique. Elle est indiquée en particulier pour les phobies, certaines angoisses ou dépressions pas trop sévères. Elle utilise le plus souvent un programme en 12 étapes.
Les humanistes (Carl Rogers ; analyse transactionnelle : Berne ; Gestalt : Perls ; Bioénergie : Reich) considèrent que la nature humaine est fondamentalement bonne. Ils conçoivent la maladie comme une gêne momentanée au processus de croissance de la personne. Tous (la mère de famille, le cadre d’entreprise, l’homme politique, l’adolescent…) peuvent s’adresser à la thérapie pour développer leur potentiel ou pour un mieux-être. Cependant, même si la thérapie se fait en groupe, pour répondre aux besoins fondamentaux de la personne d’appartenir à un groupe et d’en être reconnue, elle reste centrée sur l’individu. Aujourd’hui aux Etats-Unis la psychologie positiviste et les « thérapies du bonheur » sont héritières de cette pensée humaniste.
Les systémiciens (Ecole de Palo Alto : Bateson, Erickson, Haley, Watzlawick) se détournent de la notion de pathologie individuelle.
Ils réinsèrent l’individu dans son contexte, le considèrent comme un système ouvert sur d’autres systèmes, et le restituent dans la complexité de ses interactions psychologiques, familiales, sociales, culturelles et trans-générationnelles.
L’intérêt est porté sur comment cela se passe chez un individu au niveau de la communication (modélisation de la communication : PNL : Grinder et Bandler, Cayrol) et au niveau des interrelations avec son entourage familial et social, et dans ses interactions culturelles et transgénérationnelles.
Historique de la thérapie familiale
« La thérapie familiale apprivoisée » Claude Villeneuve, Angels Toharia Presses de l’Université de Montréal ERES Relations, 1997.
La thérapie familiale naît dans les années 50. Elle se développe à l’école de Palo Alto en Californie. Un groupe de chercheurs d’origine scientifiques diverses, anthropologues, psychanalystes, ethnologues, biologistes, vivant aux 4 coins des USA se réunissent dans un collège invisible pour échanger leurs idées, leurs pratiques, et mettre en commun leurs observations. Les travaux de ce groupe se sont orientés selon 3 grands axes de recherche : une théorie de la communication, une méthodologie du changement, et une pratique thérapeutique. Leur référence commune, c’est la démarche systémique.
Grégory Bateson est anthropologue. Il étudie le rôle des paradoxes dans la communication. Jay Haley est psychiatre, thérapeute des psychotiques, s’intéresse à la schizophrénie et à la notion de patient désigné, Don Jackson, développera le concept d’homéostasie. Milton Erikson, psychiatre et hypnothérapeute, mettra sur pied une forme de thérapie familiale fondée sur l’intervention active du thérapeute, en mettant en relief les mécanismes d’influence entre le thérapeute et son patient. Plus tard, Paul Watzlawick va diffuser les recherches et les systématiser et faire connaître les idées de Palo Alto.
L’épistémologie systémique
La théorie systémique est d’abord une nouvelle conception des problèmes humains. Elle se détourne de la notion de pathologie individuelle en insistant sur l’importance du contexte dans le développement et l’entretien des problèmes. L’attention du systémicien ne va pas porter sur un individu malade, différent des autres, mais sur la scène familiale où se déroule l’action, sur les règles de ce jeu, et de ce drame interactionnel. Il considère la famille comme un contexte, et non comme un objet de soin.
Elle est secondairement une méthode thérapeutique basée sur cette conception. Elle implique une restructuration des hypothèses concernant le changement, la pathologie, le cadre de référence et le processus thérapeutique, où les concepts traditionnels sont hors-champ au sujet de l’individu normal ou pas normal, sain ou malade.
Le systémicien travaille avec l’hypothèse que le symptôme ou le sujet qui le supporte ne sont pas la cause des difficultés, mais une tentative de solution pour réguler le problème conflictuel latent familial et maintenir un certain équilibre du groupe (homéostasie).
Les solutions tentées jusqu’à maintenant maintiennent et exacerbent les problèmes. Elles ont fait leurs preuves à un moment donné mais sont devenues inappropriées car la situation a changé. Quand les membres d’une famille sont pris au jeu sans fin, il faut mettre un point d’arrêt à la solution inefficace. C’est pour cela que le thérapeute devient actif.
