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remédiation cognitive - Dreyfuss...

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Présentation sur l’état des lieux de la remédiation cognitive chez le patient en conduite addictive,
un cas clinique

Avec Fabien DREYFUSS, directeur de la clinique KORIAN LE HAUT LIGNON
et Laura MACEDO et Marie BARBIER, neuropsychologues

La neuropsychologie en addictologie : du repérage à la remédiation cognitive

Résumé :

Tous les produits ont connu depuis quelques années une évolution les rendant plus attractifs, plus accessibles, plus nocifs. Parallèlement à cela et en toute logique, nous avons constaté l’augmentation et l’apparition de nouveaux symptômes à traiter : détérioration physique et locomotrice (polyconsommations, polynévrites,…), psychiques (démences, comorbidités psychiatriques, troubles cognitifs) et environnementales (isolement social, endettement, troubles relationnels …).

Les audits sur les indicateurs de pratiques cliniques de nos services, menés auprès de nos patients, témoignent de comportements inquiétants pour lesquels nous menons des activités diagnostiques et de réadaptation :

-          L’âge de plus en plus précoce de début de la consommation.

-          L’accessibilité des produits, tant géographiquement qu’économiquement.

-          La pluralité et la diversité des produits consommés.

-          Les modes de consommation.

-          La toxicité des produits.

-          Les facteurs environnementaux aggravants.

Les complications neuropsychologiques et psychiatriques nécessitent de plus en plus une personnalisation du programme de soins et la recherche de solutions adaptées dans l’accompagnement post-séjour.

Depuis 2006, la Clinique KORIAN LE HAUT LIGNON au CHAMBON SUR LIGNON a entrepris de développer un axe de travail sur le sujet en définissant un module de repérage et de remédiation informatisée des troubles cognitifs associés aux conduites addictives.

A l’origine, une neuropsychologue à 0.2 ETP suffisait à prendre en charge en individuel, et autour d’ateliers informatiques, l’intégralité de nos patients en fragilité cognitive, dont la moyenne d’âge avoisinait les 57 ans.

A ce jour, la moyenne d’âge de notre public se situe autour de 46 ans, nous constatons des troubles cognitifs de légers à sévères chez 70 % de nos patients et chez des sujets âgés parfois de moins de 40 ans. De fait nous avons progressivement étoffé l’équipe sur 2 postes de neuropsychologues pour 1.8 ETP.

Ces troubles sont bien évidemment accompagnés d’une perte conséquente d’autonomie physique et sociale, nécessitant une prise en charge associée qui va au-delà de la simple réadaptation et des moyens humains bien structurés.

La remédiation cognitive en addictologie à travers une étude de cas

I. ANAMNESE

Histoire de vie

• Patient de 52 ans, célibataire sans enfant.

Famille : troisième d’une fratrie de 4 enfants, pas de relations.

N’a plus de contact avec sa mère qui vit en maison de retraite.

Domicile : vit seul à Saint Etienne.

Aide ménagère et aide soignante à domicile.

Niveau scolaire : CAP menuisier puis travaille en menuiserie.

Emploi : dernièrement travaillait comme gardien dans un musée.

Actuellement en invalidité, ne reprendra pas le travail.

Antécédents médicaux

• Splénectomie post-traumatique.

• Epilepsie de sevrage.

• Coma éthylique compliqué par une insuffisance rénale.

• Hypothèse diagnostique de syndrome de Korsakoff.

• Troubles de la marche d’apparition récente.

Addictions

• Tabac: 1 paquet de 20 cigarettes par jour.

• Jamais de Cannabis.

• Consommations d’alcool : 200g par jour (20 verres) depuis l’âge de 20 ans (1 période

d’abstinence de 2 ans).

• Deux autres séjours de soin en addictologie.

• Pas d’abus de médicaments, ni autres substances psycho-actives.

Sevrage réalisé à Firminy.

• Entrée le 07.08.2012 pour maintien de l’abstinence à l’alcool.

• Objectif: consolidation de l’abstinence et amélioration de l’état général.

• Suivi habituel par le Dr RENARD et le CSAPA.

II. BILANS BIO-PSYCHOSOCIAUX

1) Bilan médical d’entrée

• Troubles des fonctions cognitives.

• Troubles de la marche.

• Trouble de la sensibilité et réflexes des membres inférieurs abolis.

• Douleurs neuropathiques à gauche.

• Polynévrite des membres inférieurs.

• Bilan cardiaque normal.

• RAS au niveau pulmonaire.

• Incontinence intermittente.

• Foie mou mais non douloureux.

