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Gay - psyché...

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La prise en charge de la problématique alcoolique :

Intervention et discussion avec Michèle Monjauze,  Psychologue Clinicienne, spécialiste de la pathologie alcoolique.

L'organisation psychique des addictions : Florent Gay, Psychologue à l'ELSA du CH Le Vinatier

Je suis actuellement Psychologue au sein d’un hôpital psychiatrique (Centre Hospitalier Le Vinatier). J’exerce à l’unité d’addictologie de liaison située dans l’hôpital et au Centre Médico Psychologique Adultes de la presqu’île lyonnaise. Je travaillais auparavant au Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie et au Comité Départemental de Prévention de l’Alcoolisme de Bourg en Bresse.

Dès mon arrivée en psychiatrie, il y a cinq ans, j’ai été étonné de la façon dont les diagnostics étaient posés pour les alcooliques, par rapport aux autres pathologies.
En effet, j’entendais parler de patients schizophrènes, paranoïaques, psychopathes, tout autant que de patients alcooliques, toxicomanes. Cela peut paraître tout à fait normal au premier abord mais tous ces termes mis au même niveau sont à mon sens le reflet d’une difficulté, également en dehors des murs de la psychiatrie, à penser et à situer les addictions dans le champ de la psychopathologie.
Bien sûr, l’on peut être schizophrène (dans le champ de la psychose) et alcoolique, ce qui est d’ailleurs un tableau clinique fréquent, tout autant que celui de psychopathe (dans le champ des états limites) et toxicomane. Nous pourrions ajouter à cela d’autres types de patients, peu rencontrés en institution psychiatrique, qui peuvent être dans une organisation névrotique et avoir une dépendance à l’alcool. Il va donc de soi, à mon sens, que l’alcoolo-dépendance n’est pas rattachée particulièrement à l’une des organisations psychiques (névrose ou psychose) ou même à l’anorganisation psychique que sont les états limites, concept lui-même très désorganisé, recueillant trop souvent les errances de diagnostics des thérapeutes.

Nous constatons donc qu’à l’âge adulte, des personnes aux psychopathologies distinctes ont une dépendance à l’alcool.
Michèle Monjauze écrit que "la part alcoolique du Soi est sans conteste une modalité psychotique très spécifique", et qu’elle est "ancrée dans le préverbal". La clinique nous montre, ce qui n’est peut-être pas antinomique, que les décompensations psychiques, autrement dit quand les mécanismes de défenses deviennent inadaptés et inefficaces, se font sur un mode assez varié chez les alcooliques. Il est néanmoins commun de dire que ces patients se situent souvent dans le champ des pathologies du narcissisme ou des états limites.

Ce cheminement m’amène à ma première question :

Si la part alcoolique du Soi renvoie avant tout à un noyau psychotique de la personnalité, comment expliquer que la plupart des patients rencontrés présentent une symptomatologie qui les situe dans des problématiques d’ordre limite ou narcissique ?

La classification actuelle des psychopathologies est donc basée sur la distinction, proche de la scission, entre névrose et psychose, à laquelle nous avons ajouté le champ intermédiaire des états limites (qui sont au mieux les patients correspondant à ces symptômes et au pire le tiroir de l’inclassable ou de l’hésitation). Néanmoins, la plupart des théoriciens s’accordent à dire qu’il s’agit là d’une construction lors de la psychogenèse de l’individu. Nous ne serions donc pas l’un ou l’autre mais nous aurions été traversés avec plus ou moins de bonheur par des phases psychotiques, limites et névrotiques. Il en résulterait des champs de fixation à différentes étapes de la construction et la prévalence de l’une des organisations.

Nous pouvons concevoir les premiers temps de la psychogenèse comme les fondements de la vie psychique et si ceux-là se révèlent faillibles, les étages supérieurs et secondaires chronologiquement auront bien sûr du mal à se construire, notamment l’accès à l’Œdipe pour des enfants embourbés dans des problématiques psychotiques comme peuvent l’être les angoisses archaïques (de vide, de chute ou de morcellement).
Nous sommes dans une classification horizontale (les unes à côté des autres) d’une construction verticale (les unes recouvrant les autres). Cette catégorisation nous laisse peu de passerelles pour aller de la névrose à la psychose et peu de souplesse dans sa représentation. Or, les patients rencontrés ne sont pas que névrotiques, que psychotiques ou que limites, il y a des interactions entre ces différentes couches ou thématiques de la construction psychique.
Même un schizophrène très invalidé par sa pathologie (délires, hallucinations) peut parfois avoir un discours purement œdipien.
Comme un liquide qui coule, la clinique des alcooliques se révèle pénétrer toutes ces catégorisations, ce qui m’en vient à ma seconde question :

Est-ce que la clinique des alcooliques vient remettre en question les repères établis dans les organisations psychiques ?

J’ai commencé mon discours par la confusion ressentie quand le diagnostic d’une dépendance est mis à la même place qu’un diagnostic psychiatrique ou psychopathologique. Un autre aspect portant à confusion est à mon sens le glissement du concept d’alcoologie à celui d’addictologie.
Par exemple, l’unité dans laquelle je travaille s’est appelée jusqu’à peu "unité d’alcoologie" jusqu’à ce qu’elle se transforme plus ou moins magiquement en "unité d’addictologie" sans qu’aucun changement ne soit intervenu ni sur les personnes accueillies ni sur les professionnels exerçant. Si ce n’était qu’un cas isolé, je ne l’évoquerais point. Cependant, le glissement de l’alcoologie vers l’addictologie est d’autant plus d’actualité avec la création des CSAPA (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) amenés à remplacer les CCAA (centre de cures ambulatoires en alcoologie) et les CSST (centre spécialisé de soins aux toxicomanes). Il reste de nombreuses questions sur la spécificité des soins, notamment en ce qui concerne les alcooliques et les toxicomanes. Nous nous rendons d’ailleurs compte avec les plus jeunes patients que la classification par produit de l’addiction (et non par conduite ou pathologie) est en train de devenir obsolète tant la polyconsommation est omniprésente. En tout cas, l’objet commun "addictologie" n’est pas encore constitué que les institutions sont déjà crées. Il s’agit là de mettre la charrue avant les bœufs : la charrue étant les institutions et les bœufs (désolé pour cette expression disgracieuse) l’objet commun de l’addictologie. Sont en débat dans cette nouvelle organisation la place des addictions sans produits, des troubles du comportement alimentaire, et aussi la cohabitation de l’alcoologie et la toxicologie.
L’addictologie reste globalement une approche assez (voire trop) comportementale et semble rabattre un couvercle sur des formes variées de patients et de prises en charge.

L’arrivée du terme addictologie dans une sorte de substitution à celui d’alcoologie m’interroge sur le sceau commun des addictions, en termes de psychogenèse et de psychopathologie et m’en vient à formuler ma dernière question :

Est-ce que votre ouvrage "La part alcoolique du Soi" aurait pu s’appeler "La part addictive du Soi" ?

Si ce n’est pas le cas et si vous aviez à écrire "La part addictive du Soi", en quoi globalement cela changerait le contenu de votre livre ?

 

 

Mise à jour le Mercredi, 07 Septembre 2011 16:24