Le systémicien va explorer avec la famille la manière dont elle a construit sa réalité et son problème. Ensemble, ils vont tenter d’introduire de nouvelles règles relationnelles, chercher un levier de petit changement vers un grand changement, afin de modifier le fonctionnement du système ce qui rendra le symptôme caduque et où on pourra se passer du patient-symptôme.
Indications d’intervention systémique
L’intervention systémique est particulièrement bien indiquée :
- quand les éléments de la demande sont dispersés dans le groupe familial : un sujet présente une demande, un autre présente un symptôme, plusieurs en souffrent. Le cadre systémique permet de répondre comme si toute la famille était présente, et facilite d’introduire les autres membres dans le traitement, au fur et à mesure de leur motivation et de leur coopération.
- quand le symptôme apparaît comme un élément organisateur et fédérateur du groupe familial, il est plus efficace de faire le travail avec le système plutôt qu’avec le malade-symptôme, (notamment quand il est absent de la séance), quand il y a interdépendance et proximité excessive entre les membres de la famille, et que la transaction comportementale et relationnelle montre ce qui ne peut être dit. Le symptôme fait partie intégrante des stratégies (le plus souvent inconscientes) interrelationnelles familiales et quand la famille est impliquée dans le développement de la dépendance, il est opportun de l’engager vers plus d’autonomie.
- quand il est essentiel d’établir un climat de collaboration plutôt que de rivalité avec la famille (comme souvent dans toute maladie chronique d’ordre psychiatrique ou physique). Le traitement qui met à contribution la famille permet de réduire les conséquences psychologiques, sociales, économiques, et diminue le nombre des hospitalisations. Le systémicien considère que la famille est un lieu où l’on peut se soigner, que ses membres ont un potentiel de ressources et de compétences pour soutenir le patient désigné. Il ne s’intéresse pas tant à ce que l’un fait à l’autre, mais à ce qu’ils font ensemble et il valorise et active les capacités d’entraide. L’engagement de la famille dans le traitement amène des modifications à plusieurs niveaux, intrapsychique, et interpersonnel, ce qui augmente les chances de voir survenir un changement durable.
Selon les écoles, l’approche est différente :
Jay Haley et l’Ecole de Milan s’intéressent aux interactions de la communication verbale et comportementale. L’approche est centrée sur le processus, les règles et les rôles et l’observation des alliances et des coalitions. (cf. les thérapies cognitivo -comportementalistes et l’analyse transactionnelle).
Minuchin (approche structurale) travaille sur la hiérarchie familiale et les frontières entre les générations. Donc, il s’agit de restructurer la famille de manière à faire disparaître les symptômes. Le changement dans la structure familiale est censé entraîner des changements chez l’individu.
Ruffiot (approche psychodynamique) met l’accent sur la dynamique familiale (mythe familial, valeurs et règles).
L’approche constructiviste donne toute la place à la subjectivité. Les opinions du thérapeute comme celles de la famille, sont des constructions subjectives. Le but thérapeutique est d’arriver à une compréhension co-construite qui convienne aux différents membres du système thérapeutique. Les croyances et le sens ou la signification des problèmes et des situations présentés doivent être changés.
La thérapie orientée vers la solution, dite brève, (De Shazer, Insoo Kim Berg Scott Miller, Bill O’Halon) met l’accent sur les forces de la famille et sur la solution. Les problèmes sont situationnels plutôt que contextuels. Les questions-clefs : non pas le pourquoi, mais comment faire pour améliorer ? Quels sont les moments où il n’y a pas de problèmes et qu’est-ce qu’il se passe alors ? Le thérapeute ne se centre non pas sur les problèmes mais sur les solutions, non pas sur les difficultés mais sur les compétences et les ressources. Il invite la famille à se confier des tâches telles qu’ils les ont déjà réussies dans leur vie ou qu’ils peuvent à nouveau réussir.