Conclusions du bilan médical

• Troubles en partie dus à l’alcoolo-dépendance et au tabagisme.

• Hypothèse d’un syndrome de Korsakoff.

• Prescription d’une radio pulmonaire, d’une échographique hépatique ainsi que d’un bilan

Neuropsychologique.

2) Bilan IDE d’entrée

• Pas de loisir au domicile.

• En arrêt maladie depuis 6 mois.

• Hygiène à stimuler.

• Difficultés d’endormissement mais pas de réveil nocturne, ni de cauchemar.

• Plusieurs TS : par phlébotomie, IMV, a tenté de se jeter d’un balcon, a avalé une boite d’antimites (dernière 3 années avant son entrée).

• BDI = 11 (dépression minimum): Mr G est surpris par le résultat car il pense souffrir de

dépression depuis l’âge de 14 ans.

3) Bilan psychologique

• Attitude très coopérante et volontaire.

• Histoire de vie peu précise sur les dates et la chronologie des événements.

• De nombreux oublis autobiographiques.

• Très seul : motif des consommations d’alcool et des épisodes dépressifs (mère en maison

de retraite et père décédé: ne sait plus quand ni pourquoi, peu d’amis).

• A vécu des violences morales intrafamiliales.

• Ne se plaisait pas dans son travail car mauvaise ambiance

• De nombreuses hospitalisations pour diverses raisons.

• SKT = 3 en mémoire et 4 en concentration.

 

4) Objectifs thérapeutiques de prise en charge

• Remobilisation physique et psychique

• Stimulation à la marche.

• Stimulation de l’hygiène.

• Prise en charge neuropsychologique

• Prise en charge psychologique.

III. BILAN ET PRISE EN CHARGE NEUROPSYCHOLOGIQUES

Mémoire

♦    Capacités d’apprentissage d’une liste de mots très déficitaires. L‘aider avec un indice ne permet pas de normaliser les résultats, ne fait pas de fausses

reconnaissances.

♦    L’orientation spatio-temporelle perturbée (ne connaît pas la date du jour, ni le nom de la clinique, ni la ville dans laquelle il se trouve, ni la région).

♦    Mémoire rétrograde autobiographique limitée (faits personnels imprécis et non chronologiques. Difficultés pour dire quand il a commencé l’alcool, dit que samère est décédée, ne connait pas le motif de ses différentes hospitalisations, ni pourquoi il est a la clinique…)

  • Difficultés mnésiques majeures et diffuses.

Capacités instrumentales

  • Discours fluent et informatif, sans manque du mot, cohérent et adapté. Pas de difficulté

de compréhension,

  • Langage et capacités gnosiques préservées.
  • Pas de difficultés praxiques.
  • Pas de troubles visuo-spatiaux ou visuo-constructifs.
  • Capacités instrumentales préservées.

Capacités attentionnelles

  • Ralentissement de la vitesse de traitement de l'information.
  • Préservation de l'attention sélective.
  • Mémoire à court terme satisfaisante dans ses deux modalités (visuelle et verbale.

Fonctions exécutives

  • Manque de stratégies pour accéder au lexique (donner le plus de noms d’animaux)
  • Difficultés pour maintenir l’alternance de stratégie (persévérations)
  • Planification graphique préservée mais difficultés de
  • planification en tâche écologique
  • Processus inhibiteurs satisfaisants
  • Troubles de la flexibilité mentale et de la planification.

Conclusions du bilan

  • L'importance des troubles mnésiques et la désorientation spatio-temporelle sont susceptibles d'entraîner des difficultés dans la vie quotidienne du patient : il est nécessaire de mettre en place des aides pour les tâches ménagères, la prise des médicaments, (la toilette ?) et surtout pour gérer son budget.
  • Mr G évoque aussi des fausses reconnaissances qui ont également été repérées par l’équipe.
  • Pas de fabulations.
  • Hypothèse diagnostique du syndrome de Korsakoff.
  • remise en question.
  • L’atelier cognitif a été proposé à Mr G.

Objectifs de prises en charge

• Améliorer l’orientation spatio-temporelle.

• Travailler la mémoire autobiographique.

• Travailler la mémoire épisodique, la mémoire à court terme, les capacités attentionnelles et exécutives.

• Améliorer l’autonomie.

• Pour se faire -> participation aux ateliers cognitifs + remédiation individuelle + accompagnement pluridisciplinaire.

a) Ateliers cognitifs

• Ces ateliers ont pour objectif d’améliorer le fonctionnement cognitif et d’aider à la prise de conscience des difficultés et leur acceptation (confrontation aux difficultés et valorisation des performances).