Différentes techniques au cours des conversations thérapeutiques sont pratiquées par les thérapeutes, prescription du symptôme, recadrage paradoxal, questions circulaires, connotations positives, autoprescriptions de tâches, la question miracle, interprétation des transferts latéraux et verticaux, etc... Elles seront utilisées au cours d’un même traitement, de façon séquentielle et complémentaire, tout en gardant la théorie des systèmes comme cadre de référence et comme théorie du changement.
Le clinicien va élaborer et construire son modèle thérapeutique en fonction de la famille à laquelle il s’adresse, en fonction de l’éthique de cette famille, et en fonction de l’étude de sa propre famille d’origine et sa propre éthique. Le cadre systémique crée un espace de jeu et de symbolisation, où des processus relationnels peuvent se remettre en jeu, et où la famille pourra choisir d’autres lectures du monde (le jeu étant le système naturel de symbolisation que nous avons à notre disposition)
Approche familiale en alcoologie
Chaque famille, comme chaque individu, est soumise au cours de son développement à une éthique inconsciente pour assurer la continuité et la cohésion de la structure familiale dans un mouvement double et apparemment contradictoire : l’un vise à maintenir la stabilité, l’autre vise à s’adapter, c’est à dire à changer, or, tout changement est une perturbation. Pour les familles alcooliques, le changement est une menace, un paradoxe, qui les met dans une impasse. La nécessité de maintenir les liens familiaux évite la déstabilisation et la désintégration familiale, mais l’intolérance au lien, la difficulté de se désengager, et les conflits sous-jacents qui en résultent favorisent l’apparition de symptômes tournés contre soi-même et contre la famille. Ainsi, les symptômes alimentaires, l’anorexie, la boulimie, les troubles psychosomatiques, les violences, les abus, l’alcoolisme, la toxicomanie sont des tentatives de différenciation et d’autonomisation ratées qui révèlent des conflits de loyautés entre les membres et paradoxalement renforcent les liens vis à vis de l’organisation familiale. L’alcoolisation de l’un des membres de la famille est une tentative malencontreuse pour éviter les conflits et on discutera du produit ou du sujet-symptôme à la place de la question insoluble. Il est important de repérer la fonction de cette alcoolisation au sein de la famille. Ici, sont étudiées trois approches : les étapes du cycle familial, la structure familiale, le mythe familial.
Les étapes du cycle familial
Un thérapeute hors du commun : Milton Erickson, Jay Haley, EPI, Desclée de Brouwer, 1984.
A un moment où la famille se trouve dans une situation inextricable, l’un de ses membres développe un symptôme dépressif, phobique, autre, comme pour assurer la continuité et la cohésion du groupe. Le traitement devra alors considérer ces troubles, ou cette crise, dans la dimension relationnelle et familiale. L’intervention consiste à aider la famille à passer à une autre étape, à activer l’évolution des individus dans le système, tout en maintenant des liens. Cette approche permet de repérer quelle est la fonction du symptôme relative à l’étape difficile à franchir pour tel couple ou telle famille.
L’élément fondateur d’une famille, c’est le couple, soit deux personnes non liées par la consanguinité et qui ont cependant un lien de parenté. Quelle que soit le genre de relation qui existe quand les partenaires se courtisent, la nature de cette relation change radicalement lors de la vie commune et après le mariage. Les conjoints doivent se mettre d’accord sur un certain nombre de points : sur les aspects pratiques de la vie en commun, sur leurs relations avec leurs familles et leurs amis respectifs, sur leurs décisions. Les messages adressés l’un à l’autre sont chargés de signification affective selon ce qui a été appris dans leur famille d’origine.
Exemple : Si l’un prend l’initiative des dépenses, est-ce un comportement d’aide et d’implication dans la gestion du budget, ou la preuve de l’incapacité de son conjoint, ou la marque d’une pression exigeante ? Est-ce dans la famille d’origine un rôle dévolu à l’épouse ou au mari ?
L’implication des parents, trop d’aide ou trop de distance peut semer la discorde. L’art consiste à faire respecter son indépendance de couple tout en maintenant des liens affectifs avec les parents.
Exemple : si Monsieur a un attachement très important avec sa mère, et s’il ne peut l’empêcher de se mêler des affaires du couple, l’épouse peut manifester un comportement ou un symptôme pour orienter l’attention de son mari sur elle. Ou Monsieur lui-même développe un symptôme comme pour adopter une attitude pseudo-indépendante vis à vis de sa femme.
L’un peut ainsi « manipuler » l’autre avec les armes de la faiblesse, de la force (violence physique ou verbale) ou de la maladie pour maintenir la stabilité du couple avec des réponses et des solutions peu adaptées et peu satisfaisantes.
La venue d’un enfant donne un caractère définitif à la relation conjugale. La naissance de l’enfant ravive les problèmes anciens et en soulève de nouveaux. L’enfant accentue l’autonomie du couple par rapport aux familles d’origine, mais aussi renforce l’engagement dans le système transgénérationnel. Quand le système conjugal est menacé, l’enfant renforce le système parental, au détriment du système conjugal, et peut devenir l’enjeu de conflits.
Exemple : si la mère se laisse accaparer par la maternité, et si le père se sent exclu, car il ne trouve pas chez sa femme de soutien affectif, il peut vivre à son insu un état dépressif, et développer un comportement pathologique.
Arrive l’étape où l’enfant quitte la maison pour la crèche ou l’école. Il ne pourra s’adapter à un système de règles différentes que si le schéma du comportement familial ne s’y oppose pas. Pour les parents, il y a anticipation du moment où l’enfant quittera définitivement la maison et où ils se retrouveront face à face. Et l’éducation qu’ils prodiguent à l’enfant est exposée au regard de tous. S’il y a des conflits, ils deviennent plus évidents, que ce soit au niveau de l’enfant, des parents ou des grands-parents.
Exemple : si la grand-mère « s’allie » avec l’enfant contre la mère qu’elle « traite » donc comme la grande sœur de l’enfant, l’un ou l’autre parent (ou l’enfant) peut développer un symptôme gênant pour tous.
L’adolescence impose un nouveau système de règles. L’ordre hiérarchique précédent est remis en question. Les parents se retrouvent devant des enfants devenus adultes du même sexe, et leur fonction parentale va devenir quasi inutile. C’est une étape très importante : pour l’adolescent qui doit se dégager de sa famille sans rupture et adopter de nouveaux comportements affectifs avec ceux de son âge ; pour les parents qui doivent apprendre à se comporter différemment envers lui pour qu'il évolue à rejoindre le monde des adultes et entre eux, car désinvestis des tâches éducatives, leur lien parental disparaît pour laisser toute la place au lien conjugal.
Exemple : quand les adolescents quittent définitivement la maison, une crise peut se produire au niveau conjugal et entraîner une séparation ou un divorce ou d’autres symptômes. Ou encore quand parents et adolescents restent très attachés, le jeune va être incapable d’aménager sa vie personnelle, affirmera une pseudo-indépendance. Certains adolescents restent des enfants pour protéger la relation parentale : toutes sortes de symptômes peuvent apparaître dans une génération ou l’autre.
La retraite ouvre sur de nouvelles difficultés.
Exemple : une femme peut manifester un symptôme pour rendre utile son mari, alors qu’il peut se sentir mis au rencard. C’est une manière de protéger l’autre.
Devenir grands-parents peut provoquer de nouveaux conflits quand les rapports entre les générations ont été trop étroits ou trop lâches. Chaque génération dépend de celle qui la précède et de celle qui lui succède selon des mécanismes complexes que l’on comprend en observant les ruptures qui se produisent.
Structure et dynamique familiale
Familles en thérapie, Salvador Minuchin, Ed. Universitaires, 1983
La guérison familiale, Salvador Minuchin, ESF, 1996
Thérapie familiale structurale, principes de base, Barbara de Franck-lynch, ESF, 1986
Les symptômes apparaissent quand il y a absence ou rigidité des frontières entre les générations, absence ou rigidité de frontières dans la hiérarchie familiale et quand il y a une lutte pour le pouvoir. L’intervention consiste à définir les rôles de chacun dans la famille, sur le plan de l’organisation hiérarchique, à renforcer l’autorité parentale, et un autre partage du pouvoir au niveau conjugal, quant aux décisions concernant les relations intrafamiliales et sociales. Cette approche permet de repérer les modes de relations à l’intérieur de la famille et de l’aider à communiquer, c’est à dire à faire circuler l’information et la communication les uns avec les autres, à l’aide de questions circulaires : « vous êtes très proche avec votre petit dernier, qu’est-ce qu’en pense votre mari, les autres enfants… »
Quand une famille est fonctionnelle, on peut schématiser sa structure ainsi :
Père Mère
----------------
G1 G2 F1
Cela indique qu’à l’intérieur de ce système les adultes détiennent les commandes et que les limites sont clairement définies entre le système des adultes et le système des enfants. Chaque membre de cette famille a une place déterminée et justifiée selon l’ordre des naissances. La proximité affective et la distance émotionnelle indispensable s’équilibrent bien. La dynamique interactionnelle de cette famille serait que les adultes prennent leurs décisions après s’être mutuellement concertés, demandent leur avis aux enfants et en tiennent compte, selon leur âge. La communication est directe et souple entre les uns et les autres.