• Les participants sont amenés à se questionner sur les stratégies qu'ils peuvent élaborer.

• Participation de Mr G : 45 minutes par séance, 2 fois par semaine.

b) Remédiation individuelle

* Mise en place d’aides externes:

Amélioration de l’orientation temporelle :

• Calendrier affiché dans la chambre.

• planning individualisé fait par les aides soignantes.

Travail sur l’orientation spatiale :

• Plan de la clinique donné + plan du village.

Travail sur la mémoire autobiographique :

• Organisation d’un tableau des événements de vie personnels (avec la psychologue).

* Exercices papier/crayon

- Travaille de l’écriture: un souhait de sa part pour la précision du geste et les fautes

d’orthographes.

- Tâches de mémoire: lecture de texte avec questionnaires.

- Organisation d’un trajet.

- Organisation d’un planning.

- Batterie mémoire de travail.

c) Accompagnement pluridisciplinaire

• Suivi psychologique

• Apprentissage pour le changement de sa stomie et des soins à apporter (IDE).

• Aide administrative (CESF) car difficultés sociales majeures.

• Gestion des papiers et du budget en collaboration avec la curatelle.

• Mise en longue maladie puis en invalidité

• Mise en place des aides à domicile.

• Liste numéros utiles.

• Organisation de son déménagement (car vivait dans un appartement sans ascenseur).

• Achat d’un téléphone portable.

IV. PROJETS ET ORGANISATION DE LA SORTIE

Orientation vers un appartement autonome.

  • Planning des tâches quotidiennes.
  • Plan du village de Saint Pal de Mons.
  • Visite du village avec une IDE.
  • Elaboration d’une liste de courses préimprimée.
  • Livret menus.

Séjour dans son appartement

  • Intègre le logement fin août 2013.
  • Adaptation très difficile.
  • Chutes, oublis, se perd dans le village.
  • Ne maintient plus son hygiène personnelle, ni celle de son appartement.
  • S’isole, ne veut plus venir en HDJ, ne laisse pas entrer les aides à domiciles et les IDE.
  • Nouvelles consommations d’alcool.
  • Dépenses +++
  • Difficultés repérées par l’équipe mais pas de plaintes de la part du patient. Evoque    seulement une insécurité la nuit.

♦    Ne peut rester seul dans cet appartement.

V. NOUVEAU SEJOUR

♦    Nouveaux objectifs de prise en charge.

♦   Dossier pour une nouvelle orientation.

♦   (famille d’accueil) avec la CESF.

♦   Bilan neuropsychologique comparatif.

♦   Poursuite de la prise en charge cognitive (principalement en atelier cognitif).

(tests)...

Aujourd’hui

  • Mr G vit actuellement en famille d’accueil mais il reste quelques limites car le patient    manque de stimulations quotidiennes et il est gêné par ses difficultés motrices.
  • Orientation en cours vers un accueil de jour à Sainte Sigolène.
  • Vient deux fois par semaine en HDJ.
  • Meilleure hygiène corporelle.
  • Participe aux activités.
  • Participe toujours à l’atelier cognitif.
  • S’investit dans les exercices.
  • Vient seul.

VI. LIMITES

De la prise en charge neuropsychologique

  • La sortie du cadre institutionnel a été trop rapide et brutale : le patient est passé d’une prise en charge quotidienne et globale à une autonomie totale.
  • Parfois du mal à transférer les apprentissages faits en ateliers à des activités de la vie quotidienne.
  • Des progrès ont été fait en 2 ans, cela montre qu’il aurait fallut maintenir la prise en charge neuropsychologique de manière plus soutenue et encadrée (accompagner le patient à son domicile, repérer et traiter les difficultés sur place.)
  • Ici ce n’est pas réalisable car les patients présentant des troubles cognitifs sont trop nombreux (78%)
  • Quand cela est possible, on les oriente vers les collègues neuropsychologues en libéral pour maintenir une continuité.
  • Reconsommations possibles au domicile qui compromettent la récupération des processus cognitifs

De l’institution

  • Prise en charge qui a été au-delà de nos missions (hébergement de longue durée, orientation vers un appartement autonome, reprise du parcours de soin malgré une orientation finalement pas adaptée…)
  • Quelles solutions pouvons-nous proposer à ces patients présentant d’importants troubles cognitifs et qui ont déjà bénéficié d’une prise en charge global ? (Hébergements, continuité des soins bio-psycho-sociaux, neuropsychologiques…)

 

Mise à jour le Mercredi, 28 Décembre 2016 16:13