Quand une famille est dysfonctionnelle sur le plan structural, on peut observer plusieurs schémas. La dynamique interactionnelle de ces familles peut favoriser des conduites d’alcoolisation chez l’un de ses membres qui se retrouve à une place inappropriée pour son âge ou son stade de développement. Le développement affectif et l’autonomisation vont être freinés. On peut retrouver une transmission de la pathologie et de la dépendance sur plusieurs générations.
L’approche structurale comporte 3 axiomes : il est bon de délimiter la frontière intergénérationnelle, il est bon de délimiter la frontière sexuelle, il est bon de favoriser l’individuation par la différenciation : les parents doivent avoir plus de pouvoir que les enfants.
Exemples de structures familiales dysfonctionnelles dans la fiche ci-après.
Mythes familiaux et visions du monde
« Temps et mythe en psychothérapie familiale » Maurizio Andolfi, ESF, 1990
Les symptômes apparaissent comme une tentative de préserver un sentiment d’appartenance et d’identité liée à une vision du monde, une croyance, un mythe familial fondateur partagé par tous, pour maintenir la continuité malgré le saut des générations. L’identité familiale est transmise à travers les générations par un processus au cours duquel ses membres ont à répondre à deux messages apparemment contradictoires : « sois conforme et sois différent ». Le milieu familial présente souvent des modèles d’identification assez rigides. On retrouve dans les familles les plus rigides de manière plus aiguë le mythe du sacrifice, le mythe de la fatalité et d’un destin d’échec, de honte et de culpabilité, le mythe de l’objectivité (les événements collent aux pensées fantasmatiques), et le mythe de la conformité.
L’intervention consistera à reconnaître l’identité familiale, ses valeurs, ses modèles, puis à renforcer le groupe familial sur le plan narcissique, ensuite à proposer d’autres modèles, d’autres lectures, et à développer une autre mythique relationnelle. Ce sera le dévouement, l’entraide, la responsabilité des actes, la subjectivité, l’ambivalence des désirs et des sentiments, etc…
Exemple : Dans certaines familles, les événements collent aux pensées fantasmatiques. Ils font écran pour soutenir le mythe familial. Les désirs, les sentiments et les pensées sont refoulés pour maintenir la cohésion du groupe. La différenciation et l’autonomisation font courir le risque de la déstabilisation et de la désintégration du groupe. Et l’angoisse du refoulé se manifeste dans le symptôme.
Certaines familles « enchevêtrées » tendent à attirer leurs membres qui n’ont pas le droit de s’extérioriser, ni d’affirmer leurs personnalités et leurs différences, et ont des frontières mal définies dans la même génération et entre les générations. D’une génération à l’autre dans l’histoire d’une famille apparaissent des schémas répétitifs. Par fidélité ou loyauté au modèle familial, l’un des membres comme pour réaliser une dette, va perpétuer en écho le mythe fondateur familial par des conduites mortifères, comme pour se créer un sentiment d’identité et d’appartenance : sois malade, je t’aimerai.
D’autres familles « désengagées » tendent à expulser leurs membres, car elles ressentent le monde extérieur comme la source majeure de gratification. Les enfants ne trouvent pas le mode de relation satisfaisant à l’intérieur de la famille, mais sont incapables d’en créer à l’extérieur. Le mythe du monde extérieur meilleur risque d’organiser les symptômes contre les autres et vers l’extérieur de la famille : colère, abandon, vandalisme, terrorisme, délinquance, bagarres, violences, meurtres. Ces familles sont peu structurées.
Analyser le comportement familial, c’est saisir la vision du monde de la famille et l’identité qu’elle se donne à elle-même, par rapport aux autres et à la société. Si un groupe ne peut plus croire en ses valeurs et en ses modèles, il va devenir passif, et les aides extérieures deviennent extrêmement difficiles. Si l’on ne reconnaît pas son identité, la famille va se sentir critiquée, et va accentuer ses modes de défense, et risque d’être en danger. Si l’on brise le mythe familial en forçant la différenciation, la famille sera menacée dans son identité, et l’on provoquera l’implosion ou l’explosion, ou une crise, qui ne pourra donc pas être élaborée à ce moment trop précoce. La famille ne restera pas, et répétera ce processus avec d’autres soignants à coups d’hospitalisations, par exemple, jusqu’à revenir au fonctionnement précédent. Pour les familles « enchevêtrées », la thérapie permettra d’accéder à la différenciation tout en gardant des liens affectifs. Les familles « désengagées » sont peu accessibles à la thérapie, mais attirent l’attention des institutions extérieures.
Approche clinique systémique en alcoologie :
Processus pré-thérapeutique envers l’entourage, conjoint, parent, ami ou collègue
Quand la première demande est initiée par un membre de l’entourage, il est d’abord important :
- de valoriser la personne qui cherche à résoudre le problème, d’accueillir sa souffrance, de transformer l’angoisse en attention, de soutenir sa capacité de bienveillance et de fermeté, à être responsable face à une situation éprouvante où elle est consciente des difficultés et cependant démunie, d’inviter à l’entraide familiale et à la solidarité sociale en sollicitant la responsabilité de chacun et la responsabilité civile s’il y a lieu.
- ensuite de donner quelques informations sur les processus d’alcoolisation, d’abstinence et de réalcoolisations.
Pour orienter la façon de penser sa relation avec le malade et sur la situation :
- explorer la demande : qui se montre le plus préoccupé par la situation ?
Pour s’appuyer sur les souhaits d’engagement thérapeutique éventuel.
- explorer la souffrance : qui souffre le plus de la situation ? la façon de penser sur les relations « à quel degré de relation de confiance êtes-vous ? qui est le plus proche sur le plan affectif ? en avez-vous parlé ? et comment ? lui avez-vous dit votre inquiétude ?
Pour amorcer une définition des relations, des fonctions et des rôles.
- explorer le symptôme pour évaluer à quel point la situation est alarmante : qui pose le plus de problème à la famille ? quand le symptôme est apparu ? Comment il a évolué ? Comment est-il est régulateur et générateur de tensions, de conflits, quelles tension, quels conflits ?
- évaluer les conséquences pour les uns et pour les autres
Pour explorer les motivations de changement éventuel de chacun.
- explorer les changements relationnels souhaités
Pour définir les objectifs.
Et pour faire saisir les niveaux différents d’intervention thérapeutique, complémentaires, ultérieurement (avec le médecin, la famille, puis éventuellement avec le malade seul) ce qui prépare les futurs cadres thérapeutiques (familial, conjugal, et individuel,
Pour proposer le traitement le plus adéquat.
Examiner comment la personne peut revenir avec la personne désignée malade.
Le processus thérapeutique avec la famille et le patient
Dans un premier temps le thérapeute redéfinit le problème à partir des effets observés, à partir des boucles répétitives dans lesquelles les institutions et les autres groupes se retrouvent inclus dans des répétitions aliénantes, comment chacun contribue à bloquer le temps, à organiser et maintenir le pouvoir, ou à se soumettre à une croyance commune.
Il pose des limites, et invite à soutenir des décisions d’entraide et de protection.
Puis, il est nécessaire de dissocier les problèmes d’alcool des problèmes relationnels pour amener à organiser la vie en fonction des conséquences de l’alcoolisation et non en fonction de l’alcoolisation elle-même. Le thérapeute incite chaque membre de la famille à jouer un rôle actif et à participer à l’intervention à l’aide de questionnements circulaires :
- d’évaluer les conséquences des alcoolisations pour chaque membre de la famille.
- D’anticiper d’autres conduites possibles c’est à dire de rendre prévisibles les transactions comportementales et verbales, quand il y a des alcoolisations et/ou quand il n’y a pas d’alcoolisations.
Les alcoolisations s’espacent, voire diminuent, voire disparaissent.
Dans un deuxième étape, Les périodes de sobriété sont des moments propices à l’expression des conflits, le conjoint pouvant se décharger et réagir spontanément. Le thérapeute invite la famille à faire face à ses difficultés : on va définir les malentendus, les conflits relatifs aux différences de points de vue individuels, menaces et sources de conflits aux niveaux émotionnels, perceptif, cognitif, interactionnel, etc… Chacun va pouvoir exprimer un avis différent de l’autre, et le thérapeute va réintroduire les paradoxes comportementaux, verbaux et mythiques.
Lors de la troisième étape, le thérapeute invite à déployer les ressources personnelles et interpersonnelles pour proposer d’autres éléments fédérateurs et organisateur du groupe autre que l’alcool, c’est à dire une autre vision du monde, (entraide, plaisir d’être ensemble, communication émotionnelle, etc...) Ce qui instituera de nouvelles règles relationnelles (ou l’inverse).
(Des réalcoolisations peuvent apparaître, comme des signes pour évaluer la validité des changements amorcés.
A la quatrième étape, le thérapeute va connoter leur détermination, énoncer les risques physiques et sociaux, redonner un cadre dans lequel sont annoncées les propositions contradictoires, et stimuler la capacité de la famille à trouver ses propres solutions.
La fin de la thérapie arrive quand la famille est capable de résoudre elle-même ses conflits.
Au décours des séances, le recadrage thérapeutique réintroduit le paradoxe dans le cadre familial, et non plus dans la communication. C’est à dire, permet d’accepter un mode de fonctionnement qui autorise la coexistence des antinomies homéostasie et changement, individuation et cohésion familiale, vie et mort, (ceci dans la mesure où le cadre des systèmes humains est nécessairement paradoxal). Les changements s’opèrent à partir des transferts latéraux à l’intérieur du système thérapeutique (famille et thérapeute) et des transferts verticaux des individus et du groupe envers le thérapeute, et les contre-transferts du thérapeute envers les individus et le groupe.
N.B. Quand les enfants ou adolescents sont impliqués et présents dans l’entretien, l’objectif est de soutenir les adultes et de décharger les enfants d’intervenir dans l’alcoolisme du parent et de son traitement pour éviter les règlements de comptes stériles et destructeurs.
La thérapie familiale : une éthique relationnelle
Cette approche contextuelle relève d’une éthique relationnelle :
Quand l’alcoolisation est devenue trop évidente ou trop gênante, la famille a tendance à se centrer sur celui qui est le responsable apparent du problème et pense que si l’alcoolisation disparaît, la vie conjugale et familiale va s’améliorer. Et quand les conduites d’alcoolisation au sein d’un couple ou d’une famille perturbent le fonctionnement du groupe, simultanément les proches réagissent de manière rigide et stéréotypée au fur et à mesure des changements de comportement du malade alcoolique. Il en sera de même au cours des processus d’abstinence.
L’intervention familiale permet idéalement :
- de cesser les tentatives inefficaces de l’entourage à raisonner le malade, le culpabiliser, lui faire la morale, le fliquer, faire appel à sa volonté, ne rien dire pour éviter les conflits, ou faire pression pour qu’il se soigne, et de transformer ce contexte traumatique et angoissant en un contexte bienveillant et non jugeant.
- de prendre en compte tous les personnes concernées. Et de travailler sur les processus sous-jacents aux symptômes et aux problèmes, sur la signification des phénomènes actuellement dans les histoires actuelles inter personnelles et transgénérationnelles et d’amener des modifications à un niveau intra-psychique et interpersonnel ce qui augmente les chances de voir survenir un changement durable.
- de favoriser un équilibre entre confiance, tolérance, sollicitude, équité, et responsabilité, en restituant la capacité à résoudre les conflits -qui sont naturels et non pathologiques- et de trouver un nouvel équilibre où l’alcoolisation est absente.
Tous les membres concernés ont besoin de ces éléments pour la survie ou la permanence de leur relation.
Je vous remercie.